Psychanalyse et Peinture, deux exercices spirituels croisés ?
Philippe LEMANT
INTRODUCTION
Permettez moi d’abord de remercier ceux qui m’ont aidé tout au long de ce cycle Peinture et Spiritualité : le Centre-Huit, Fernando, notre gardien, Pierre Thierry-Mieg, notre président … Olivier Mérijon, le maitre de l‘atelier de peinture et l’inspirateur de nos débats ; merci aussi à vous qui avez eu l’abnégation de sacrifier un match de foot de la coupe du monde pour venir écouter un psychanalyste.
Tout au long de ce cycle P & S nous avons cherché comment s’articulent l’écoute de la parole et le regard sur la peinture.
D’abord en conflit, juifs et protestants plutôt iconoclastes, catholiques plutôt iconophiles mais en fait l’opposition n’est pas aussi tranchée.
Ensuite nous avons essayé d’écouter ce qu’étaient les ex-voto tout en regardant s’effectuer un ex-voto sous nos yeux.
Puis comment voir l’invisible de la parole en regardant cette fois non pas un tableau mais la reproduction photographique de la transversale absente et pourtant visible de la croix de l’église Notre Dame de l’Espérance.
Après cela nous avons cherché ce qu’une toile avait à nous dire en regardant les œuvres de deux peintres contemporains.
Le philosophe Patrice Loraux nous a amené à entrer par le regard dans un tableau (Le Narcisse du Caravage) avec les mêmes critères que l’on entre dans la foi par l’écoute selon les exercices spirituels d’Ignace de Loyola.
La dernière fois nous avons fait dialoguer ceux qui parlent par la peinture et ceux qui écoutent ce que l’image a à nous dire.
Aujourd’hui Jean-Michel Louka, psychanalyste, va nous montrer comment intervient l’inconscient dans cette articulation du regard et de l’écoute … Regarde t’on avec la tête ou avec le cœur et quand on écoute est-ce avec la tête ou avec le cœur ? Est-ce que le peintre peint avec sa tête ou avec son cœur ? Adhère- t’on à la foi avec la tête ou avec le cœur ?
Jean-Michel Louka va tenter de nous le montrer car la parole du psychanalyste est comme la parole de Dieu … « énigmatique » … Ce, afin de chercher les réponses par nous-mêmes.
Jean-Michel LOUKA
La psychanalyse (et son psychanalyste), discipline de la parole, du sujet et du désir, n’est cependant pas sans questionner, à travers la peinture (et son peintre), le regard. En retour elle se laisse elle-même bien volontiers interroger à partir de celui-ci, au moyen de l’image, du tableau qui, en somme, lui aussi,…la regarde.
Nous allons essayer, un tout petit peu, d’approcher comment discipline de la parole (la psychanalyse) et discipline du regard (la peinture) paraissent s’entretenir mutuellement d’un constant renvoi de l’image au son, de l’œil à l’oreille, de l’Autre au Sujet, dans un exercice de l’esprit propre à chacune.
En 1982, dans son cours sur L’herméneutique du sujet , Michel Foucauld lançait en direction de tous les psychanalystes une proposition qui attend toujours son effet. Leur disant que la psychanalyse n’avait pas su se penser « dans […] l’existence de la spiritualité et de ses exigences ». Ainsi, laissait-il entendre, elle se serait oubliée, perdue, à partir de ce qu’elle est en fait réellement : une expérience spirituelle, au moyen de laquelle, et par le biais d’un autre, le sujet opère sur lui-même les justes transformations nécessaires pour le faire accéder à sa vérité. Rien de moins. Rien de plus non plus. Seul Lacan, ajoutait Foucauld, n’aurait pas participé de cet oubli.
Mais, ceci, nécessitait une condition… Qu’exit la fonction psy, nommée telle par Michel Foucauld le 9 janvier 1974 dans Le pouvoir psychiatrique . Car la psychanalyse n’a au fond que faire de ce radical « psy », qui court de la psychiatrie à la psychologie en passant par la psychothérapie. La psychanalyse n’est pas une psychologie et n’appartient pas à la médecine. De plus, ajoutait Lacan, dans la psychanalyse, il n’y a rien à « psychothérapier ». Elle n’est pas non plus un art, ni le psychanalyste un artiste. Elle n’est pas une religion, malgré parfois certains penchants. Moins encore une magie malgré parfois quelques apparences aussi. Ni science (au sens actuel), ni délire (on l’espère), ni religion, ni magie, la psychanalyse ne participe pas - ou ne devrait pas participer - de et à la fonction psy. Son statut serait plutôt, plus précisément, celui d’un exercice spirituel et devrait ainsi être renommée « spychanalyse » , comme le disent d’ailleurs spontanément les enfants et les gens dits peu cultivés. Ce qui ferait y entendre un autre radical que le radical de la « fonction psy », le radical « spy », le « spi » du spirituel.
La psychanalyse a dû, dès son départ, tenir compte des effets de l’image sur les sujets, les « parlêtres » comme les appellera un dénommé Jacques Lacan. Ces effets ont interrogé Freud. Ils relèvent souvent de l’énigme et engendrent la perplexité. L’art - et la peinture tout spécialement, s’en empare dans ses créations pour atteindre le spectateur dans son intimité ; la psychanalyse, quant à elle, cherche à les éclairer. Dans les deux cas, l’une allant vers l’autre, et réciproquement, elles se croisent au sein de que l’on peut appeler une ouverture à l’Autre. Elle y est notamment conduite, nommément la psychanalyse, lorsqu’il apparaît que l’image est une source de souffrance : le névrosé ordinaire, c’est-à-dire vous et moi, le psychotique, c’est-à-dire le fou, peuvent souffrir, dans des circonstances précises, de l’image qui, alors, le fascine ou le persécute.
Dans La Science des rêves, Freud élabore la théorie et la clinique d’un sujet humain clivé, que Lacan appellera divisé : dans son sommeil, le dormeur est soumis à une véritable passion des images – passion voulant dire ici joie mais aussi souffrance, voire torture et persécution -, dont son inconscient et son préconscient sont pourtant bien les organisateurs. La rédaction de ce livre inaugural de Freud, véritable acte de naissance de la psychanalyse, qu’il aura voulu faire paraître en 1900, n’est-elle pas contemporaine, au tournant du siècle, de l’invention du cinéma par les frères Lumière ? Contemporaine aussi d’une révolution, également, dans la peinture, l’expressionnisme, qui privilégie la subjectivité et l’intensité de l’expression, la libération pulsionnelle des émotions, l’exacerbation de la couleur, l’écriture libre, le rejet des tabous, le refus du réalisme objectif, l’expression de l’élan vital en tant qu’énergie,… et dont un Edvard Munch, le peintre de l’angoisse et de la mort est un précurseur (voir l’exposition toujours actuelle à la Pinacothèque de Paris, sous le signe ou la consigne de toute l’œuvre,… sauf Le cri !). Jusqu’à l’art abstrait (l’abstraction géométrique ou conceptuelle ; l’abstraction lyrique ou gestuelle), la peinture non figurative, ou encore le cubisme d’un Picasso, d’un Braque, etc. ?
L’interprétation du rêve est censée remonter dans les méandres et les rouages de sa production qui peine souvent, à l’instar d’un travail réel dit « travail du rêve » (le travail du rêve, c’est la transformation des « pensées latentes » du rêve, - en termes modernes et lacaniens, du « désir inconscient » que véhicule le rêve, en « contenu manifeste », ce qui vous en reste quand vous vous réveillez, souvent des bribes, des éléments apparemment absurdes, arrangés d’une manière telle qu’ils sont incompréhensibles : à ce stade la censure a bien fait son travail pour protéger votre moi). Le travail du psychanalyste vise à soumettre l’image à l’écriture retrouvée des pensées du rêve que cette image représente. C’est l’écriture qui intéresse le psychanalyste, afin de lire ces « pensées » avec son analysant et ainsi lui permettre de se les réapproprier. Mais la représentation n’est pas toujours et systématiquement l’image et l’image n’est pas toujours et systématiquement représentation. Re-présenter, c’est présenter à nouveau, tel le sujet dont Lacan dit qu’il est représenté par un signifiant, pour, non pas un autre sujet, mais représenté pour un autre signifiant. Un signifiant, c’est la matière sonore d’un mot : si je vous dis « lai » qu’allez-vous entendre ? Quelle image acoustique allez-vous retenir ? S’agit-il, pour vous, de « laid » la laideur ? De « lai » comme on dit frère de lai ? De lait, le lait de vache ou de chèvre ? Vous entendrez ce que vous voulez, selon vos préoccupations personnelles plus ou moins inconscientes. Il faut écrire cette matière sonore en un mot orthographié, ici, dans la langue française, pour arrêter l’ambiguïté, l’équivoque. Ainsi, le sujet, sans jamais être substantivé, sans jamais être représenté par un substantif grammatical, tel un furet court d’un signifiant à l’autre, bien que restant parfaitement sans image. Alors que l’image est plutôt du côté de la fixité, de la permanence. Un ambassadeur, illettré et stupide – cela peut arriver -, peut très bien représenter son pays, à condition qu’il fasse tenir l’image de ce dernier dans un apparat qui sied à celui-là, le pays d’origine, pour celui-ci, son pays d’accueil. L’image, on le voit, dans le rêve semble donc être, in fine, serve du logos, au service de, mais d’une servitude frappée d’un certain archaïsme : le rébus du rêve, - le rêve est assimilé par Freud à un rébus, donc à décrypter -n’est-il pas comparé aussi par Freud aux hiéroglyphes ? A dé-chiffrer comme tel.
Lacan construira un autre modèle, un autre paradigme pour la psychanalyse que Inconscient – Pré-Conscient/Conscient (1ère Topique freudienne) ou Moi-Ça-Surmoi (2è Topique) -. Il introduit dans la psychanalyse un paradigme ternaire (Freud était resté entre binaire et ternaire) : RSI, Réel, Symbolique et Imaginaire. Le Symbolique c’est le champ de la parole et du langage, le Réel c’est l’impossible, impossible à imaginer, impossible à symboliser, à attraper avec le signifiant, le langage. Enfin, l’Imaginaire, c’est le domaine de l’image et de sa puissance aujourd’hui dominante, c’est-à-dire du moi et de son renforcement, du narcissisme, de la présentation de soi et de la représentation aussi, quand on dit que l’on est « en représentation » -. Et il introduira aussi deux termes non freudiens, la vérité et le sujet, qui fleurent bon la question spirituelle. C’est ainsi que Lacan se servira de celui-ci pour parfaire les interprétations de Freud concernant certains rêves, tel celui, célèbre dit communément de la triméthylamine : il reprend, avec ces trois catégories RSI ce rêve longuement analysé par Freud et intitulé « l’injection d’Irma ». Freud avait rêvé qu’à une réception il reproche à une patiente de ne pas avoir accepté sa « solution ». Devant ses douleurs, il prend peur et se demande s’il n’a pas laissé échapper un symptôme organique. Il veut l’examiner et elle manifeste sa résistance. Divers collègues sont là et donnent leur avis. Freud voit au fond de la gorge d’Irma « de larges escarres blanc grisâtre ». L’infection vient d’une injection faite par un collègue et ami, Otto, d’une préparation de triméthylamine, vraisemblablement avec une seringue souillée. Ici le niveau imaginaire est celui de la rivalité (l’erreur a été faite par un collègue, ouf !), le Réel du corps se trouve approché malgré la résistance pudique d’Irma, quant au Symbolique, c’est celui de la lettre : Freud voit la formule chimique de la triméthylamine, produit de la décomposition du sperme, - la scène est manifestement à évocation sexuelle -, formule écrite devant lui en caractères gras, ce qui sans doute représente, c’est une image, une façon de ne pas en rester, dans le rêve, à l’horreur de la rencontre avec le Réel de l’ouverture du corps, la gorge d’Irma, offerte au regard du médecin, mais aussi, au-delà, de l’homme Freud.
Comme on le voit, dans la psychanalyse, c’est la pensée et finalement le langage (la lettre) qui dépassent l’image et vont la dominer. Seul le sujet, dans sa foncière « stupidité » comme s’exprime Lacan, la regarde avec fascination, sans rien y comprendre jusqu’à ce que le sens du rêve lui soit révélé par le travail analytique (analysein, dénouer). Ce sens, notons-le, ne s’atteint que par les mots, la parole qui, en quelque sorte, dé-fixe alors l’image.
Cependant, on trouve aussi chez un Freud une autre attitude, un rapport tout différent à l’image, opposé au précédent, où le découvreur de l’inconscient se montre touché par une image dont le sens se dérobe plus longtemps que celui du rêve. Cette image, en quelque sorte, le regarde. Cette passion-là commence déjà quand Freud s’intéresse au « souvenir-écran » ou plutôt comme disent les nouvelles traductions plus littérales le « souvenir-couverture » , qui égare le sujet par le caractère outré de certains détails, - le jaune en relief des pissenlits, le goût délicieux du pain, détails qui trahissent par la satisfaction quasi hallucinatoire qu’ils procurent la falsification tendancieuse qui les a créés pour les substituer aux impressions choquantes ou désagréables refoulées. Pour Freud c’est un fantasme inconscient transformé en souvenir à partir d’une trace mnésique réelle qui va à sa rencontre. Ce type de souvenir se réduit le plus souvent à une scène, dans laquelle s’introduit le sujet, c’est donc aussi une image, qui en plus peut très bien faire « tableau », une scène qui fait écran à quelque chose d’essentiel situé derrière, pressentie mais inatteignable sans le concours du verbe mis en œuvre dans les associations les plus libres. C’est donc une image, ici, qui résiste un peu plus qu’un rêve à son déchiffrage. Lacan caractérisera le souvenir-écran comme un « arrêt sur image » cinématographique et le mettra dans un rapport structural avec le fétichisme.
Plus coriace encore, cet autoportrait de Luca Signorelli, le peintre du Jugement dernier, fresque que Freud avait visitée dans le Duomo d’Orvieto. Son oubli du nom du peintre lors d’un voyage en Dalmatie contraste d’une façon étrange avec la luminosité d’une parcelle des fresques qui semble le narguer, comme si l’image gardait ici le dernier mot, ne voulant pas céder à la révélation des mots situés derrière, voire en ce cas d’un nom propre. Mais, plus Freud avance dans son œuvre, plus il est attiré par des peintures ou par des sculptures qui renferment un message qui lui échappe. Ainsi son interprétation trop subjective voire symptomatique du Moïse de Michel-Ange ne cesse d’être réfutée par les historiens d’art. En avançant que Michel-Ange avait voulu représenter un Moïse capable de maîtriser ses affects et pulsions, en qui l’esprit l’emporterait sur la matière, Freud anticipe sur son propre Moïse, fondateur du monothéisme juif et sur l’aversion des images comme la condition d’une spiritualité exceptionnelle reconnue aux Juifs. N’est-ce pas ici la réponse radicale de Freud à la force envoûtante de l’image ? Miser sur le vif des mots pour se désenvoûter de la fixité mortifère de l’image.
Au point où nous en sommes, l’on a d’une part, l’image dont le sens se laisse dévoiler même s’il se soustrait d’abord au sujet comme dans le rêve ou d’autres formations de l’inconscient et, d’autre part, l’image qui excède le discours, qu’elle soit porteuse des effets esthétiques les plus divers ou productrice de symptômes qui laissent les sujets bouche bée, muets de stupeur. C’est bien à propos de cette dernière que l’on parle de la force envoûtante de l’image. C’est de celle-ci encore que sont nés les conflits autour de la peur des effets passionnels qu’elle entraîne potentiellement sur les sujets. Le plus célèbre des conflits, la plus connue des controverses, s’est appelée, en Orient puis en Occident, la querelle des images, les divers iconoclasmes qui ont eu lieu dans le judaïsme, le christianisme byzantin, puis catholique en Occident, puis protestant, mais aussi dans le monde musulman.
Le rêve montre, mais, plus généralement, l’image donne aussi dans l’injonction de voir, sans qu’il soit toujours possible de déterminer le destinataire de cette injonction. Les recherches sur la dévotion chrétienne devraient à cet égard apporter des enseignements riches de paradoxes et de surprises. L’image se fait le vecteur de toutes sortes de volontés religieuses ou politiques. Elle a aussi la fonction d’assouvir la pulsion, ne serait-ce que partiellement et momentanément, faisant partie des montages qui la supportent. Une image peut ainsi, par exemple, véhiculer les impératifs du surmoi « obscène et féroce » (comme le dit Freud) – la jouissance masturbatoire quasi obligatoire suggérée impérativement par les sites pornographiques sur Internet en est un exemple -, et contribue quelquefois à cette inflation visuelle qui nous rend, paradoxalement… aveugle ! (Pas sourd, comme le croyait nos grands-mères !)
Ainsi l’image peut se trouver fonctionner comme pur signifiant, c’est-à-dire comme représentant le sujet peignant pour un autre signifiant : dans un tableau comme Le cri d’Edvard Munch, que l’on abordera plus loin, le cri représente le sujet (Edvard Munch ?) pour le silence. A l’inverse, le signifiant ne peut être rencontré, dans un premier temps, que comme effet de signifiant, c’est-à-dire le signifié sous sa forme de pure image, dans une bulle à part de la bande dessinée, un paysage, par exemple, évoqué par le dire d’un personnage, ou bien le sourire de Mona Lisa, image énigmatique qui fera parler durant plusieurs siècles après, donc produire à nouveau des signifiants à partir d’une image muette. L’image du sourire de Mona Lisa est le signifié (l’image de sa personne) là ou « La Joconde » est le signifiant articulé par Léonard peignant, le représentant, lui, Léonard, pour un autre signifiant, Mona Lisa. Raison pour laquelle, il ne pourra jamais se défaire de ce tableau, le remettre à Mona Lisa, car sans doute par trop révélateur de ce qu’il énonce et révèle de son énigmatique désir inconscient de sujet.
Psychanalyse et peinture ont ainsi bien des liens, et la seconde a de multiples raisons de se méfier de la première qui lit (du verbe lire) en elle, c’est-à-dire interprète, mais lie aussi (du verbe lier) à travers elle deux ouvertures à l’Autre, inconciliables assurément, quoique…
Il y a, donc, bien de quoi se méfier de la psychanalyse… C’est ce que fait, entre mille autres artistes, un Magritte…
René Magritte, à la question personnelle à lui adressée : « Pourquoi une telle méfiance envers la psychanalyse ? », répondît : « Elle ne permet d’interpréter que ce qui est susceptible d’interprétation. L’art fantastique et l’art symbolique lui offrent de nombreuses occasions d’intervenir : il y est beaucoup question de délires plus ou moins évidents. L’art tel que je le conçois est réfractaire à la psychanalyse. Il évoque le mystère sans lequel le monde n’existerait pas, c’est-à-dire le mystère qu’il ne faut pas confondre avec une sorte de problème, aussi difficile qu’il soit. Je veille à ne peindre que des images qui évoquent le mystère du monde. Pour que ce soit possible, je dois être bien éveillé, ce qui signifie cesser de m’identifier entièrement à des idées, des sentiments, des sensations. Le rêve et la folie sont, au contraire, propices à une identification absolue. Personne de censé ne croit que la psychanalyse pourrait éclairer le mystère du monde. Elle n’a rien à dire, non plus, des œuvres d’art qui évoquent le mystère du monde. Peut-être la psychanalyse est-elle le meilleur sujet à traiter par la psychanalyse. »
Sans doute, et c’est ce qu’elle fait de toujours, mais pourquoi ne s’interrogerait-elle pas, elle aussi, sur le mystère du monde ? La science, la religion et…les oeuvres d’art ne le font-elles pas sans entraves ?
***
Nous allons nous intéresser plus particulièrement au Cri d’Edvard Munch, que Lacan commente dans son séminaire de 1964-1965, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse à la séance du 17 mars 1965 et où il s’agira, en fait, pour vous résumer le propos, du « cri de la demande » et du « silence du désir ».
Déjà, toujours pour mieux vous faire sentir cette réciprocité, cet exercice croisé entre le tableau-regard (le tableau est regard) peignant, je dis cela comme ça, car le tableau semble aussi se peindre, s’imprimer en l’Autre, y pénétrer activement, et son spectateur regardé-œil regardant (comme lieu d’impression du tableau) se projette et s’introduit en lui comme le sujet dans le souvenir-écran, à la séance du 4 mars 1964 de son séminaire Les fondements de la psychanalyse , Lacan énonce ceci :
« Sans doute, au fond de mon œil, se peint le tableau. Le tableau, certes, est dans mon œil. Mais moi, je suis dans le tableau. »
Lacan ne se livre jamais, comme le faisait Freud, à une psychanalyse appliquée. Il se laisse enseigner par ce que le montage du tableau révèle de la représentation du sujet. Il n’effectue donc jamais aucune psychobiographie. Cependant les dires du peintre peuvent entrer en résonnance avec sa composition. Un bon exemple, ici, serait celui du point ou du point-tache de « la tache rouge » de Wassily Kandinsky peintre et théoricien de la peinture, Kandinsky qui, par ailleurs, crût fermement en l'avènement d'un monde totalement spiritualiste, en opposition au rationalisme ou au cartésianisme. Lacan, lui, insiste sur la préséance du regard, le sujet étant représenté sous ce regard.
A la séance du 19 février 1964 de son séminaire Les fondements… (1964) , Lacan énonce :
« Dans notre rapport aux choses, tel qu’il est constitué par la voie de la vision, et ordonné dans les figures de la représentation, quelque chose glisse, passe, se transmet, d’étage en étage, pour y être toujours à quelque degré éludé – c’est ça qui s’appelle le regard.
Pour vous le faire sentir, il y a plus d’un chemin. L’imagerai-je, comme à son extrême, d’une des énigmes que nous présente la référence à la nature ? Il ne s’agit rien de moins que du phénomène dit du mimétisme.
Là-dessus, beaucoup a été dit, et d’abord beaucoup d’absurde - par exemple que les phénomènes du mimétisme sont à expliquer par une fin d’adaptation. Ce n’est pas mon avis. Je n’ai qu’à vous renvoyer, entre autres, à un petit ouvrage que beaucoup d’entre vous connaissent sans doute, celui de Caillois intitulé « Méduse et compagnie », la référence adaptative est critiquée d’une façon particulièrement perspicace.
Et pour tout dire, comme le rappelle Caillois avec beaucoup de pertinence, s’agissant de telles manifestations mimétiques, et spécialement de celle qui peut nous évoquer la fonction des yeux, à savoir les ocelles, il s’agit de comprendre si ils impressionnent - c’est un fait qu’ils ont cet effet sur le prédateur ou la victime présumée qui vient à les regarder – si ils impressionnent par leur ressemblance avec des yeux, ou si au contraire, les yeux ne sont fascinants que de leur relation avec la forme des ocelles. Autrement dit, ne devons-nous pas à ce propos distinguer la fonction de l’œil et celle du regard ?
Cet exemple distinctif, choisi comme tel – pour sa localité, pour son factice, pour son caractère exceptionnel – n’est pour nous qu’une petite manifestation d’une fonction à isoler – celle, disons le mot, de la tache. Cet exemple est précieux pour nous marquer la préexistence au vu d’un donné-à-voir. J’entends,[…] que nous sommes des êtres regardés, dans le spectacle du monde. Ce qui nous fait conscience nous institue du même coup comme speculum mundi. N’y a-t-il pas de la satisfaction à être sous ce regard […], ce regard qui nous cerne, et qui fait d’abord de nous des êtres regardés, mais sans qu’on nous le montre ?
Qu’est-ce à dire ? – sinon que, dans l’état de veille, il y a élision [c’est-à-dire suppression ] du regard, élision de ceci que, non seulement ça regarde, mais « ça montre ». Dans le champ du rêve, au contraire, ce qui caractérise les images, c’est que « ça montre » ».
Juste notation clinique de Lacan : quand je rêve, les images, activement, ça montre, en effet,…et je regarde pour m’interroger : que puis-je y comprendre de ce que ça (me) montre ? Alors qu’à l’état de veille, lors d’une exposition, certains tableaux exposés ça me regarde, donc je regarde le tableau, mais jusqu’à oublier, qu’aussi, ça montre !
Cependant, interrogeons-nous, comment cela lui vînt, à lui, Edvard Munch, cette histoire du cri dont il fait tableau ? Dans son Journal daté de Nice, le 22/01/1892, Munch écrit comme un poème :
« Je me promenais avec deux amis / le soleil se couchait / J’éprouvais comme une bouffée de mélancolie / Soudain le ciel s’enflamma d’un rouge sang / Je m’arrêtai, appuyé à la balustrade las à en mourir / regardai les nuées qui flamboyaient comme du sang et des épées / au-dessus du fjord d’un bleu sombre et de la ville / Mes amis s’éloignèrent / je restai tremblant d’angoisse / et je perçus comme un long cri sans fin traversant la nature
il arriva qu’un homme, me demande ce que je pensais de cet air / cela ressemble à une couverture sanglante / C’était pour rendre un état d’esprit déchiré / éprouvé par un être humain à un certain instant / Dans cet état d’esprit l’air lui paraissait à l’heure du soleil couchant / comme une masse sanglante oppressante / qui pesait sur son nerf optique altéré par la nervosité et l’angoisse / En peignant l’air et le paysage tels qu’il les voyait lui et à ce moment-là / j’exprimai son état d’esprit / Sans la peur et sans la maladie, ma vie serait comme un bateau sans rame.
Lorsque je me promène au clair de lune, entre ces œuvres anciennes recouvertes de mousse dont chacune m’est maintenant parfaitement connue, je m’effraie au spectacle de ma propre ombre. Une fois la lumière allumée, je vois tout à coup mon ombre énorme, qui s’étend sur la moitié du mur et monte jusqu’au plafond. Et dans le grand miroir suspendu au-dessus du poêle, je me vois moi-même, ma propre face de revenant. Et je vis avec les morts, ma mère, ma sœur, mon grand- père et mon père, surtout avec lui. Tous les souvenirs, jusqu’aux plus petites choses, remontent.
En vérité, mon art est une confession que je fais de mon plein gré, une tentative de tirer au clair, pour moi-même, mon rapport avec la vie. C’est au fond une forme d’égoïsme, mais je ne renonce pas à espérer qu’avec son aide, je parviendrai à aider d’autres gens à se comprendre. »
Autrement dit, il s’agit bien ici d’un exercice spirituel… !
Lacan, dans son séminaire Problèmes cruciaux pour la psychanalyse , à la séance du 17 mars 1965, va dire :
« […] j’espère que l’objet, que j’ai fait tout à l’heure circuler dans vos rangs, à savoir la reproduction du tableau célèbre d’Edvard Munch qui s’appelle Le cri, est quelque chose, une figure qui m’a semblé propice à, pour vous, articuler un point majeur, fondamental sur lequel beaucoup de glissements sont possibles, beaucoup d’abus sont faits et qui s’appelle : le silence.
Le silence, il est frappant que, pour l’illustrer, je n’ai pas trouvé mieux à mon sens que cette image, que vous avez tous vue, je pense maintenant et qui s’appelle Le cri. Dans ce paysage singulièrement dessiné, dépouillé par le moyen de lignes concentriques, ébauchant une sorte de bipartition dans le fond, qui est celle d’une forme de paysage à son reflet, un lac aussi bien formant trou est là au milieu, et au bord, droite, diagonale, en travers, barrant en quelque sorte le champ de la peinture, une route qui fuit. Au fond, deux passants, ombres minces qui s’éloignent dans une sorte d’image d’indifférence. Au premier plan cet être… cet être dont, sur la reproduction qui est celle du tableau, vous avez pu voir que l’aspect est étrange, qu’on ne peut même pas le dire sexué.
Il est peut-être plus accentué dans le sens d’un être jeune et d’une petite fille dans certaines des redites qu’en a faites Edvard Munch, mais nous n’avons pas de raison spéciale de plus en tenir compte.
Cet être, cet être ici dans la peinture d’aspect plutôt vieillot – au reste forme humaine si réduite que pour nous elle ne peut pas même manquer d’évoquer celles des images les plus sommaires, les plus rudement traitées de l’être phallique – cet être se bouche les oreilles, ouvre grand la bouche, il crie.
Qu’est-ce que c’est que ce cri ? Qui l’entendrait, ce cri que nous n’entendons pas, sinon justement qu’il impose ce règne du silence qui semble monter et descendre dans cet espace à la fois centré et ouvert ? Il semble là que ce silence soit en quelque sorte le corrélatif qui distingue dans sa présence ce cri de tout autre modulation imaginable. Et pourtant, ce qui est sensible c’est que le silence n’est pas le fond du cri. […] littéralement, le cri semble provoquer le silence, et, s’y abolissant, il est sensible qu’il le cause, il le fait surgir, il lui permet de tenir la note. C’est le cri qui le soutient, et non le silence le cri. Le cri fait en quelque sorte le silence se pelotonner, dans l’impasse même d’où il jaillit, pour que le silence s’en échappe. Mais c’est déjà fait quand nous voyons l’image de Munch. Le cri est traversé par l’espace du silence, sans qu’il l’habite. Ils ne sont liés ni d’être ensemble ni de se succéder. Le cri fait le gouffre où le silence se rue.
[…]Néanmoins ce silence, en quelque sorte dénoté dans sa fonction musicale, aussi intégré au texte que peut l’être, dans ses variétés, le silence dont le musicien sait faire un temps, aussi essentiel que celui d’une note soutenue, de la pause ou du silence, est-ce là quelque chose que nous puissions nous permettre d’appliquer seulement au fait de l’arrêt de la parole ?
Le « se taire » n’est pas le silence. « Sileo » n’est pas « taceo ».
Plaute quelque part dit aux auditeurs, comme c’est l’ambition de tout un chacun qui sait ou veut se faire entendre : « Sileteque et tacete atque animum aduortite », « faites attention », « faites le silence » et « taisez-vous »…ce sont deux choses différentes.
La présence du silence n’implique nullement qu’il n’y en ait pas un qui parle.
C’est même dans ce cas-là que le silence prend éminemment sa qualité, et le fait qu’il arrive que j’obtienne ici quelque chose qui ressemble à du silence, n’exclut absolument pas que peut-être, devant ce silence même, tel ou tel s’emploie dans un coin à le meubler de réflexions plus ou moins haut poussées. La référence du silence au « se taire » est une référence complexe. Le silence forme un lien, un nœud fermé entre quelque chose qui est une entente et quelque chose qui, parlant ou pas, est l’Autre, est ce nœud clos qui peut retenir quand le traverse, et peut-être même le creuse, le cri.»
Il est ainsi singulier de noter, précise le psychanalyste Jean-Louis Sous, « que c’est à propos de l’analyse de la demande, du creux qu’elle peut receler et de l’approche du silence en analyse que Lacan fait référence à ce tableau de
Munch.
Paradoxalement, nous dit-il, ce n’est pas sur fond de silence que surgit le cri mais c’est l’effet inverse qu’il retient : c’est la portée du cri qui creuse un gouffre de silence tout autour en trouant la compacité du paysage. Le silence s’engouffre dans cette trouée, cette aspiration pulsionnelle qui passe dans le jeu de la parole entre pause, retenue, et flot de la verbalisation.»
ECHANGE AVEC LA SALLE :
PL : merci Jean-Michel ; tu as été à la hauteur d’un psychanalyste et il faudra relire ton texte car il est dense ? Ce sera possible sur mon blog « lemant-peinture-spiritualité.blogspot.com »
PL : le psychanalyste est-il un magicien ou un illusionniste qui transforme les images en mots ou du moins qui nous aide à le faire ? L’interprétation des rêves, fondement de la psychanalyse instauré par Freud, est le paradigme de cette transformation mais la psychanalyse s’adresse à des sujets et non pas à une œuvre. Nous sommes des « parl’êtres » dit Lacan, sujets de parole ; le psychanalyste peut aider à interpréter la parole d’un sujet mais pas l’image d’une œuvre. L’inconscient n’a que faire des contradictions ; sa logique, car il est logique, n’est pas la logique habituelle. Ce n’est pas une traduction mais un accompagnement.
Peut-être aurait-il été plus facile pour suivre de vous faire raconter un rêve et JM Louka vous aurait aidé à trouver les mots qui vous auraient permis d’échapper à l’incompréhension et à la fixité de l’image. Les images nous envoûtent ; poids des mots, choc des photos, disons nous aujourd’hui. C’est, donc, pour échapper à cette « force envoûtante des images » ainsi que le dit Freud, que ce dernier à parlé de l’ « aversion des images » comme condition d’une spiritualité exceptionnelle reconnue aux juifs.
Cette transformation d’images en mots est aussi ce qui se passe quand, à l’atelier de peinture d’Olivier, nous mettons des mots sur les images que les autres ont peintes … n’est-ce pas Colette, Annie, Jacques, Marie-France, Christian, Michèle, tous mes amis peintes qui sont là ?
Annie : « L’inconscient fonctionne, celui du peintre et aussi celui du regardeur. J’avais peint une toile où Philippe a vu une femme tenant un nouveau-né sur son bras alors que je n’avais pensé qu’à Mona Lisa … et voilà que ma fille venait de mettre un bébé au monde ». Intuition ou inconscient d’Annie et de Philippe ; d’inconscient à inconscient ça passe !
PL : Magritte se méfie de la psychanalyse car il veut respecter le mystère du monde, le mystère questionne et les questions font vivre. La psychanalyse peut interroger le mystère du monde mais elle ne peut l’éclairer … heureusement !
JML : La psychanalyse aide à l’interprétation pour ceux qui le demandent mais la peinture se suffit à elle-même, elle est déjà une interprétation du monde et il n’est pas besoin d’en rajouter. Ne pas faire de la psychobiographie de l’auteur même si cela a été fait.
X : la peinture est-elle une psychothérapie ? Cela peut suffire et à respecter comme telle, pour se désangoisser … mais surtout ne pas toucher à ça, sinon voir un psychothérapeute !
Xavier : au vu du tableau de Munch, le « Cri », devant cet être qui se bouche les oreilles, je pense au bruit tonitruant lors des matchs de foot de la coupe du monde. JML : le tableau a fonctionné pour toi comme un signifiant, l’image a signifié le bruit des trompettes du stade.
PL c’est le regard de Xavier qui a eu la propriété de signifier. Chacun a un regard différent sur une image et l’on a pu dire qu’il y a 6 milliards de regards sur un tableau ! C’est la confrontation de ces regards qui est enrichissant. C’est en cela, par cette ouverture à l’autre, que nous sommes sur un chemin de spiritualité.
Anne-Lise : Munch a pensé, et l’a dit, c’est l’explosion d’un volcan au Japon qui a coloré de rouge sang le ciel que Munch a peint. Faut-il y voir autre chose ? PL : question fondamentale : faut-il s’intéresser à ce qu’a voulu dire l’auteur ou à ce que nous désirons y voir ? La réponse ne m’appartient pas. Munch, qui a écrit un superbe poème sur son tableau, ne parle pas d’un volcan et il semble s’agir d’u volcan intérieur chez un homme qui se dit « mélancolique ».
X : ce tableau ne me plait pas. JML : et pourtant c’est une œuvre et ça se transmet ; il y a quelque chose qui nous touche.
X : j’ai été choqué, interpellé devant ce tableau puis j’ai cherché ce qu’il voulait nous dire. PL : émotion d’abord devant la force de l’image puis effort de réflexion pour y échapper … vous n’avez pas eu besoin d’un analyste pour faire ce travail.
PL : Est-ce un cri ou un silence que l’on ressent devant cette toile ? JML : en tous cas le couple cri / silence.
PL : comment s’articule ce couple ? Cela me fait penser au programme de l’Institut Biblique de Versailles « Le cri des prophètes » que l’on peut opposer au silence de Dieu.
La psychanalyse, tu nous l’as bien montré, est un acte spirituel.
Merci Jean-Michel de nous avoir fait avancer sur ce chemin de spiritualité, c’était le but de ce cycle. Merci
Huitième séance: Jeudi 30 septembre 2010 à 20H30
Conférence Lemant - Grand d'Esnon
Merci d'être venu cheminer avec nous dans la spiritualité.
N'ayant aucun titre à parler de la spiritualité, j'ai demandé, et eu la joie d'obtenir du nouveau pasteur de la paroisse protestante, Philippe Grand d'Esnon (un autre Philippe), une aide dans cette démarche.
Mais, comme il s'est agit d'une démarche collective, j'ai besoin de votre aide à tous.
Il y aura donc un échange après les topo des deux Philippe ... et de plus, ne partez pas avant la fin, un « verre de contact » est prévu à
l'occasion de la remise solennelle de l'ex-voto au Centre-Huit par les artistes Cécile Orsoni et Laetitia Mérijon
Audio-Visuel
Regard et parole : « Ecoute voir » ... « Tu vois ce que je veux dire » ... « cette toile me parle » ... on s'emmêle les pinceaux ... ce qui pour un peintre est un comble !
Parole et image ... c'est un audio-visuel. Merci d'être venus pour cet audio-visuel ...
Néanmoins, puisqu'il s'agit d'un audio-visuel, je ne vais pas me cacher derrière pour délivrer la parole mais me montrer en même temps, double astreinte et double présomption.
l
Désireux de cheminer vers la spiritualité je me suis replongé dans la Bible, le début, la Génèse.
Il se trouve que la Bible est, elle-même, un audio-visuel ... Il n'y a plus qu'à projeter.
Vous êtes là ... dans votre fauteuil ... prêts pour la projection ...c'est le « commencement » Gn1 .. l'écran s'allume mais tout est « ténèbres » .... On n'entend que le souffle de l'Esprit planant sur les eaux...shhhhh...............Puis dans ce silence une Voix retentit « que la Lumière soit ».
Entendre et voir !! Gn3 « Dieu dit » .... Gn4 « Dieu vit » que la lumière était bonne.
Côté visuel : c'était le soir du premier jour, la journée commençant le soir, et c'est au soir que Dieu fit la lumière. ..... Remarquez que ce n'était pas la lumière qui permet de voir ... celle-ci étant crée au soir du 4ème jour ... la première lumière, Lumière avec une majuscule, est le principe divin, la force initiale, l'électricité que Dieu installe pour allumer à J4 et y voir la nuit. ...Dieu vit que la Lumière était bonne. La Lumière de J1 permet d'y voir clair dans ce qui est dit, ce qui est dit dans les Ecritures, c'est la vision que Dieu propose.
La lumière de J4, plus simplement, permet d'y voir clair dans la recherche sa clef perdue, c'est la vue dont l'homme dispose.
Distinguons le « vu » et la « vision ». La vue n'est pas la vision et le regard que Dieu porte sur sa création transforme sa vue en vision et « Il vit que cela était bon ».
Pour le peintre aussi son regard change ce qu'il voit en une vision.
Quand l'appareil de photo ne voit que ce qu'il voit, le peintre, lui, voit autre chose ; il a une vision de ce qu'il voit et c'est là que l'on voit sa personnalité.
Côté audio écoutez la bande son, ça continue « Au commencement était le verbe », la parole et Dieu n'arrête pas de dire, de dire de sa parole efficace ... quelques dires et le monde est crée. La band son continue pour nous, mais en play-back car la Parole de Dieu est inouïe, in-ouïe et ceux qui la parlent en sont les prophètes et c'est aussi la lectio divina, les cantiques et psaumes...
Oh ! Ne me dites pas que c'est une historiette inventée par une petite peuplade du Moyen-Orient !
Toutes les légendes le racontent : un super sage raconte à Gilgamesh que pour faire le déluge le dieu Adad étendit dans le ciel son silence-de-mort réduisant en ténèbres tout ce qui était lumineux ............ la parole du Pharaon était reconnue comme efficace ... et la parole de Mardouk triompha du monstre marin dans la légende d'Enouma Elish.
Et, de fait, on a tous besoin d'en entendre et de voir : raconte-moi une histoire, laisse la lumière allumée !!! J'écoute et je vois !!!
Cheminer par étapes
Raconte-moi une histoire ! Eh bien voila, nous avons cheminé par étapes.
Le cycle s'est intitulé « Peinture et Spiritualité ». Il a tourné sur Image et Parole et tout au long de ce cycle P & S nous avons cherché comment s'articulent l'écoute de la parole et le regard sur la peinture. Il s'agit d'une double approche de la spiritualité par la lecture de l'image et l'écoute de la parole. Au centre huit nous avons l'habitude de cette écoute de la parole mais peut-être une réserve quant à l'usage des images, en tous cas pour cheminer vers la spiritualité ... d'autant plus que ce centre-huit est de sensibilité protestante.
C'est pourquoi nous avons commencé par une table ronde sur le statut de l'image réunissant par ordre chronologique le monde juif représenté par Mme Mireille Mentré, le monde catholique par le père JP Allouchéry, le monde protestant par le pasteur Flemming Fleinert-Jensen.
On a cru voir d'abord un conflit, juifs et protestants étant plutôt iconoclastes, catholiques plutôt iconophiles mais en fait l'opposition n'est pas apparue aussi tranchée.
En effet rabbins et biblistes pensent un Dieu au-delà de tout, inconcevable, inimaginable et donc in-imaginable, qu'on ne peut imager !
Cela dit l'homme ayant été crée « à l'image de Dieu » serait, lui-aussi, in-imaginable ... c'est, en tous cas, ce pourquoi il se connaît si mal.
Deuxième réunion : nous avons vu, sous nos yeux fascinés, s'élaborer, sous le regard du maître de l'atelier, Olivier Mérijon, par deux jeunes peintres, un ex-voto, choisi là encore pour notre propos de spiritualité. Nous avons essayé d'écouter ce qu'étaient les ex-voto tout en regardant s'effectuer cet ex-voto sous nos yeux. Cette seconde réunion a été consacrée aux ex-voto pour que l'on voie la simplicité, la naïveté, avec laquelle l'homme établit une relation à son Dieu : la représentation simultanée de l'homme et de la divinité permet à l'homme de ne pas être enfermé sur lui-même, l'image parle pour lui sans qu'il en soit fasciné.
Troisième réunion, le pasteur Jérôme Cottin nous a permis d'aller plus loin en nous faisant voir l'invisible dans le visible, une présence par une absence, comme la transversale de la croix dans l'église Notre-Dame de l'Espérance que tous nous avons vu alors qu'elle n'existait pas ; on peut dire que l'image parle !
Quatrième réunion : nous avons cherché ce qu'une toile avait à nous dire en regardant les œuvres de deux peintres contemporains
Cinquième réunion : le philosophe Patrice Loraux nous a amené à entrer par le regard dans un tableau (Le Narcisse du Caravage) avec les mêmes critères que l'on entre dans la foi par l'écoute selon les exercices spirituels d'Ignace de Loyola.
Sixième réunion : nous avons fait dialoguer ceux qui parlent par la peinture et ceux qui écoutent ce que l'image a à nous dire.
Septième réunion avec Jean-Michel Louka, psychanalyste :
Pourquoi « diable » ai-je demandé à un psychanalyste de nous parler de spiritualité ?
Ce n'était pas si fou, finalement, puisque Michel Foucault a lancé vers les psychanalystes le reproche de n'avoir pas su se penser « dans... l'existence de la spiritualité et de ses exigences » ... et seul Lacan n'aurait pas participé de cet oubli.
Alors, en quoi la psychanalyse serait une expérience spirituelle ?
Pour deux raisons : le travail d'exégèse et l'ouverture à l'autre.
-) Exégèse : exégèse de l'image et la psychanalyse fait mettre des mots sur des images.
De même que les rabbins et autres biblistes font l'exégèse de la parole, les psy font l'exégèse de l'image.
« L'interprétation des rêves » de Freud, parue en 1900, est le fondement de la psychanalyse. Il faut remarquer que cette parution est contemporaine de celle de l'expressionisme et du cinéma des frères Lumière (Lumière !!) ... importance de l'image, poids des mots, choc des photos !
L'exégèse sert à trouver du sens à ce qu'elle décrypte. Les rabbins cherchent au moins 77 interprétations de chaque mot et les psy cherchent à dévoiler le sens caché par l'inconscient qui trompe en mettant une image à la place d'une autre (de même qu'un train peut en cacher un autre). Léonard en peignant la « Joconde » peignait en fait Mona Lisa et il est probable que le sourire qu'il lui a décerné, si énigmatique, est une image révélant, sans qu'il le sache, son désir inconscient de sujet ... et c'est, sans doute, pour cela qu'il n'a jamais voulu s'en séparer.... Exemple d'interprétation.
L'exégèse sert au sujet pour accéder à sa vérité.
-) Vérité par ouverture à l'autre : la psychanalyse est une étude de la relation, relation au père, la mère, frère ... au travers de la relation analysant / analyste, ce qu'on appelle le transfert, transfert que l'on analyse.
Pour qu'une relation soit harmonieuse il faut que « ça » circule. Le « ça » ? Inspiration, Souffle ... Le souffle peut venir de l'intérieur du sujet ainsi que le pensent les analystes athées ou bien de l'extérieur, de Dieu, pour les analystes croyants. Peu importe, pour tous il faut que ça circule. Que l'on soit un pape de la psychanalyse ou pape du Vatican « n'ayez pas peur » ! Levez vos inhibitions ! Lâchez prise !
Ainsi le psychanalyste a pris le relai du clerc, directeur de conscience.
Ce pourquoi Jean Allouch répond à Michel Foucault qu'il faut parler de « spychanalyse » ainsi que le font les enfants et les peu cultivés.
Cela dit, psychanalyse ou spychanalyse, l'analyste s'adresse à un sujet et non à une œuvre. Nous avons vu et analysé le « Cri » de Munch, cri silencieux et assourdissant en même temps, où la toile fait silence mais ne se tait pas car faire silence n'est pas se taire et cela se voit !
La psychanalyse peut, en fait, interroger le mystère de l'œuvre mais elle ne peut l'éclairer.
Elle ne peut pas, non plus, analyser le sujet peintre Munch, même si cela a été fait !!
Chemin de tête, chemin du cœur
Si c'est un cheminement par ces deux voies de l'écoute et du regard c'est aussi un cheminement par les deux voies de l'intelligence et de la sensibilité, ou autrement dit, de la tête et du cœur.
Nous avons vu que l'on peut entrer dans un tableau soit avec le cœur soit avec la tête.
Entrer dans un tableau peut être le résultat d'un coup de foudre, d'un coup au cœur, d'une émotion immédiate .... Poussin disait que « la fin de la peinture est la délectation »
René Char que « la peinture est une mise en route de l'intelligence sans le secours des cartes d'état-major ».
Plus souvent ce peut-être un mouvement lent d'analyse, de méditation, avant que le tableau se lève comme l'on dit les frères Goncourt et que rappelle Daniel Arasse.
Adhérer à la Foi peut aussi se faire soit avec le cœur soit avec la tête. On peut adhérer à la suite du chant maternel entendu sur ses genoux, quand, nouveau-né, elle chantait ses prières tout en lui donnant le sein : c'est adhérer avec le cœur ... mais on peut adhérer, approfondir son adhésion, par la lecture et la méditation des Ecritures ; c'est adhérer avec la tête.
Encore faut-il distinguer écouter et entendre ... écouter est une action volontaire de l'intelligence .... Mais on n'entend bien qu'avec le cœur. Encore faut-il distinguer regarder et voir ... regarder est une action volontaire de l'intelligence... mais voir ! voir vient du cœur. Ecouter et regarder seraient des actes volontaires quand entendre et voir seraient passifs mais d'où viendrait cette volonté ? De quel désir ? De qui ce désir ?
Alors, bien sûr, il nous faut adhérer et par le coeur et par la tête.
Il s'agit là de l'oscillation primitive, ontologique, nous dit le philosophe Derrida. Toute perception du monde, nous dit-il, se fait par ces deux voies de la sensibilité et de l'intelligence en oscillation, de façon dialectique. Le film « Copie conforme » que je compte projeter et sur lequel nous débattrons, nous montre les avatars, les incompréhensions, quand l'un des membres d'un couple est un cérébral pur et l'autre une affective en abyme.
Cheminer en Eglise
Nous n'avons pas cheminé seuls mais en groupe à chacune des sept séances. En assemblée sans doute puisque assemblée c'est Eglise et que nous cherchons la lumière. Nous avons cheminé à plusieurs pour y voir clair car, comme le rapporte Flemming, nous sommes à l'ombre de la croix ; nous somme en attente de la lumière pascale mais déjà chacun apporte sa petite lumière, lumière spirituelle, lumière picturale, lumière personnelle en tous cas. Ce sont de petites bougies que l'on porte, voire des torches ou des lampes électriques car la caverne du cosmos est immense mais, de toute façon c'est l'Esprit qui les allume. Malheur aux imprévoyants qui ne s'en sont pas munis rappelle l'Evangile!
C'est pourquoi nous avons voulu, outre les débats après conférences, alterner ces conférences avec des séances peintures pour permettre plus d'échanges entre nous.
Cheminer c'est être en mouvement
C'est ce qui nous est demandé.
Qui n'avance pas régresse dit-on et la Bible le prescrit : « Debout face au Seigneur » « Lève toi et marche » « Va » est-il dit à Abraham, (Gn 12,1) mais le sens exact du « va » est « va vers toi » ; chemin de spiritualité pour ton épanouissement.
Mouvement c'est é-motion, ce qui meut, ce qui meut par le cœur ou par la tête.
Mouvement qui nous rapproche du Seigneur, mouvement qui toujours nous élève, chemin à suivre ... mais peut-on cheminer sans trêve ? Cheminer toujours, certes, mais hélas, pas tout le temps. En effet nous sommes sans cesse attaqués par des distractions, des dis-tractions qui nous tractent de côté. Il me semble que l'on peut dire que l'homme est crée avec deux besoins : d'une part un besoin de spirituel, une appétence vers Dieu (« Heureux les affamés » (Mt 5,6)), source de l'alliance et d'autre part une tentation, comme un besoin, de di-version, de se dé-tourner, de se dis-traire, d'oublier, source de mésalliance. Nous oscillons sans cesse entre les deux ; la sagesse est de le reconnaître et la Foi de le combattre.
Mouvement aussi qui nous rapproche, ou nous éloigne, de ce que l'on regarde, éloignement si simple vue, approche si vision. Cette vision doit découler de ce que Kandinsky appelle la « nécessité intérieure » et c'est là l'éthique du peintre, sa conscience, l'œil qui le regarde.
Chemin difficile et il peut nous sembler avoir peu avancé.
C'est un chemin ascendant. Pourquoi pense t'on ascendant ? C'est sans doute une faculté de notre vue que de lever les yeux au ciel pour invocation ou émerveillement ou les baisser sur terre lors de nos échecs ... et une faculté de notre écoute que de penser la voix venant d'en haut, de la montagne (Mont Sinaï, mont Horeb, mont des béatitudes chez Matthieu (Mt 5,1).
Le peintre, lui, va s'apercevoir que cette faculté de notre vue vient du fait que nous avons les yeux disposés sur une horizontale. Quand nous nous regardons dans la glace droite et gauche sont inversées quand haut et bas ne le sont pas. Cela m'amène à une réflexion personnelle sur la gravitation :
Connaissons-nous l'importance de la gravitation dans l'organisation de la société ?
Il est évident que ce que l'on lâche tombe et que nous tombons et chutons aussi et de chutes en chutes jusqu'à la tombe.
Tous les êtres vivants ont les yeux placés sur une horizontale. Le miroir nous montre l'inversion de notre image sur l'horizontale droite gauche ... mais il n'y a pas d'inversion de l'image haut-bas. Cela permet d'apprécier cette force gravitationnelle et de s'en garder (ou de s'en servir). Il est probable que les mutations ayant entraîné une désaxation orbitale aient enfanté des êtres non viables.
Ainsi depuis nos gestes les plus quotidiens jusqu'aux œuvres avancées de la science tout notre environnement est géré en fonction de la gravitation.
De la gravitation est venue la gravité. Il est grave de tomber, cela peut faire mal et l'on grave son nom sur sa tombe. La chute provient de la gravitation mais aussi de la gravité : il a chuté et rechuté, maladie à rechutes, « t'es grave ».
Le spirituel, lui, va penser que le Père, son père, la tradition, viennent d'en haut et que la transmission aux fils se fait vers le bas ... est-ce que c'est parce que le petit enfant lève les yeux vers le père qui le domine de sa taille : passage de la vue à l'écoute ?
Quand on a une déclaration de poids à énoncer il convient de prendre un air grave...ce que font Présidents, Généraux, Pape...
Pour palier cette pesanteur on lève les yeux au ciel Il apparaît aussi que ce qui est plus léger que l'air monte (ou l'eau cf Archimède). Si lever les yeux augmente les risques de chute cela allège le cœur. Le croyant a beau savoir que Dieu se loge dans son cœur et que son corps est son temple, il lève les yeux au ciel quand il l'invoque. Pour un responsable lever les yeux au ciel et apparaître léger le fait paraître irresponsable.
Ainsi depuis nos mots quotidiens jusqu'aux œuvres de l'esprit tout est fonction de la gravité.
On a reproché à Dionysos d'avoir les pieds sur terre et à Orphée d'avoir les yeux au ciel...ils feraient bien de se compléter...nous aussi !]
Comment faire pour changer
Comment faire alors pour cheminer dans la spiritualité ? Comment faire pour changer sa vue en vision, sa vue prosaïque d'ici-bas pour une vision, aspiration à l'infini, ce qui est la spiritualité ?
Chacun des orateurs nous a fait cheminer vers la spiritualité.
- - Jérôme Cottin, lui, nous a montré les deux modèles de cheminement.
Le premier modèle, né avec le philosophe Plotin, marqué par la théologie grecque a été repris par le pseudo Denys, puis ensuite par le christianisme occidental avec l'abbé Suger à Saint Denis ... conduisant aussi bien aux icônes qu'aux vitraux des cathédrales. La peinture, dans ce modèle, part toujours d'une « idée ». L'idée doit amener à voir l'invisible.
Le second modèle a été élaboré au début du XXème siècle, non par des penseurs mais par des artistes, des créateurs, partant d'une « émotion » et aboutissant à l'art abstrait, art où l'on voit que l'on ne voit pas.... L'invisible est à rechercher par le regardeur.
- - Patrice Loraux : comment ce philosophe nous a-t'il fait cheminer vers la spiritualité ? En empruntant à Ignace de Loyola, le fondateur de l'ordre des jésuites, les critères de ses « exercices spirituels », son œuvre majeure, pour la lecture d'un tableau le « Narcisse » du Caravage.
Ils sont quasi contemporains et au cœur de leur temps, Caravage pour la peinture classique t Loyola pour le catholicisme.
La lecture du tableau sur le chemin de spiritualité est à 4 temps : érotique / culturel / scientifique / spirituel ... quand celle de Loyola pour la foi ne comporte pas le temps scientifique ... Voyons cela !
-) Erotique, disons sensuel.
1er temps : prendre conscience de la séduction liée aux attaches sensuelles.
Pour un tableau c'est l'émotion, la mise en branle avant réflexion, la beauté du Caravage.
Pour les exercices spirituels c'est la première des 4 semaines dans la reconnaissance des péchés pour se détacher de la « délectation sensuelle » en se frappant la poitrine, en souffrant de l'aveu de ses fautes, en matérialisant le lieu de la scène, en participant à la joie du Christ glorieux ou à sa peine dans la passion, en méditant sur l'enfer par la vue des feux, l'ouïe des cris, l'odeur du souffre, le gout des larmes, le toucher des brulures, et en faisant pénitence (jeûne, sommeil, corps).
2ème temps : se déprendre de ces attaches sensuelles en prenant du recul, du temps devant le tableau pour le Caravage et en se servant des grandes puissances de l'âme pour Loyola (mémoire, intelligence, imagination, volonté..)
3ème temps : accueillir une nouvelle capture, liée à ce travail, capture qui mène Loyola à un obéir volontaire et non machinal.
4ème temps : cheminer jusqu'au seuil d'un tout autre ... et là pas de doctrine pour le philosophe et doctrine signe à décrypter à fin de la suivre pour Loyola ... signe et non pancarte trop lisible .... Cheminer du fait d'une crise, crise émotionnelle devant le tableau ou crise de foi devant les Ecritures .... Mais crise à pousser au paroxysme aussi bien pour le regardeur du tableau que pour celui qui suit l'exercice.
-) Culturel :
Mythologique pour le Narcisse du Caravage et c'est toute l'histoire de ce jeune homme épris de son image jusqu'à en mourir qui va enrichir notre lecture.
Ecritures pour Loyola, deuxième des 4 semaines et suivantes à se remémorer les diverses étapes de la vie du Christ.
-) Scientifiques :
Etude aux rayons X du tableau pour en voir les repentirs et la volonté du Caravage d'en modifier le sens.
Etude des Ecritures (que ne fait pas Loyola) selon les diverses grilles d'interprétation.
-) Spirituelle : Il s'agit d'ouverture à l'autre. Narcisse en solitude a les bras devant lui en un cercle clôturant ; face à face avec lui-même et donc face à face avec la mort, son visage dans le reflet en est marqué ; Narcisse en meurt. Ahhh ! aurait dit Loyola, si seulement il avait ouvert les bras au devant des bras du crucifié ..... !
- - François Cheng que l'on aimerait avoir entendu, nous apporte l'importance du vide dans la réflexion taoïste. Le vide est ce qui permet l'articulation du Ying et du Yang, l'articulation de tous les couples. C'est pourquoi le cycle fut sous l'enseigne du Yin et du Yang dont voici le LOGO.
Faire le vide en soi, le silence, fermer les yeux pour voir la montagne, regarder la montagne, fermer les yeux, regarder... regarder un paysage le démonter puis le remonter... enfin voire le tableau que l'on regarde.
Se faire sourd pour entendre la parole. Le vide pour qu'y souffle l'esprit. Prendre le temps et se laisser prendre par le temps.Se laisser faire par l'émotion : ,l'é-motion... ce qui meut, fait bouger si on se laisse bouger, changer, métamorphoser .... C'est une fonction de la bible mais aussi une fonction des merveilles de la création.
– Grand d’Esnon –
Nous nous sommes retrouvés, une soixantaine de personnes, ce jeudi 30 septembre, pour faire le point sur notre cheminement dans la spiritualité.
Philippe Lemant, ne se sentant aucun titre à parler de spiritualité, a fait le bilan des 7 conférences passées.
Ce cycle était axé sur le double cheminement par le regard et par l’écoute. Or des phrases comme « Ecoute voir » … « Tu vois ce que je veux dire » … « cette toile me parle » … font qu’on s’emmêle les pinceaux … ce qui pour un peintre est un comble ! Nous sommes dans un audio-visuel.
La Bible est elle aussi un audio-visuel ; relisons les premiers versets de la Genèse : ténèbres, silence et une voix qui retentit ! Visuel : distinguons la lumière du premier jour, principe divin qui nous éclaire et nous donne une « vision » pour la lecture des écritures et la lumière du 4ème jour qui permet d’y voir la nuit, une « vue » comme celle de l’appareil de photo. Audio : c’est la Parole qui crée … pendant 6 jours … et qui continue mais en playback, on ne voit que les prophètes !
Nous avons cheminé par étapes en alternant conférences-débats et séances peintures avec échanges. Table ronde juif, catholique, protestants sur le statut de l’image … réalisation d’un ex-voto … Le pasteur Jérôme Cottin et l’invisible … deux peintres contemporains … Le philosophe Patrice Loraux et l’analyse d’un tableau avec les critères des exercices spirituels d’Ignace de Loyola … dialogue peintres et spirituels … le psychanalyste JM Louka et la psychanalyse comme exercice spirituel.
Nous avons cheminé par la tête et par le cœur, raison et foi. En distinguant aussi écouter et entendre, de même que regarder et voir, les premiers actifs selon la tête, les seconds passifs selon le cœur. Nous oscillons sans cesse entre raison et foi ce que la sagesse nous fait comprendre et ce que la foi nous fait accepter.
Nous avons cheminé en Eglise car en groupe, en « assemblée », chacun apportant sa lampe personnelle que l’Esprit a allumé et heureusement il n’ya pas eu d’imprévoyants !
Cheminement qui est mouvement, émotion, é-motion, ce qui meut par la tête ou par le cœur, devant un tableau ou la lecture de la parole, le « Va » prescrit à Abraham, élévation car aspiration à l’infini, ce qui est notre définition de la spiritualité.
Comment cheminer ? J.Cottin nous a proposé deux modèles : le classique des philosophes grecs partant de l’ « idée » ou le récent des peintres abstraits, partant de l’ « émotion ». P.Loraux nous a fait suivre l’analyse du « Narcisse » du Caravage avec les critères des exercices spirituels des jésuites d’Ignace et ses phases : 1) sensuelles (aveu des fautes en prenant conscience de cette « délectation sensuelle »…. dont il faut se déprendre … pour être à nouveau captivé du fait du recul pris … et aller jusqu’à un seuil de quelque chose d’autre) 2) culturelle (mythologique pour le Narcisse et rappel des étapes de la vie du Christ pour les jésuites) 3) scientifique ( analyse au rayons X pour le tableau et analyse des Ecritures selon les diverses grilles, linguistiques, sémiologique, historico-critique, psychanalytique …pour les biblistes. 4) spirituelle qui pour tous consiste à s’ouvrir à l’autre ou à l’Autre, ce que ne fit Narcisse enfermé dans le cercle des ses bras. François Cheng attire notre attention sur le vide qu’il faut faire en nous pour qu’y souffle l’esprit, vide médian qui permet l’articulation du Yin et du Yang, de l’homme et de la femme, de l’homme et de son Dieu. Et aussi fermer les yeux pour mieux voir et les oreilles pour mieux entendre évite d’être dis-traits par la vue ou par des bruits.
Chemin mystérieux : Dieu se cache au regard et l’on ne peut voir sa face. Il se cache à l’écoute, sa parole est i-nouïe et l’on doit écouter les prophètes. Dieu se cache pour que l’on le cherche. Les merveilles de la nature en sont une approche pour qui sait les voir, mais elles sont là pour nous émerveiller … nous « émerréveiller » !
Philippe Grand d’Esnon, pasteur de l’Eglise réformée de Versailles, a d’abord voulu tordre le cou à l’idée que les protestants seraient iconoclastes : Rembrandt, de famille de pasteurs, ne peut se comprendre si l’on ne croit pas en Dieu.

La première femme peintre de l’histoire serait Véronique, sans doute la femme non nommée que Jésus guérit de ses pertes de sang lors qu’elle toucha les franges de son manteau : elle aurait alors reçu du Christ une image aux vertus miraculeuses grâce auxquelles elle aurait guérit l’empereur Tibère de la lèpre ; a-t-elle reçu l’image ou aurait elle essuyé le visage du Christ agonisant, ce qui aurait fait d’elle un peintre ? Ou bien encore est-ce le Christ qui se serait essuyé le visage ? Une autre légende rapporte que le roi Agbar V d’Edesse, ayant envoyé un émissaire auprès du Christ pour le connaître, cet émissaire aurait échoué à faire son portrait, le Christ, alors, se serait essuyé lui-même le visage d’un voile ; il aurait envoyé cette image au roi avec l’apôtre Taddée qui aurait évangélisé les habitants d’Edesse.
Le pouvoir du suaire du Christ est le même que celui attribué autrefois aux icônes … au risque de se transformer en idoles.
Si dans ces légendes le Christ semble être l’auteur de l’image, il faut reconnaître que, en fait, le tout premier auteur est Dieu lui-même quand il crée l’homme à son image ! Et même le premier auteur d’une œuvre d’art puisqu’il trouve ce qu’il a crée bon et même pour la création de l’homme et de la femme très, très bon, Dieu est enthousiaste !
L’homme est crée à l’image de Dieu et nous en avons en écho l’image de sa personne dans le prochain ainsi que le rapporte Matthieu (Mt 25) « Quand t’avons nous vu affamé et t’avons nourris … chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait».
On ne voit qu’avec le cœur ! La jeune Ste Elisabeth de Hongrie abritait, en l’absence de son époux, un pauvre malade dans le lit conjugal, le mari, de retour rejette le drap et voit …….. le Christ !
Philippe Lemant
Chemin mystérieux
Parole et regard : Dieu se cache aussi bien au regard qu'à la parole. Il se cache à la vue, au regard, dans la nuée, derrière un buisson, dans les ténèbres de la croix. Il se cache sous la parole, il cache son nom : « Je suis qui je suis » ou « Je suis celui qui est »Dieu n'est pas anonyme mais son Nom n'est pas révélé.
La parole de Dieu est inouïe, in-ouïe et sa face n'est pas visible.
Dieu se cache et pour qu'on commence à le chercher en un jeu de cache-cache c'est lui qui lance la première question posée à l'homme « Où es tu ? » (Gn 3,9). Au tour de l'homme de Le chercher.
Dieu reste mystérieux ; les merveilles de la nature en sont une approche pour qui sait les voir. Mais pour les voir, comme pour voir le tableau que l'on regarde, il faut fermer les yeux. De même pour entendre la parole il faut fermer les oreilles. Pour avoir une vision intérieure ou une entente de la parole il ne faut pas être distrait par la « vue » ou par des « bruits ».
Mystères et Merveilles : Si Dieu reste mystérieux c'est bien pour susciter notre curiosité, entretenir notre appétence et les merveilles sont là pour nous «
émerréveiller».