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L’Association Centre-Huit de Versailles, lieu de réflexion spirituelle œcuménique, inter-religieuse et d’action sociale et Philippe Lemant, vous proposent en 2009-2010 d’entrer dans la relation « Peinture et Spiritualité ».
Le cycle comporte huit séances ; quatre séances de débats et quatre séances d’étude de peintures. Cette double approche est l’originalité de la démarche car il y a des paroles à entendre et un regard à poser. Les mettre en relation permettra de mieux appréhender le chemin du spirituel.
Approche de la spiritualité par la lecture de l’image et l’écoute de la parole.
Première séance:
"Fonction de l’image dans l’expression de la foi et sa transmission", jeudi 19 novembre 2009.
Ce cycle a voulu répondre à une question inhabituelle:
«notre regard sur la peinture peut-il changer notre relation à la spiritualité?».
Vous êtes venus pour la première séance d’un cycle et vous vous demandez peut-être le pourquoi d’un cycle. Un cycle permet un cheminement et nous vous proposons donc de cheminer d’une part à partir de la peinture, c'est-à-dire du regard (et il aurait pu s’agir de sculpture ou d’architecture…) et d’autre part à la rencontre de la parole. Il s’agit donc d’un double cheminement du regard et de la parole qui doit nous emmener sur la voie de la spiritualité.
Nous aurons donc à préciser ce que l’on entend par « spiritualité ». Dans le cadre de ce cycle nous avons pensé le spirituel comme une force qui nous hisse vers le haut ou, comme le dit Baudel, une aspiration à l’infini. Le pasteur Flemming ajoutera que le spirituel est ce qui nous précède et nous dépasse.
Les séances vont alterner réflexion – discussions, toujours à partir de la peinture et séances peinture – réactions toujours suivies de paroles sur la peinture. Il n’y a pas de paroles si on ne peut imaginer, pas de parole si on ne peut imager.
Au terme de ce cycle avons nous changé notre regard sur la peinture et notre écoute de la parole?
En effet nous sommes gavés d’images mais ne dit-on pas que notre appétit de spirituel en pâtit? L’image est-elle nuisible? Que font les peintres? Y a-t-il encore du spirituel dans leurs œuvres et quel regard portons-nous sur elle?
Il semble que l’on ne puisse se passer de la représentation, l’image demeure. Le spirituel, alors, en a-t-il disparu? Que font les clercs? Y a-t-il encore des paroles à entendre?
La Table ronde a été suivie de débats sur le rôle de l’image. Trois points de vues ont été évoqués: pour la tradition Juive madame Mireille Mentré de l’institut de recherche et d’histoire des textes, maître de conférence à l’université Paris Sorbonne, auteur de « Jérusalem, symboles et représentations dans l’occident médiéval », de « L’Art juif au moyen âge » et de « Politique et Religion dans le judaïsme moderne ». Pour la tradition catholique le père Jean-Pierre Allouchéry de l’académie des Sciences Morales des lettres et des arts de Versailles. Pour la tradition protestante le pasteur Flemming Fleinert-Jensen de l’Eglise Réformée de France.
Madame Mireille Mentré
Travaillant à l’institut de recherche et d’histoire des textes des mondes juif et chrétien avec madame Sonia Fellous qui n’a pu venir, nous avons choisi un certain nombre d’images. Certaines sont exposées ici sur ces panneaux, images du moyen âge et du XIXème siècle, d’autres, de différentes époques, seront projetées.
Citation : « La Grèce a découvert son âme dans la forme, Israël a tenté d’imposer son âme à la forme »
En introduction je tiens à dire que, contrairement à ce que certains pourraient penser, l’art juif existe, vous allez le voir.
Qu’est-ce que l’art juif ? C’est une œuvre faite par quelqu’un qui est juif ou converti et œuvre se rattachant à la Bible.
Dieu dit à Moïse qu’il faut faire des objets (cf Ex 25,1 traduction Chouraki) : « Le Seigneur (Tétragramme, Yahvé, Adonaï … ou pour les catholiques Dieu ou Seigneur) adressa la parole à Moshé : vois, j’ai appelé par son nom Beçalel, fils d’Ouri, fils de Hour de la tribu de Juda. Je l’ai chargé du souffle d’Elohim pour qu’il ait sagesse, capacité, connaissance afin de penser des pensées, pour œuvrer dans l’or, l’argent et le bronze, pour la taille de la pierre à sertir, pour la taille du bois, pour faire tout ouvrage, tout objet, table et temple, candélabre, autel de l’holocauste et ses objets, vêtements de cérémonie, du sanctuaire, pour le prêtre et ses fils »
Celui qui fera l’objet, Beçalel, sera pour son art inspiré de l’esprit de sagesse.
Mais alors que comprendre du second commandement : « tu ne feras pas d’images sculptées »? Pour comprendre il faut lire la suite « tu ne te prosterneras pas devant elles » c'est-à-dire : ne sois plus païen à adorer des idoles que tu as faites de tes mains avec ce qu’il y a dans la terre, le ciel et l’eau, mais adore seulement Dieu, Moi, l’Eternel.
Certes, certains rabbins ont préconisé de ne pas faire de sculpture mais entre Moïse et le XXème siècle il y a eu évolution permettant d’affirmer que l’art juif existe.
Ainsi vous avez sous les yeux des images du 2ème au 20ème siècle. D’abord venant de la synagogue de la ville de Doura Europos, une peinture murale du 2ème siècle avec au centre la Misha, la niche, où l’on place les rouleaux de la Torah (Pentateuque), Parole de Dieu, avec au-dessus une petite porte fermée à double tour qui représente la porte du Temple de Jérusalem, à gauche le candélabre et à droite le sacrifice d’Abraham. C’est la plus ancienne peinture murale retrouvée, peut-être y en a t’il de plus ancienne.
Autre image : un cahier d’enfant apprenant l’alphabet hébraïque qui met au centre la menora, le chandelier à sept branches.
Image d’un double chandelier à sept branches à voir selon l’art cinétique, en bougeant ou en faisant bouger l’image. Œuvre du XIVème siècle en Catalogne).
Un tableau de Chagall (qui est juif) avec là encore le chandelier à sept branches, image récurrente jusqu’au XXème siècle.
Une pièce de monnaie du 1er siècle avant JC représentant celui qui est à la fois le roi et le grand prêtre.
Autre objet avec deux lampes à huile juives du 1er siècle de notre ère. Celle de droite représente deux personnages bibliques, David et Goliath. Celle de gauche est allégorique, représentant un oiseau s’échappant, allusion au psaume 124 « comme un oiseau nous avons échappé au filet des chasseurs », allusion elle-même au peuple hébreux échappé d’Egypte.
Un tableau de Rothko du XXème siècle narratif, allégorique et mystique … il y aurait beaucoup à dire sur les peintures mystiques.
Encore une niche où déposer la Parole de Dieu car la synagogue est lieu de prière.
Une représentation du sacrifice d’Abraham, que l’on appelle « ligature » dans le monde juif, (comme dans le monde arabe), car le sacrifice n’a pas eu lieu, Dieu ayant envoyé un bélier. On voit ici Sarah, mère d’Isaac, souffrant en voyant son fils sur l’autel.
Après la destruction du Temple (70 après JC) il y a eu constructions de nombreux édifices, surtout à Doura Europos, avec 20 temples à des Dieux païens mais une chapelle chrétienne et une synagogue. On peut y voir cette représentation de Moïse sauvé des eaux avec la Reine se baignant dans le Nil pour soigner ses plaies, voyant l’enfant son bras s’allonge, selon certaines légendes, pour l’attraper et le sauver.
Un manuscrit rare du Xème siècle, conservé à Saint Petersbourg, représentant le plan du tabernacle dans le désert.
Thème très important, celui d’une Bible hébraïque de 1299, de Majorque en Catalogne dont la double page exposée dès l’entrée de cette Bible montrait, outre le chandelier, ses ustensiles, les divers autels… les tables de la Loi au dessous de chérubins car Dieu a dit « Je te parlerai sous l’aile des chérubins ». Cette double page est le sanctuaire de Dieu, qui n’est pas seulement la mémoire du Temple mais l’espoir de sa reconstruction, perspective messianique. Perspective très répandue en Provence et en Catalogne au XIVème siècle.
Philippe Lemant : "merci Madame Mentré de nous avoir montré l’existence de tout un art juif présent dès l’époque du premier testament, preuve d’un besoin d’exprimer ainsi la quête de la spiritualité."
Père Jean-Pierre Allouchéry
Dans quelques temps vont être invités de nombreux artistes par le pape Benoit XVI pour commémorer, 45 ans après, la belle allocution du pape Paul VI faisant suite à Vatican II. Il y a dix ans le pape Jean-Paul II a écrit une belle lettre aux artistes renouant le dialogue avec l’Eglise.
La commission chargée du travail préparatoire à la définition des formes d’art convenant au culte aboutit à un document plus biblique et plus ouvert. Seul est accepté par l’ensemble conciliaire ce qui concerne la liturgie en se montrant très prudent à propos des images religieuses. Les évêques étant invités à promouvoir la noble beauté sans s’attacher à un style particulier cela faisait penser à une acceptation des tendances esthétiques contemporaines. Mais en même temps une série de bornes sont mises à la liberté d’expression de l’artiste. Cependant en mai 64 Paul VI prononce une courageuse allocution dans laquelle il reconnait la responsabilité de l’Eglise dans la fracture entre elle et l’art ; il souhaite une reprise du dialogue posant comme seule condition une solide formation religieuse. (Ce qui sera repris dans « Gaudium et Spes »). Rejetant les cercles conservateurs qui demandaient que seul l’art vrai, c'est-à-dire l’art catholique, fut reconnu, le concile dans son chapitre sur l’art encourage l’acceptation d’artistes, même non chrétiens, quand ils ont l’intelligence de la Foi. Cette question reste à l’ordre du jour et sera examinée lors de la prochaine rencontre avec le pape Benoit XVI.
L’Eglise ne considère aucun style comme lui appartenant en propre mais selon le caractère des peuples et la diversité des rites. Elle a admis les genres de chaque époque à travers les siècles comme un trésor à conserver avec soin.
Je vais vous dire ce que dit la constitution conciliaire au sujet de la liturgie. Parmi les œuvres de l’esprit humain l’art sacré compte, à juste titre, parmi les beaux arts, surtout l’art religieux et au sommet l’art sacré. L’art sacré, par nature, vise à représenter la beauté infinie de Dieu avec louange et gloire afin de tourner les âmes humaines vers Dieu. Il convient que l’art ait liberté de s’exercer pourvu qu’il serve les rites et les édifices sacrés avec les honneurs qui leur sont dus ; si bien que les artistes soient amenés à ajouter leur voix à l’admirable concert de gloire que les plus grands hommes ont chanté à la gloire de la Foi catholique au cours des siècles passés. Les ordinaires veilleront à ce qu’une noble beauté soit préférée à la somptuosité en promouvant un véritable art sacré concernant vêtements, ornements…. Ils veilleront à ce que les œuvres artistiques ne soient pas inconciliables avec les mœurs ou avec la Foi chrétienne ou avec ce qui blesse le vrai sens religieux par l’insuffisance, la médiocrité ou le mensonge de leur art ; ils seront nettement écartés des maisons de Dieu et autres lieux sacrés. Dans la construction de ces édifices sacrés on veillera à ce que ceux-ci se prêtent à l’accomplissement des actions liturgiques et à la participation active des fidèles : deux critères fondamentaux. (1963). On maintiendra la pratique de proposer des images à la dévotion des fidèles mais en nombre restreint et avec une juste disposition pour ne pas éveiller l’étonnement du peuple chrétien et ne pas favoriser une dévotion mal réglée (par plusieurs images de la vierge par exemple). Pour juger les œuvres d’art les évêques entendront la commission diocésaine. Evêques et prêtres sensibles à l’art veilleront à ce que les artistes soient emplis de l’esprit. De plus on recommande la création d’écoles ou d’académies d’art sacré afin de former les artistes. Il s’agit d’imiter religieusement le Dieu créateur afin de créer des œuvres destinées au culte catholique, à l’édification des fidèles ainsi qu’à leur piété et à leur formation religieuse. Ce qui apparaitra mal accordé à la restauration de la liturgie sera amendé ou supprimé. Il appartient aux évêques d’adapter cet accordage aux mœurs locales. Les clercs au cours de leur formation philosophique et théologique seront instruits de l’art sacré pour pouvoir donner les conseils appropriés aux artistes.
Il était important de donner la position actuelle de l’Eglise dans l’expression de la Foi.
Je vais vous présenter des images :
Icône de Roubliov (Moscou). Icône si célèbre que l’on en a fait maintes copies : « icôneries » puisque seul l’original respecte la tradition orientale de l’exécution de l’œuvre … enfin on a des images pieuses !! On peut croire qu’il s’agit d’une Trinité mais alors que penser de la figuration de l’Esprit Saint ? Il s’agit, en fait, des 3 visiteurs d’Abraham.
Didon et Enée (VIème siècle) : on pourrait évoquer une Sainte Cène : table, serviteurs, poisson sur la table, possible ichtus symbole du Christ… pas du tout, c’est une œuvre païenne mais la composition a été reprise par l’iconographie chrétienne, christianisation des formes !
Vierges allaitantes pour rappeler qu’il n’y a pas de statues dans les églises avant l’an mille ; ces statues sortent des icônes murales en donnant épaisseur, ombre et vie à l’enfant qui suce le sein d’une mère en majesté sur son trône.
Déesse Isis sur son trône Egyptien allaitant son fils le jeune Horus. Isis sera à l’origine de nos vierges noires mais son culte sera surtout en rivalité avec celle de la Vierge chez les romains. Cela d’autant plus qu’Isis est symbole de résurrection, en effet elle ramène à la vie Osiris qui avait été découpé en morceaux ; elle recolle les morceaux mais manque le sexe ; ce sera une colombe qui la couvrira pour qu’elle engendre Horus. On voit la reprise des thèmes et des représentations dans le christianisme.
Moïse au sein (Doura Europos) l’enfant refuse le sein de celle qui l’a sauvé mais acceptera celui de sa mère à qui il a été rendu. Ce n’est donc pas un Egyptien ! On voit la fonction politique de l‘image.
Fresque du bon pasteur retrouvée dans une maison chrétienne de Doura Europos avec un agneau si gros, si lourd sur les épaules du bon pasteur, qu’il s’agit de l’Eglise toute entière.
Représentations de la Croix : il n’en est retrouvé aucune avant un graffiti du 3ème siècle, à Rome, caricature de chrétien, un crucifié à tête d’âne. A Paris un crucifié du 3ème siècle sur une ampoule de dévotion gnostique (qui croient que le Christ n’est mort qu’en apparence !).Sur un sarcophage du 4ème siècle, croix nue surmontée d’un Christ victorieux. Sur une mosaïque de Ravenne du 5ème siècle un crucifié en majesté à la place de l’Empereur … ! Bouleversant : comment un crucifié, un crucifié sur le bois, honte nous dit le deutéronome, un maudit crucifié, ressuscité et qui se dit fils de Dieu alors que tout le monde sait que seul l’Empereur est fils de Dieu ….!
Un crucifié sans croix à Rome dans un couvent dominicain.
Une mosaïque du 7ème siècle avec un simple voile sur la tête… la figuration anthropomorphique du visage autorisée du fait de l’incarnation se fixera … cheveux longs à partir de Sanson … barbe puisqu’Isaïe parle des poils de la barbe que l’on a tiré du serviteur !
Un Christ nu du 16ème siècle, caché dans un grenier, puis par un cache-sexe ; c’est « suivre le Christ nu », homme de la résurrection dans la chair.
Christ nu caché dans l’eau du baptême.
Christ dont le ventre est en forme d’énorme sexe … nudité à montrer ou non … blessée ou glorieuse ?
En conclusion y a-t-il à voir ?
Fra Angelico peint un tableau où les femmes au tombeau ne voient rien mais où c’est le regardeur, nous, qui seuls voyions le ressuscité ………ou encore ce Christ qui semble être Croix, ou cette Croix qui semble être Christ, tellement confondus qu’il a fallu retirer de la vue des fidèles cette œuvre de Germaine Richier.
Le Christ, ressuscité, a été retiré de notre vue mais c’est là le fondement de notre Foi.
Philippe Lemant : "merci Père de nous avoir donné la vision actuelle de l’Eglise catholique sur notre sujet et votre vision personnelle sur la fonction des images que vous nous avez montrées."
Pasteur Flemming Fleinert-Jensen
Si vous entrez dans un temple réformé ou calviniste vous serez bien déçus car il n’y a pratiquement pas d’images … donc ça ne colle pas du tout avec le sujet de la soirée sur la fonction de l’image.
Qu’est-ce que vous trouvez dans un temple réformé ? Une chaire, une table de communion (on ne parle pas d’autel, ça ferait trop catholique), une croix comme sur le mur derrière moi, pas un crucifix, à la rigueur les deux tables de la Loi, à l’extrême rigueur la table avec les noms des pasteurs de la paroisse, voire de ceux qui sont morts pour la France … Sinon rien … rien …vide … sauf … sauf s’il y a culte ou assemblée, s’il y a des gens qui chantent ou une parole partagée, où s’il y a baptême, Sainte Cène … Alors il y a quelque chose qui se passe … mais qui se passe des images.
Tout cela remonte à Jean Calvin, un des plus grands écrivains Français, même si son nom reste attaché à Genève. Son œuvre la plus connue est, sans doute, « L’institution chrétienne », espèce de dogmatique qui traite de la plupart des points essentiels de la foi chrétienne.
Dans le premier livre, chap XI on trouve une référence au deuxième commandement ou parole de la Décalogue« Tu ne feras pas d’images taillées, rien de ce qui est en haut, de ce qui est en bas, pour te prosterner devant ». Vous connaissez cela mais vous connaissez peut-être moins ce chapitre 4 du Deutéronome où il est dit « Le Seigneur vous a parlé du milieu du feu ; une voix parlait et vous l’entendiez mais vous n’aperceviez aucune forme ; il n’y avait rien d’autre … que la voix ». (v.12)
Car Dieu est esprit comme il est dit dans le dialogue avec la Samaritaine (Jn ch4). Même le mot « est » ne figure pas dans le texte grec, simplement Dieu-Esprit : tout ce qui est temporel ne convient pas à Dieu malgré les anthropomorphismes qui apparaissent dans la Bible et notamment dans la Bible Hébraïque.
Calvin dit qu’il faut prendre cela au sérieux car l’esprit de l’homme se forge spontanément des idoles. C’est là l’apport essentiel et permanent de la foi d’Israël que cette mise en garde contre toutes ces idoles.
Aujourd’hui notre problème n’est pas tellement celui d’idoles en bois ou autres matériaux, mais les idoles existent et l’on pourrait disserter longuement là-dessus ? C’est l’apport d’Israël ainsi que la confession de foi que Dieu, notre Seigneur, est Un.
« Ecoute Israël » c’est toujours la Parole et Calvin prend cela au sérieux. Cela ne veut pas dire qu’il refuse peinture et sculpture, ce sont des dons de Dieu que l’on peut utiliser …mais pas dans les temples … ils sont l’espace de l’Esprit où Dieu nous parle et où nous lui répondons par la parole.
Calvin ajoute que pendant les 5 premiers siècles il n’y avait pas d’images dans les temples ni les églises et il a des paroles fortes contre ces sottes dévotions et superstitions qu’on trouve dans l’église du pape !
Finalement les meilleures images sont celles qui représentent les deux sacrements que sont le baptême et la Sainte Cène ainsi que les cérémonies qui les entourent.
Voilà la sobriété, l’ascèse de la tradition calviniste mais avant Calvin il y a eu Martin Luther de 26 ans son aîné. Si vous vous souvenez de vos études vous saurez qu’en 1521 il comparut à la Diète de Worms devant Charles Quint et les notables du Saint-Empire et que c’est là qu’il dit « me voici, je ne peux rien faire qui aille contre ma conscience ; si vous pouvez me prouver que ce que j’ai dit est faux à partir de la Bible je me rétracterais, sinon je ne le peux pas ». Le résultat c’est que Luther a été condamné hors la loi et vous vous souvenez de cette histoire rocambolesque quand on rentrant à Wittenberg en Saxe les gens du prince électeur Frédérique le Sage le capturent et l’installent dans le château de la Wartburg. Il y passe dix mois dans ce merveilleux château, au milieu des bois et qu’est-ce qu’on fait quand on est tout seul ? Eh bien on commence à traduire le Nouveau Testament et en onze semaines il a traduit le Nouveau Testament en allemand.
Cela a été un évènement capital dans la vie culturelle en Allemagne car la langue allemande de Luther est devenue la langue de référence. Mais, au bout de ces onze semaines, de soi-disant prophètes sont venus disant que dans la réforme qui avait commencé, tout tournait autour de l’Esprit de Dieu donné en l’homme et qu’il n’y avait donc pas besoin des sacrements ni des images. Luther a été un moment iconoclaste et a enlevé les images des églises.
Puis là Luther dit non : je ne peux faire cela, et il décide de rentrer à Wittenberg contre la volonté du prince électeur. Il se demande comment il aurait pu empêcher cela. Eh bien il commence à prêcher ; par ses sermons il se fait le porte-parole de la liberté des chrétiens. Bien sur dit-il tout ce qui est idolâtrie et semblant de bonnes œuvres, salamalecs devant la Vierge pour obtenir des indulgences sont des abus et il faut dire non aux images. Mais si on veut garder ces images la seule raisons en serait leur utilisation pédagogique et catéchétique, illustrer la foi et la rendre plus concrète.
Quand vous entrez dans une église luthérienne vous verrez bien des différences. Les églises anciennes ont gardé l’héritage des églises catholiques et dans certaines églises de la Réforme vous pouvez voir des retables magnifiques, des sculptures en bois, des fresques, des épitaphes et même des crucifix (on pourrait là dessus passer la soirée) Moi-même qui vient de la tradition luthérienne quand je suis devenu pasteur de l’Eglise réformée de France, ça m’a toujours amusé de dire à mes chers co-religionnaires que pour moi un crucifix c’est tout à fait normal ; ils commencent à me dire que non la croix nue veut dire que le Christ est ressuscité ; moi je ne dirai pas le contraire, mais pour être ressuscité il faut d’abord être crucifié.
Vous avez déjà entendu cette parole du philosophe Kierkegaard « La croix là est nue non seulement parce que le Christ est ressuscité mais aussi parce qu’elle t’attend ».
Un luthérien est plus décomplexé qu’un réformé par rapport aux images et je le dis pour que les catholiques comprennent qu’il n’y a pas qu’une seule spiritualité protestante pour ce qui concerne les images.
Quelques images
La plus parlante : celle d’une Sainte Cène du XVIème siècle d’une église danoise. Le Danemark dont je suis originaire est de tradition luthérienne d’où un essor surtout récent pour rapprocher l’art de l’Eglise. Il s’agit d’un retable dont la prédelle résume la théologie de la Réforme avec à droite le pasteur qui prêche, priorité de la parole ; sa main pointe vers le Christ crucifié au centre de tout et à gauche un baptême.
Philippe Lemant : "merci Flemming. Nous t’aurions bien écouté longtemps encore, tant tu nous instruis avec cette compréhension subtile de la fonction de l’image parfois si utile et parfois si dangereuse … mais la parole, oui la parole, est à la salle."
Les questions posées:
G.C. : vous nous avez indiqué que les musulmans avaient parfois représenté Allah avec un visage vide ; il en a été de même dans le choix d’artistes, en dehors de toute prescription, comme dans les visages dessinés de Matisse en la chapelle de Vence. Qu’en est-il de l’apport du peintre, de sa passion, de sa spiritualité ?
Cl.S. : parmi les images il en est qui nous instruisent mais n’y en a-t-il pas d’autres qui nous touchent comme un cri, comme une prière ?
Merci à tous. P.L.
Philippe Lemant, le Père Jean-Pierre Allouchéry, Madame Mireille Mentré et le Pasteur Flemming durant la conférence.
Deuxième séance: Jeudi 10 décembre 2009 à 20H30
LES EX-VOTO et la Performance:
Monde merveilleux
Manifestation de la foi des simples, ils passionnent les rationalistes et les théologiens.
Maladroits, ils émerveillent les esthètes et les spécialises de l’art savant.
Sans prétentions, ils sont sources de renseignements aux ethnologues et historiens.
Œuvres anciennes et traditionalistes, ils se révèlent étrangement modernes.
Engagés et pourtant à contre courant des conventions.
Fragiles, ils sont pour beaucoup parvenus jusqu’à nous.
Ils rassemblent dans la même admiration croyants et sceptiques, enthousiastes et blasés, émotifs et gens de raison.
Objets sacrés, en représentant un univers visible, ils révèlent l’Invisible et l’Infini. Ils nous aident à retrouver notre âme d’enfant, à côtoyer les mystères et nous rappellent le sens de la mort.
Réalisations artistiques d’avant la photographie, ils sont reportages sur la vie d’autrefois.
Le mot et son contenu
Ex-voto suscepto : « en conséquence d’un vœu par lequel on s’est engagé »
VFGA / Votum Fecit Gratiam Accepit : « Il fit un vœu et il obtint une grâce ». Grâce est à rapprocher de gratuité, vœu gratulatoire de remerciement à la divinité, à qui on a fait confiance en la gratuité de son don.
Différent donc du vœu propiciatoire de demande où l’œuvre est effectuée dès le vœu comme si on achetait le Dieu.
Différent aussi de l’acte superstitieux : l’ex-voto est acte de foi, d’humilité, de gratitude, acte sacré quand l’acte superstitieux est mécanique, incantatoire, magique. (Magique, l’« oculus » à l’étrave des barques portugaises ; magique, l’arrondi des chiffres d’immatriculation des barques bretonnes pour ne pas effrayer les poissons…)
Historique
Les premiers remonteraient aux Phéniciens, hardis navigateurs, en remerciement de leur heureux retour.
Agamemnon fit sculpter un navire sur un temple à Poséidon pour remercier du départ de la flotte vers Troie.
Cicéron demande aux sceptiques de constater que les vœux sont bien souvent exaucés.
Horace, en une de ses odes, parle des « tablettes votives » où figure « VSLM »
« Il s’acquitta de son vœu de bon gré comme il le devait ».
Ex-voto de guérison dans le temple d’Esculape
Objets votifs anatomiques vieux de 2000 ans
La civilisation chrétienne se substitue ensuite au monde païen… et ce depuis les pauvres gens qui ne font que graver des graffitis dans la pierre jusqu’à
une « Histoire de Saint Louis » dont parle Joinville, vœux de la Reine Marguerite de retour de croisade, ex-voto d’une « nef toute en argent de cinq marcs ».
Développement après périodes de contraintes.
Quattrocento et Renaissance : imagination débordante du surnaturel vers la superstition.
D’où la Réforme et Calvin et la Contre-Réforme, concile de Trente qui met en ordre. Renouveau catholique avec aux XVII et XVIIIème siècle essor des ex-voto.
La Révolution attaque la Religion et les œuvres d’art, mais des laïcs et des religieux risquent leur vie pour sauver des merveilles.
Après la Restauration, l’Église encourage mais la foi s’étiole et les tableaux votifs disparaissent, leur facture se vulgarise.
Rares sont ceux qui, parmi l’infinie multitude d’ex-voto, sont ceux qui nous parviennent.
Pourtant il y a, à nouveau de nos jours, engouement pour les ex-voto …….. histoire sans fin.
Variété des ex-voto
Objets souvenirs : liés au miracle : béquilles, plâtres, prothèses, vêtements, éclats d’obus, armes blanches, chaînes de prisonniers, menottes, bouées, brassières, ancres….
Objets manufacturés achetés aux portes des sanctuaires, en bois en métal, anatomiques…
Ex-voto scéniques : graffiti, tableaux, dessins, fixés-sous-verre, broderies, photographies…
Le plus souvent, œuvres de professionnels qui n’hésitent pas à travailler à la chaîne pour gagner du temps, mais aussi souvent œuvres de donateurs, surtout de marins (tableaux en méditerranée, maquettes en mers du Ponant quand les marins sont plus habitués au bricolage qu’à la peinture).
Maintenant nous allons poursuivre cette séance avec le moment tant attendu de la création d'un Ex-voto devant vous grâce à Laeti M et Cécile Orsoni, peintres de talent.
Troisième séance: Vendredi 29 janvier 2010 à 20H30
VOIR L'INVISIBLE DERRIÈRE LE VISIBLE:
Avec le Pasteur Jérôme Cottin, Professeur des universités, enseignant en théologie à la faculté de Strasbourg, spécialiste d’art sacré, auteur de nombreux livres dont " La mystique dans l’art de 1900 à nos jours "
La conférence de Jérôme Cottin:
Je vous présenterai nombre de reproductions car il est difficile de parler de l’art sans laisser l’art nous parler.
Au préalable quelques notions théoriques.
Vous m’avez fourni une piste en me proposant deux points de vue c'est-à-dire une œuvre ancienne et une œuvre contemporaine. Je me suis spécialisé dans l’art contemporain car la relation avec le christianisme était auparavant évidente mais peut-il y avoir une lecture chrétienne dans un art qui ne l’est plus ; c’est un sujet plus ardu sur lequel je me suis attelé. J’aurai à en parler dans cette problématique du visible et de l’invisible.
Donc deux périodes et deux modèles assez antithétiques :
Le premier est hérité de la philosophie antique puis repris dans le christianisme oriental aboutissant à l’icône.
Le visible y est un « tremplin » pour aller vers l’invisible ; il convient de se décrocher du visible pour aller vers l’invisible.
C’est un modèle marqué par la théologie grecque, orientale, qui ressurgit au XIIème siècle à Saint Denis avec l’abbé Suger, bâtisseur d’églises mais aussi théologien. Sa démarche du visible vers l’invisible se fait par étapes ; c’est en fonction de cela qu’il a inventé le style gothique permettant d’éclairer les bâtiments puisqu’il avait cette théologie de la lumière.
Ce modèle oriental est né avec le philosophe Plotin, philosophe non chrétien. Modèle repris par celui que l’on appelle le pseudo-Denys, moine syrien de la fin du Vème siècle (à ne pas confondre avec Denys l’Aréopagite contemporain de Paul et converti par lui) qui a écrit un traité de la théologie mystique et un traité sur la hiérarchie céleste, hiérarchie ecclésiale.
Il s’agit de la théologie néo-platonicienne.
Ce modèle a conduit aussi bien aux icônes qu’aux vitraux de cathédrales. Il a inspiré nombre d’artistes jusqu’à l’époque contemporaine qu’illustre Jean-Luc Marion et son fameux livre l’idole et la distance.
Le second modèle a été élaboré au début du XXème siècle par, non des penseurs mais par des artistes et qui a aboutit au concept d’un art abstrait, art où l’on voit que l’on ne voit pas. Il y a là éclatement de la matière qui établit une relation du visible et de l’invisible, mais sur de toutes autres bases.
Dans ce modèle l’invisible est « dans » le visible, sous le visible ; l’image est porteur de sa contradiction. Dans ce modèle l’artiste, créateur, ne part pas de
l’ « idée » comme dans le néo-platonicisme mais part de formes et de couleurs pour ensuite se poser la question de ce que cela signifiait.
Celui qui a été le plus loin dans cette approche c’est Kandinsky, peintre d’origine Russe qui a peint à Munich. C’est le premier non figuratif. Il a écrit « Du spirituel dans l’art »
Il faut citer Mondrian vers 1912
Ces créateurs ne veulent pas au départ être soumis à une quelconque idéologie et défendent le concept d’autonomie de l’art : l’œuvre est elle-même, selon l’idée kantienne. Mais finalement, et c’est intéressant pour le théologien que je suis, ces artistes et en particulier ceux qui travaillaient avec Kandinsky dans le cadre du Cavalier Bleu et de manière plus générale dans le cadre de l’Expressionisme allemand, avaient tous une quête spirituelle, je dis bien spirituelle et non pas chrétienne, c’est un peu différent mais spiritualité, quand même, fortement teintée de christianisme.
Ce thème du visible et de l‘invisible est majeur dans l’art contemporain (quand on parle d’art contemporain il vaut mieux parler d’art actuel, ou d’art d’aujourd’hui, le contemporain date vite).
Je vais vous montrer des œuvres qui allient à la plastique un dialogue intérieur, une approche d’une spiritualité chrétienne. L’œuvre devient métaphore de la Foi puisque dans la Foi il y a aussi une relation du visible et de l’invisible.
Quelques œuvres et d’abord issues de la philosophie néo-platonicienne :
Icône de la transfiguration (Moscou). Toutes les icônes se ressemblent car elles reposent toutes sur trois principes : 1) la pensée de l’un : en passant du visible à l’invisible on passe de la multiplicité à l’un, c’était l’ « idée » chez les néoplatoniciens, c’est devenu « Dieu » chez les théologiens 2) opposition entre la matière et l’Idée, la Spiritualité : Dieu n’est pas matière. On peut retrouver là chez Calvin des accents platoniciens : l’invisible de Dieu est au-delà du monde de la matérialité 3) idée d’ascension ; étape par étape, on est conduit vers la vérité suprême ; une des étapes est la sortie du corps puisque le corps fait problème ; c’est au nom de cela que la pensée néo-platonicienne fait problème n’étant pas en accord avec la pensée biblique ; désaccord sur le corps, sur la matière, sur les sens qui sont bons puisque voulus par Dieu. Citons Plotin dans les Ennéades : « Souvent lorsque je m’éveille à moi-même, en sortant de mon corps, et qu’à l’écart des autres choses, je rentre en moi, je vois une beauté d’une force admirable » .Pour voir la beauté il faut sortir de son corps en un mouvement ascensionnel et dualiste … c'est pourquoi cela a intéressé la gnose dans le voir du monde et de l’au-delà du monde.
Les Pères de l’Eglise Grecque se sont appuyés sur ce type de pensée en développant un autre concept : celui de l’opposition et de la relation entre l’archétype et le type ; le type c’est l’élément matériel et le proto ou archétype c’est ce qui est au-delà du type, le type premier, celui qui était à l’origine, c’est l’élément spirituel. L’image matérielle, c’est l’icône et l’image spirituelle, c’est Dieu et le Christ en tant qu’il est image de Dieu.
Ces Pères sont Athanase, Basile de Césarée, Damascène, tous des Pères grecs. Athanase : « L’image du Dieu invisible est une image invisible ». L’image n’est véritablement image que quand elle est invisible, quand elle a glissé du côté de l’idée, du concept de l’un, de l’origine de toutes choses, de Dieu en tant qu’il est à la fois l’image parfaite et le dépassement de toute image.
C’est un modèle dialectique, trop marqué par cette philosophie antique, grecque puis romaine, ce pourquoi il a été critiqué, voire refusé en occident chrétien…. Pour en arriver à la codification de la théologie de l’icône au concile de Nicée II en 787 « L’honneur rendu à l’icône atteint le prototype ; celui qui se prosterne devant l’icône se prosterne devant l’hypostase de celui qui est inscrit en elle ». L’image est un « transitus » entre le monde des visibilités et la Vérité invisible se confondant avec l’être de Dieu.
Icône : voyez la blancheur autour de Dieu. Le Christ est devenu aussi important que le Père puisque le Père est en lui. On note le concept de blancheur signifiant l’invisibilité présent dans la visibilité de l’icône. Plus on s’approche de Dieu moins il y a de couleurs, moins il y a de formes, et on en arrive à l’illumination totale ; on en arrive à l’unique blanc et je pense à Malevitch et son carré blanc sur fond blanc (Malevitch était de tradition orthodoxe mais catholique. Et inspiré par ce modèle).
Le Christ représente au mieux ce double aspect du visible, en tant qu’il est homme, et de l‘invisible, en tant qu’il est Dieu. Ce modèle philosophique s’est prêté assez bien à une christologisation.
L’abbé Suger, à Saint Denis, a redécouvert cette théologie néo-platonicienne du pseudo Denys . Vous voyez la façade de la cathédrale de Saint Denis première église gothique d’occident, première en ce sens que là s’est pensé de façon philosophique, théologique et esthétique, le concept de la spiritualité de la lumière. Ce que l’on appelle la pensée anagogique, la spiritualité de l’image. Suger dans ses écrits, nous dit son besoin de quitter ce monde pour approcher la divinité et cela par la médiation de la lumière ; les vitraux nous font nous sentir dans un autre monde où la lumière qui nous attire vient d’ailleurs, en une montée par degrés vers l’invisibilité. « Quand, en dehors de l’amour de la beauté de la maison de Dieu, la beauté des pierres aux multiples couleurs m’arrache aux soucis extérieurs et qu’une honorable méditation me conduit à réfléchir en transposant ce qui est matériel à ce qui est immatériel , sur la diversité des vertus sacrées, je crois me voir, en quelque sorte, dans une étrange région de l’univers qui n’existe ni tout à fait dans la boue de la terre, ni tout à fait dans la pureté du ciel et crois pouvoir, par la grâce de Dieu, être transporté de ce monde inférieur à ce monde supérieur de manière anagogique ». Notons que Suger dit bien que c’est par la grâce de Dieu et il ne faut pas, en effet, paganiser cette pensée.
Deuxième modèle, non supporté par une philosophie ni une théologie mais par un travail sur les formes, avec cette idée que moins la forme montre plus elle dit, moins elle est figurative plus elle a de force, disons esthétique, et nous dit quelque chose de l’invisible.
Eglise Notre Dame de l’Espérance : église située près de la Bastille, On voit sa façade d’abord, moderne, puis à l’intérieur un travail de Nicolas Alquin fait d’un poteau vertical creusé en partie haute d’une mortaise à fond doré ainsi que de part et d’autre, mais à distance, des travées horizontales intégrées à l’architecture dont les extrémités proximales sont revêtues d’un carré doré ; entre ces travées et la verticale : ….rien …. et pourtant cette poutre horizontale, absente, non visible, on la voit. « Croix d’Espérance ». Cette croix non représentée c’est nous qui la complétons par notre regard en une théologie du regard ; l’observateur participe à la construction même de l’œuvre d’art, idée très moderne…. l’observateur doit bouger et l’artiste fait des installations, cf Boltanski au grand palais. Il faut bouger, chercher le sens. A nous de faire de la création artistique ce que nous voulons.
A l’origine de ce mouvement Kandinsky et son livre « Du spirituel dans l’art » avec à la fois la destruction des formes et à la fois un manifeste du spirituel.
Saint Georges combattant le dragon (Kandinsky) on voit bien la silhouette du dragon, le bras, la lance ; il est parti d’une image figurative pour en arriver à déconstruire la forme afin de représenter l’apocalypse, donc avec un texte biblique derrière … et c’est lui qui le dit. De plus et on le voit sur cette image Kandinsky dans son atelier l’artiste est entouré d’icônes, de croix, de dragons, d’iconographies chrétiennes. … mais parfois K. est plus ésotérique ou influencé par d’autres sources, Bouddhisme, Indouisme … liberté de l’artiste.
Autre artiste à déconstruire la forme c’est Malevitch avec son abstraction géométrique quand Kandinsky est dans l’abstraction lyrique. Il s’engage dans la quête d’un monde sans objets, monde de la non-représentation, du fait d’une insatisfaction devant l’état de ce monde. Son fameux carré blanc, sur fond blanc, en 1918 qui fait suite aux horreurs de la guerre, peut se mettre en corrélation avec ce que l’on voit dans des icônes de la transfiguration.
Mondrian, dans une quête théologique et théosophique, lui qui avait pensé à devenir pasteur et débuté des études théologiques, simplifie les formes, simples verticales croisant des horizontales à l’intérieur d’un losange. « La vie de l’homme cultivé se détourne peu à peu des choses naturelles pour être de plus en plus une vie abstraite ».
Chillida, basque, sculpteur, ce qui est paradoxal du fait du volume, du poids, de la pesanteur, a travaillé sur l’opposition des formes qui sont lourdes et du vide évoqué : ici sur Espace sonore 1 qui évoque une croix, l’œuvre nous interroge sur l’objet sculpté : y voit-on les barres ou les espaces entre les barres ? Le vide entre ? La matière et le vide ? Voyez son tryptique, de Cologne, consacré à « Saint Jean de la croix » avec le jeu du vide et du plein… d’où la qualité de spiritualité. Voyez aussi cette statue, symbole de la réunification des deux Allemagnes, barres métalliques rouillées et lourdes dont on doit voir par contraste la dynamique. « Je suis un être religieux, les questions de Foi et mes problèmes d’artistes sont très proches. Ma conception de l’espace a naturellement une dimension spirituelle et philosophique, ma révolte constante contre les lois de la gravitation a un aspect religieux ».
La photographie aussi a tenté de mettre en scène cet invisible dans l’espace même de la représentation … et ce d’autant plus qu’aujourd’hui la photographie se travaille, se bidouille, devient presque peinture. Olivier Christinat, photographe Suisse, d’avant l’ère du numérique, expose une série « Apocryphe » à connotation biblique au moins culturelle. Ici une table sans pieds, semblant flotter, avec sur elle une corbeille de raisin, d’où une impression d’étrangeté, d’ailleurs. Du coup, simplement en effaçant les pieds, notre lecture de l’image change … en retirant des éléments visuels on rajoute du spirituel. En supprimant du signe on charge du symbole. .. ici, peut-être, une scène eucharistique, de l’invisible dans le visible. Dans sa Transfiguration il n’y a plus rien à voir qu’une flamme incandescente et dans L’interdit de la représentation, simples bras croisés sur une table, d’un personnage dont on a effacé buste et tête, on ne peut pas faire autrement qu’imaginer autre chose…. Métaphore de celui que l’on ne peut pas voir, signe de Dieu, qu’on ne peut voir mais que l’on peut évoquer.
Questions
--) Peut-on rapprocher le fait que le Seigneur, qui avait projeté de faire l’homme à son image et à sa ressemblance, se soit contenté de le faire à son image, délaissant la ressemblance, à fin (interprètent certains) de laisser à l’homme la tâche d’en rechercher la ressemblance … avec la décision des artistes de délaisser la ressemblance à fin de laisser au regardeur la tâche d’en rechercher le sens.
R. : vaste question et interprétation personnelle, d’autant plus que le rédacteur n’avait pas prévu l’art abstrait ; image et ressemblance sont toutes deux figurations.
--)Y a-t-il équivalence entre spirituel et invisible ? Et le voire peut être illusoire même dans le non figuratif. Quelle est la perception par nos sens de ce qui est donné ?
R : On ne dispose pas d’assez de mots pour transcrire des phénomènes qui nécessitent une dialectique. Chaque penseur se forge, donc, ses propres mots ; signes et symboles sont utilisés de façon opposée selon les auteurs. Même les étymologies sont variées selon les interprètes.
Vous dites que la tradition biblique saisit la matière comme un lieu spirituel par rapport aux platoniciens : tout à fait, et le modèle platonicien n’est pas sans problème ; il est tout à la fois le modèle le plus élaboré, celui de l’icône où tout a un sens, lignes formes, couleurs, l‘observateur et son regard … et en même temps où tout est faux et non biblique : l’opposition de la matière et de l’esprit, la sortie du corps, l’un opposé à la multiplicité, la non prise en compte de l’histoirequi fait que l’on est dans l’éternité, alors que la théologie chrétienne est une théologie dans l’histoire, qui assume le temps. J’ai exposé une théologie de l’image en orient, on n’a pas une théologie de l’image en occident. On n’a pas de théologie mais des productions d’images sur lesquelles les théologiens ont réfléchi, ce qui est différent.
--) Pourquoi Malevitch est-il revenu au figuratif ?
R : après son carré blanc sur fond blanc il ne pouvait aller plus loin. Plus tragique Rhotko au bout de sa peinture s’est suicidé ; après sa chapelle de toutes les confessions de Houston avec ses peintures noires, un peu du Soulage, noir lumineux, il était au bout de son itinéraire.
Sortie de son corps ?
Christinat s’est, en peignant, rendu compte de sa lignée protestante … il n’avait même pas vu que dans son nom il y avait « Christ » : l’invisible dans le nom ! Et il s’est même interdit la représentation du Christ.
Le moteur de la mise de l’invisible dans le visible est l’interdit biblique de la représentation de Dieu, mais tout en pensant que Dieu était vraiment « dans » le monde.
--) L’absence de figuration de la traverse de la croix en l’église de Notre Dame de l’Espérance, traverse que l’on appelle patibulaire en latin, m’a fait penser à une autre idée que l’on trouve dans le judaïsme : dans le temple, dans le Saint des Saints au dessus de l’arche, il y avait deux anges et dans le vide entre les deux, c’était la présence de Dieu, la chékina ( ?), présence de Dieu. Pour qu’il y ait présence de Dieu dans l’espace de l’église de Notre Dame, il faut qu’il y ait des limites à l’espace. Ainsi dans cette salle, il y a des murs mais n’y faut-il pas aussi le vide du taoïsme qui nous permet de bouger et d’être présent.
L’épître aux Colossiens parle du Christ, icône du Dieu invisible.
R : Oui la notion d’espace est importante, et c’est dans l’architecture contemporaine qu’en travaillant sur les formes on a cette idée d’un vide qui est en même temps un plein ; plein qui est délimité par un espace qui doit être fermé tout en restant ouvert. Et puis ce vide se remplit de personnes pour célébrer une présence mais qu’on ne voit pas.
Oui, la chapelle des Diaconesses de Rollinet est un très bon exemple de coopération d’une communauté qui s’initie aux lignes et formes, et d’un architecte qui se forme à la théologie. C’est une tendance générale, et un architecte disait récemment que pour un architecte, une commande d’église était un must. Le Centre-Huit est un peu un cube, on évitait la transcendance.
L’architecture est devenue statue, au sens qu’elle doit être signal.
--) Les orthodoxes voient derrière le visible de l‘icône, (couleurs et formes) de l’invisible,(la piété, la foi, l’espérance) … peut-on en dire autant des œuvres de Kandinsky ?
R : l’opposition n’est pas aussi stricte que je l’ai schématisé. La preuve en est les incessants ajustements des opposés ; la réception contestée mais admise de Nicée II ; sa remise en question par les théologiens de Charlemagne, les livres Carolins.
Chez Kandinsky, il y a à la fois refus de ce modèle et attirance.
Il faut aussi distinguer la réception d’une image avec nos sens, voire notre sensibilité chrétienne et sa réception selon une argumentation théologique.
Certains disent que la force de l’image, c’est qu’elle s’est imposée sans théologie. Il s’agit d’une anthropologie des images ou de l’art en général : on ne réfléchit pas, tout est émotion, si on réfléchit c’est qu’on n'a rien compris. Du coup les théologiens se sentent à la traine.
--) N’est-on pas de nos jours dans une dictature du visible ?
R : Le figuratif s’impose et Paul Ricœur dans « critique et conviction » parle de l’expérience esthétique et où pour lui le summum ne peut être atteinte que face à une œuvre non figurative : là on est dans un retrait du monde qui permet de juger le monde et de mieux l’investir. Dès que l’on est devant du figuratif, on est soumis à des concepts et à des questions du genre :
« qu’est-ce que ça représente? » qui nous maintiennent dans le monde.
Quatrième séance: Jeudi 11 mars 2010 à 20H30
SEANCE PEINTURE:
Aujourd’hui, quatrième séance, séance peinture. Pour suivre le déroulement de la séance il faut suivre, à notre tour, la démarche des artistes qui ont, de tout temps, réfléchi à la technique de la peinture. C ’est pourquoi nous avons affiché les oeuvres de deux artistes, mais des artistes contemporains pour faire saisir où nous en sommes de la technique.. Avant d’entrer dans la peinture il nous faut nous rappeler qu’elle est faite de couleurs et de formes et cela a été compris depuis longtemps. Olivier Mérijon , peintre bien reconnu et surtout mon maître que je remercie chaleureusement, va, tout d’abord, nous dresser l’histoire de cette compréhension de la peinture. Nous verrons ensuite en projetant des fragments de tableaux comment les règles de la peinture ont fonctionné ; puis nous en passerons des fragments à la globalité du tableau. Enfin à partir des oeuvres nous essayerons d’y trouver de la spiritualité et d’y voir le tempérament de l’artiste.
Idée ou émotion disais-je, en effet :
Il est deux façons de percevoir le monde : par la Sensibilité ou par l’Intelligence ou autrement dit avec le coeur ou avec la tête.
C’est l’opposition première, ontologique nous dit Derrida. En fait, comme dans toute opposition, tout est dialectique, oscillation.
Ainsi quand je peins mon geste oscille tout le temps guidé par mon coeur et / ou par ma tête.
Cette oscillation est comme un courant alternatif et ce courant est universel ; par contre sa longueur d’onde varie avec les individus et avec le temps. Certains sont plus sensibles au coeur d’autres à la tête ; et l’on varie selon son humeur d’un instant à l’autre.
Ces deux façons de percevoir sont aussi bien celles du peintre que celle du regardeur.
Pour la peinture, comme le dit Daniel Arasse on peut être saisi par la beauté d’un tableau en un coup de foudre par notre sensibilité, notre coeur. ou voir le tableau se mettre progressivement à nous parler, « le tableau se lève » ont dit les frères Goncourt, du fait de notre intelligence, notre tête mais toujours en une oscillation tête et coeur.
Pour le croyant : opposition ou oscillation entre la Foi de ceux qui, par sensibilité, ne se posent pas de questions métaphysiques, Sensibilité dès les genoux de la mère, la douceur de la voix, la beauté de la nature, ceux qui donnent avec le coeur comme la rose donne son parfum et ceux qui par intelligence, raison, lecture des Ecritures, en vivent.
Pour le médecin que je suis il y a oscillation permanente entre une éthique du bien pour le patient selon mon coeur et une éthique du bien pour la collectivité selon ma tête. Dialectique de l’autonomie du malade et celle du médecin
Olivier et moi peignons et parfois nous empoignons sur ce qui, dans nos oeuvres, nous vient de notre intelligence et ce qui nous vient de notre sensibilité. L’histoire de la compréhension de la peinture va nous montrer que nous ne sommes pas les premiers à nous empoigner.
« Peinture et spiritualité, le cycle de conférence, initié par Philippe Lemant , me permet aujourd’hui de vous retrouver.
Il n’est pas simple de parler sur ce thème. Pourtant essayer de le faire vivre m’intéresse, y réfléchir en fonction de mon vécu pour vous le faire partager me semble être une alternative.
Comme vous le savez certainement, je suis peintre, peintre depuis ma naissance, pourrais-je ajouter.»
-) Aristote a enquêter sur les couleurs : avec lui ce ne sont plus les objets qui déterminent la couleur mais c’est la lumière du jour qui les colore, ainsi l’on passe du blanc du matin et au fil de la journée au jaune, à l’orange, au rouge, puis avec le soir au vert, au bleu et au noir. C’est en interposant sur un fond de marbre blanc un morceau de verre jaune puis de verre bleu qu’il a observé une résultante verte.
-) Newton, en faisant passer la lumière du jour au travers d’un prisme la décompose en couleurs de l’arc en ciel puis à travers un autre prisme recompose un faisceau blanc à partir de ces couleurs. Il comprend ainsi que les couleurs ne sont pas des modifications de la lumière blanche mais que c’est leur somme qui produit le blanc. Newton est un physicien.
-) Goethe est un poète, un poète qui consacrera 2000 pages à un traité de la couleur, un sensible, un intuitif qui n’a pas besoin de la science comme média car c’est notre cerveau qui perçoit les couleurs et leur donne sens. Il analyse « l’effet sensuel-moral » des couleurs isolées sur le sens de la vision et par l’intermédiaire de celui-ci sur l’humeur ». Il classe les couleurs en un cercle chromatique, décrit les couleurs primaires, secondaires et tertiaires, leur alliance en axe des couleurs complémentaires, donnant force, sérénité ou mélancolie ou encore intensité ou clarté.
-) Kandinsky va aller plus loin dans la double acception de l’esprit et de la technique. Il résumera ses recherches dans son livre « Du spirituel dans l’art ». Non seulement les couleurs nous font vibrer chacune à leur manière mais les formes aussi : point, cercle, triangle, carré, angle aigu ou obtus, ligne droite, brisée, horizontale (sol), verticale, oblique... et aussi la composition et le support de l’image. Mais la technique doit être au service de l’Esprit et le peintre a pour mission d’entraîner le regardeur vers le haut, la vie spirituelle de l’humanité étant un grand Triangle à pointe élevée vers le ciel.
-) On peut en conclure que l’acquisition de la technique s’est faite progressivement au fil du temps mais qu’aujourd’hui, encore, chaque peintre doit reprendre à son compte ce long apprentissage s’il veut pouvoir exprimer son émotion.
Le public attentif est ensuite invité à regarder, accrochées sur les panneaux de lin, les oeuvres de deux peintres contemporains : les collages de Roselyne Le Gales et les huiles d’Anne de Colbert Christoforov. Tout d’abord est projetée sur un écran l’analyse séquentielle d’un des collages : signe par signe, couleur par couleur, selon un ordre déterminé, ici, par le regardeur afin de faire comprendre le comment de l’exécution d’un tableau. Puis, après cet aperçu technique, le public est invité à regarder la globalité de la toile et à réagir à celle-ci ; réagir, là encore, selon son coeur ou selon sa tête. Olivier Mérijon nous aide à voir, à voir rythme et formes, décision et subtilité à différencier la « peinture » de la décoration. Nous percevons qu’il y a de la musique dans les oeuvres et des poèmes à écrire sur elles et que tous les arts se complètent pour nous faire entrer dans chacun d’eux.
Cinquième séance: Jeudi 15 avril 2010 à 20H30
ENTRE LE PEINTRE ET SON TABLEAU:
Introduction : Philippe Lemant
Le philosophe Patrice Loraux nous a fait le plaisir et l’honneur d’accepter de mettre des paroles sur des images, je vous le présenterai tout à l’heure.
« Peinture et Spiritualité » c’est Image et Parole
Rappelons qu’il s’agit d’une double approche de la spiritualité par la lecture de l’image et l’écoute de la parole.
Au centre huit nous avons l’habitude de cette écoute de la parole mais peut-être une réserve quant à l’usage des images, en tous cas pour cheminer vers la spiritualité d’autant plus que ce centre-huit est de sensibilité protestante. C’est pourquoi nous avons commencé par une table ronde (juive, catholique, protestante) sur le statut de l’image ou comment ne pas être fascinés par ces images.
La seconde réunion a été consacrée aux ex-voto pour que l’on voie la simplicité, la naïveté, avec laquelle l’homme établit une relation à son Dieu : la représentation simultanée de l’homme et de la divinité permet à l’homme de ne pas être enfermé sur lui-même, l’image parle pour lui sans qu’il en soit fasciné.
Troisième réunion, le pasteur Jérôme Cottin nous a permis d’aller plus loin en nous faisant voir l’invisible dans le visible, une présence par une absence, comme la transversale de la croix dans l’église Notre-Dame de l’Espérance que tous nous avons vu alors qu’elle n’existait pas ; on peut dire que l’image parle !
Quatrième réunion : nous avons vu s’élaborer par deux jeunes peintres, un ex-voto là encore, sous nos yeux fascinés, certes, mais il y eu aussi parole.
Aujourd’hui cinquième réunion que j’avais baptisée « L’entre-deux » car Patrice Loraux nous avait dit, lors d’un ancien congrès, qu’un philosophe ne s’intéressait ni au peintre ni au tableau mais à ce qui se passait entre les deux et Patrice a accepté de nous en entretenir, entre-tenir. C’est pourquoi nous avons choisi de partir, comme image, du tableau du Narcisse du Caravage avec, entre le visage de Narcisse et son reflet, le miroir de la surface de l’eau mettant en évidence la captation de son regard… vous le voyez sur le panneau de gauche. Vous voyez, par opposition, sur le panneau de droite, le symbole de notre cycle, le symbole du yin et du yang avec son vide médian comme une échappatoire à cette captation du regard telle que la subit Narcisse… nous nous en expliquerons.
Mais Patrice Loraux est un philosophe malicieux qui aime bien nous ouvrir des portes mais pas toujours où nous l’attendions et il va nous proposer d’autres chemins. Rappelons que Patrice Loraux est Maître – de – Conférences honoraire au Département de Philosophie de l’Université de Paris 2 qu’il est Ancien Directeur de Programme au Collège International de Philosophie. Auteur de nombreux livres notamment « Le temps de la pensée »publié aux éditons du Seuil.
C’est avec joie que je vous laisse la parole
Patrice Loraux
Je vais essayer de vous emmener dans un récit plutôt qu’une accumulation de concepts, ce qui ferait peur, donc dans un récit, une promenade, un parcours à travers ce tableau.
Heureusement que le Dr L. m’a dit partez du « Narcisse » … j’accepte : cela tourne le dos à ce à quoi on attend car Caravage (1560 / 1610 à peu près) est une sorte de Pasolini et tous les deux passent par le scandale. Ils sont tout le contraire d’un chemin droit vers la spiritualité à moins de passer par l’érotique, le scandale, la critique sociale, la passion de Pasolini (théorème).
Mais Caravage est presque contemporain d’une autre figure, celle d’Ignace de Loyola avec ses exercices spirituels.
Je vais vous proposer un exercice spirituel de la lecture du tableau. Un exercice est un chemin, une certaine obéissance, sans protestation immédiate, une rumination, une domination de la temporalité, une obligation par rapport à l’heure.
Ignace a été professeur de philosophie et la philosophie commence par neutraliser, par suspendre la chose qui vient tout de suite, ainsi par neutraliser la séduction esthétique quand il s’agit du tableau du Caravage et l’adhésion à la foi quand il s’agit des exercices de Saint Ignace.
J’essaie de ne pas être captif de ces deux séductions. Cependant on est en pleine peinture classique et en pleine spiritualité ; si aujourd’hui on est au bord de la peinture et de la spiritualité, au XVIème siècle on en est au coeur, Caravage est un grand classique et Ignace est au coeur de la catholicité encore triomphante.
Partant du Narcisse je vais vous proposer un va et vient comme on le fait devant un tableau, on s’approche, on s’éloigne, on s’approche à nouveau ; cette scansion est en écho avec une pensée de Pascal : pour juger d’un tableau, de près, de loin, c’est à vous de juger. Je vais vous proposer l’analogue d’un exercice spirituel, un parcours, qui tient compte d’abord des attaches charnelles ; il faut d’abord les réactiver, surtout pas commencer par s’échapper, qu’il s’agisse d’attaches mondaines, sensuelles, érotiques, amoureuses, ce qui nous tient. Pour les quitter il faut y être et donc commencer par les réactiver. Pour en jouer, pour s’en déprendre et pour s’en servir (les trois) il faut les grandes puissances de l’âme dit Ignace : la sensualité, la mémoire, l’intellect, l’imagination, la volonté, à fin d’accueillir la volonté de Dieu.
Caravage ne passe pas pour un spirituel ; l’exercice serait facile si l’on disait Duccio, Piero della Francesca, Fra Angelico… Ici il faut commencer par jouer entre l’esthétique et l’érotique en réaffirmant l’expérience érotique ; si ce tableau vous laisse neutre l’effet est raté ; il doit provoquer une séduction ; je vais essayer de dégager cette séduction.
Une fois que la capture est réalisée il sera intéressant de faire la différence entre des chaînes et des liens (des liens peuvent devenir des chaînes et des chaînes se métamorphoser en liens) Au bout d’une chaîne il y a souvent un maître et un esclave Nous dirons qu’une langue entre nous est un lien, si elle devient une chaîne c’est une catastrophe ; de même de nos relations, de nos affections. Par conséquent il y a un jeu logique, psychologique, métaphysique, moral, entre ses deux mots.
Il faut réaffirmer l’ancrage sensoriel du tableau mais le motif en est païen, mythologique donc c’est un détour par un motif profane. Vous savez bien que la quasi unique dimension du monde profane dans lequel nous vivons c’est la dimension du spectacle / scandale ; pour qu’un spectacle ait un peu d’intérêt il faut le pimenter d’un peu de scandale et pour qu’un scandale soit acceptable il faut le tourner en spectacle. Jouer de ça et vous aurez tout ce qui se fait aujourd’hui en matière de communication Je vais vous proposer une petite dimension scandaleuse car il faut jouer le jeu ; je vais vous mettre le doigt sur ce qui est scandaleux.
Je vais d’abord vous mentionner les trois axiomes qui permettent de sortir de ce couple spectacle/scandale (ça s’appelle la philo) ce sont : 1) la philo n’apporte aucune doctrine. 2) elle prend les choses au moment d’une crise et il y a crise aujourd’hui au niveau des capteurs, ces appareils (portables, ordinateurs…) qui nous servent mais qui nous capturent. Si nous étions capables d’être nus par rapport à ces appareils, quelle vie se serait ; on imagine un retour au primitivisme, être dans le plus simple appareil comme l’on dit ; c’est une crise vitale car pas de crise pas de philo. 3) cette crise consiste à ne pas bien articuler la maîtrise technique et l’indépendance technique, à ne pas bien articuler la puissance de produire du visible et un certain rapport à de l’invisible. Ca c’est très en crise et une fois que le philosophe tient une crise il la pousse jusqu’à la limite c'est-à-dire au-delà de ce que l’on voudrait et là il passe à un autre registre.
Alors j’entame le récit : en plein centre que voit on d’abord ? … En fait on voit ce qu’on veut, on voit ce qu’on peut, on ne voit pas toujours ce qu’il ya à voir, on voit autre chose que ce qu’il y a et ce qu’il faudrait voir on ne le voit pas … Toutes ces variantes parfois en même temps. Voyez le deuxième genou verdâtre, il n’y en a aucun reflet et c’est le seul élément du tableau qui n’ai pas de reflet … on peut s’interroger sur ce qui ainsi échappe à la logique de la réflexion chez ce grand peintre. Cette anomalie je vais la qualifier de façon scandaleuse ( le scandale ne vient pas de moi mais de ceux qui interprètent le tableau) : le genou, si c’est un genou que vous voyez, a été interprété comme un phallus ; pas besoin de beaucoup d’imagination pour consentir (mais on peut ne pas consentir) ; on voit ce que l’on peut voir on ne peut pas voir au-delà de ses forces. Le genou vert est la réplique de ce premier phallus. Si vous ne voulez pas voir ça vous ne verrez pas le tableau et vous ne verrez pas l’invisible qui est là ; il faut passer par cette composante là.
Ceci m’amène à un petit moment de théorie sur les 4 temps du voir : 1) d’abord voir = être capturé par un détail ; on ne voit jamais le tout au début 2) voir autre chose que le détail captivant, captivant pour celui qui regarde et accepte de se laisser prendre (c’est comme au cinéma : si on ne se laisse pas prendre on n’est pas un bon spectateur, on ne joue pas le jeu) on risque d’être pris, c’est ça la vie. On peut me tromper mais pas moyen de démêler le vrai de l’illusion du moins au début ; il faut faire un bout de chemin et finalement voir autre chose, voir le tout. 3) voir autrement cad en ayant un autre angle d’attaque. 4) autre chose que voir et je vous demanderai en fin de parcours de faire autre chose que voir.
On pourrait mettre ces 4 temps en parallèle avec les composantes de toutes spiritualités, qu’elles soient occidentale, européenne ou extrême-orientale, catholique, protestante…
Une spiritualité a au moins 3 composantes pour être telle, à savoir : 1) un renoncement volontaire à son vouloir propre, la volonté doit renoncer à la volonté (cf Jacques Lebrun « Le pouvoir d’abdiquer) pour laisser place à une volonté plus haute, plus grande. 2) neutraliser, en la laissant présente, la séduction du monde ; le monde est là attirant comme si il n’attirait pas. 3) accueillir, c’est un mot français qui traduit le mot agape en son vrai sens. Un accueil de ce qui est asymétrique et qui est paradoxal ; l’asymétrique est paradoxale : le plus grand peut commencer par le plus petit. C’est l’argumentation pascalienne dans les « Pensées » à savoir le scandale de l’incarnation : on attendait un roi, on a un tout petit.
Et une spiritualité exige : 4) une première capture ; si on n’a jamais été capturé par le sensible, si on n’aime pas le monde, on ne peut pas le quitter. 5) une déprise, il faut se déprendre, se séparer, Ignace parle de retraite. 6) un moment où n’y comprend plus rien, une déprise d’intellection. C’est là où les philosophes s’arrêtent ou divergent : renoncer à comprendre … là s’arrête la quête spirituelle. Non comprendre donne l’expérience d’un chemin dès que l’on ne comprend plus il faut trouver la direction, un chemin ça se parcourt, c’est plein de cailloux, c’est éprouvant et puis il ya des rencontres. Un point majeur : il faut consentir à la direction, consentir à être dirigé. Il faut obéir, on n’aime pas obéir mais il ne s’agit pas d’obéir comme on obéit à nos machines ; il y a à des moments où on ne peut plus faire que cela, mais pour comprendre que l’on ne peut plus faire qu’obéir, il faut avoir traversé tout ce que j’ai évoqué (les jésuites en savent quelque chose). Il y a là quelque chose de l’exercice et de l’épreuve ; ce que l’on ne fait pas quotidiennement ne rentre pas dans notre expérience humaine, que ce soit de la philosophie, de la cuisine ou la prière …tout ce qui est humain exige un rythme quotidien. 7) chemin jusqu’au seuil de peut-être tout autre chose.
Ignace suggère de bien comprendre le moment pertinent ou il faut renoncer aux attachements, faire retraite, s’abandonner à une sorte de manque de direction. Si les Jésuites vous agacent faites comme les philosophes : laissez tomber le superflu, le dogmatique . Reste le chemin et il faut le trouver, ce n’est pas évident, il faut avoir le courage et l’audace de le suivre, mais d’abord le trouver et on ne le trouve pas comme ça ; il est indiqué mais pas donné ; c’est difficile de comprendre une indication ; il y a des signes mais les signes exigent qu’on puisse ne pas les voir (c’est dans leur définition) sinon ce sont des pancartes. Retenez simplement d’Ignace le chemin, le directeur, l’exercice et l’usage réglé du sensuel. Pour faire une chose, chose qui est une transformation, puisque sans transformation il n’y a pas de vie spirituelle, il faut savoir qu’il est requis, par l’exercice, de transformer ce qui capture, ce qui capture par force, autorité ou séduction (les trois grandes captures) pour convertir ça en un chemin vers un peut-être tout autre chose.
Aussi je vous propose un exercice spirituel sur ce tableau, une lecture spirituelle au sens d’Ignace.
Il y aura 4 temps de cette lecture
1) On y lit d’abord une capture plastique charnelle : c’est une première étape, un chemin, un exercice. Si vous regardez bien (on peut y voir des phallus sans voir des phallus partout, façon Lacan, maintenant que nous sommes moins captifs) vous remarquerez qu’il n’y a pas un iota de vie, pas une plante, pas un animal, tout est immobile, pas un souffle de vent (le reflet en serait perturbé). Narcisse y est seul, dans une terrible solitude. Toute la scène est enfermée entre les bras de Narcisse et les bras de son reflet en un cercle dans lequel il n’y a que lui… tandis que dehors tout est ténèbres, obscurité, nuit …Solitude mise en évidence par l’absence de détails ce qui est rare pour une peinture du XVIIème siècle. On voit deux formes énigmatiques : un genou, j’accepte genou, acceptez phallique, c’est un marché, et je vous propose de penser que le phallus vert est le reflet du phallus blanc … le reflet continue (est-ce que je délire ? on voit ce qu’on veut voir). Si je ne faisais pas cet exercice je m’arrêterais à cette phase. Vous pourriez quand même déjà tirer une leçon de cette première station : quand on est avec soi-même (avec un phallus vert cadavérique), l’image de l’Eros qu’on a de soi-même finit par un Eros cadavérique. En effet c’est la seule touche verte du tableau et le reflet du visage montre un Narcisse déjà en train de dépérir, indication de son destin)
Solitude de Narcisse : Ovide, le poète latin, nous rapporte que dans la culture grecque un homme seul est perdu. Adage grec.
Vous pouvez refuser de voir ce que je vois mais vous devez quand même expliquer pourquoi il n’y a pas de reflet du genou vert. Ce qui m’intéresse c’est de voir qu’il y a une clôture sur elle-même de l’expérience qui est faite par l’érotisation seule. Si on ne veut pas la quitter on est perdu et pourtant il faut être repassé par elle. Les expériences ne sont bonnes que quand on les fait et que l’on poursuit. Si on se cramponne à une expérience c’est surement ça qui est l’interruption de la vie spirituelle à savoir que il n’y a pas de halte possible, autrement dit, chaque fois que l’on a fait halte il faut repartir pour ailleurs. Si j’avais à dire en un mot ce que j’appelle la vie spirituelle, la spiritualité, c’est l’expérience que l’on a jamais atteint un but où on peut s’arrêter. Là où on s’arrête pousse une idole ; les idoles c’est toujours là où on a arrêté ses pas.
2) Je propose de sortir de cela par la culture parce que pour voir ce que vous ne voyez pas et en effet c’est invisible à côté de ce que vous voyez, ces deux genoux que vous avez du mal à bien placer, il faudra avoir aperçu ces deux genoux et accepté de quitter cette fixation. Il me faudra vous parler du coeur.
Ce n’était que la première station : aucun dehors, un objet énigmatique.
Maintenant on va s’arracher par un détour, un élément culturel, une relecture au livre III des métamorphoses d’Ovide du passage sur Narcisse.[ Je m’inspire des travaux de Marie-José Monzain du CNRS et à l’école des hautes études en sciences sociales de Philippe Hersant]
L’histoire commence par un oracle, celui du fameux Tirésias, le devin aveuglé par Apollon. Aveuglé il a la vision (Il a aussi la double connaissance du plaisir de l’homme et de la femme).
La mère de Narcisse est une rivière fécondée par un fleuve ; Narcisse est né de l’eau d’où le sens du tableau. Elle demande à Tirésias si son fils vivra vieux ; réponse de Tirésias « s’il ne se connaît pas ». Narcisse sait et ne sait pas en même temps, comme tous les héros de la mythologie antique, qu’il est sous ce destin. Il est saisi de démesure et a pris la décision de fuir l’amour. Il ne sait pas qu’il est beau. Il ne sait pas qu’il fuit les miroirs Il croit qu’il se suffit à lui-même par où il se méconnaît, mais se méconnaitre est le plus sur chemin pour finir par se rencontrer. Narcisse croise Echo, la nymphe amoureuse de lui, Echo punie par Junon pour avoir favorisé les amours de Zeus et qui ne peut plus que répéter le dernier mot en fin de phrases. Elle croise un jour Narcisse qui était seul et qui demande « y a-t-il quelqu’un près de moi ? » elle répond « …moi » « unissons nous » dit-il et se reprend « plutôt mourir que m’abandonner à toi» et, malédiction d’une dédaignée, Echo s’exclame « puisse-t’il aimer et ne jamais posséder » et là, Némésis, la justice supérieur, dit « Soit, il en sera ainsi »…. Et voilà qu’il découvre en une source pure cette imago dont il ne sait pas encore que c’est son image ; il en tombe amoureux de cette imago qui n’est pas image. Imago c’est ce faux autre, presque l’autre mais indiscernable, sans consistance. Qu’est-ce que la même chose qui n’est pas la chose ? Un reflet est une énigme et pour cela une chose séduisante par soi. Les malins contemporains ont compris avec des imagos on manipule tout le monde. Le faux autre c’est facile parce que c’est vous et que vous croyez que ce n’est pas vous. C’est une capture par un autre qui est soi-même. Et donc illusion de la fusion et du désir de fusion. Narcisse s’extasie devant son imago ; il ne sait pas encore qu’il est amoureux de lui-même. Sans s’en douter il se désire lui-même, amant et objet aimé … alors voilà le fantôme que tu aperçois, l’ombre de ton image sans consistance tu ne la saisiras pas, douleur ! L’être qui me charme je ne puis l’atteindre ; sitôt que je mets la main ça se brouille et pourtant tu répons toujours à mes signes (quand il tend la main l’image tend la main) Mais cet enfant, dit-il à un moment, c’est moi, iste ego sum, mon image ne me trompe plus ; je brûle d’amour pour moi. Il vient de découvrir que l’imago qu’il aimait c’était l’imago de lui et il ne désire plus qu’une chose : être uni jusqu’à la mort, ce que Némésis va honorer. Il succombe du feu secret qui le dévore. Sa beauté le quitte. « Adieu » dit Echo qui l’avait aimé. Il meurt ; il n’est pas noyé. Une fois mort il se mire encore dans les eaux du Styx. Son corps a disparu et à sa place une fleur pousse, un narcisse.
La culture est une ressource pour n’être pas trop capturé par les séductions immédiate mais ce n’est pas le dernier mot de tout. Grâce à elle nous disposons désormais de la temporalité d’une histoire. Ce n’était que spatial. Histoire dominée par la question du savoir et du savoir spéculaire. Est-ce qu’on peut connaître autre chose que soi ? Question importante.
Je reviens sur la solitude, je reviens sur le fait que l’image mimétique sera l’objet privilégié de la peinture classique : l’image dans l’eau … Narcisse fils de l’eau … Il ne sait pas que quand il s’approche de l’eau il s’approche de l’élément maternel.
Il y a une série logique : eau, image, amour, mort. … si l’on suit cela on a le contre-chemin du chemin spirituel. Là c’est une chaîne.
Il ne se noie pas ; il perd consistance, moins qu’une image, il est rendu à la terre ; il perd sa forme et il renaît dans la forme d’une fleur éphémère : métamorphose, résurrection simplement naturelle… pas encore la grande résurrection dans l’Esprit.
Nous avons parcouru un récit où se voit le nouage entre le savoir, l’ignorance, l’amour, la chaîne, la mort…. entrecroisés… et ça se termine sur une renaissance selon la nature, pas encore l’esprit.
3) Retour devant le tableau, nous sommes sur le seuil de l’énigme : miroir, portrait, reproduction, représentation ; nous, vous, moi, devant le tableau comme Narcisse lui-même dans le tableau devant son image spéculaire. Lui est seul, nous, nous ne sommes pas seul. Où est le peintre ? A côté de nous ? S’il est à côté de nous il est hors tableau et donc avec nous comme un moraliste qui illustre une fable et ce qui advient à quelqu’un qui se voit. S’il n’est pas à côté de nous il est peut-être dans le tableau auquel cas nous sommes seul à nouveau.
Entrons dans l’analyse de ce que l’on ne voit pas dans le tableau. Ce que l’on ne voit pas c’est le retravail, les « repentirs », que l’on ne voit que par analyse radiographique.
Dans le tableau actuel les yeux du reflet ne nous regardent pas ; dans la première version les yeux du reflet étaient tournés vers nous. Nous avions donc directement le portait de Narcisse pour nous. Or Caravage lui a fait subir une rotation et le reflet n’est plus pour nous mais pour Caravage en tant qu’il a décidé d’occuper la position qu’occupe Narcisse modèle. Par conséquent nous voyons en ce moment un reflet qui n’est pas pour nous mais qui est pour Narcisse. Mais Narcisse n’est pas seul il est habité par le peintre qui peint, qui peint ce qu’il est en train de voir, c'est-à-dire que le peintre et Narcisse coïncident ; confusion du modèle et de la copie. Ce que nous voyons c’est un portrait de Narcisse peignant un portrait de lui-même, un Narcisse investi par le Caravage qui en fait un Narcisse inventeur de la peinture.
Ce tableau chez Alberti, le grand théoricien de la renaissance, passe pour être le tableau qui figure l’allégorie de la peinture elle-même, c’est à dire un sujet, une surface, et la projection sur cette surface qui réfléchit, de ce qui est le modèle et qui devient le reflet. On voyait les yeux du reflet et on imaginait que Caravage était à notre place à nous, là où nous sommes en ce moment. C’était sensé … voila que dans la seconde version Caravage est entré dans le tableau, a renoncé à la représentation pour faire l’allégorie de la peinture se peignant (Ce n’est pas moi qui invente, c’est Alberti, un classique). Dans cette symétrie spéculaire copie et modèle se renvoient l’un – l’autre ; on voit à la fois un portrait, une image, un miroir, un tableau. Le peintre se représente sous les traits d’un Narcisse peintre mais dépourvu ici de tout matériel de peinture (chevalet, pinceau…) ce qui est inhabituel. Comment le sait-on ? Par l’analyse radiographique qui a permit de comprendre que grâce à une série de miroirs Caravage a pu avoir comme regard, le regard qu’il aurait lui s’il était en lieu et place de Narcisse. Donc tout peintre se peint lui-même et le sujet d’un tableau c’est celui d’un peintre qui peint en projetant des images sur une surface. C’est le thème de la vision d’un Narcisse spectateur et en même temps acteur de lui-même (et alors là accomplissement du « connais-toi, toi-même »…. qui était une chose redoutée dans le deuxième temps « vivra s’il ne se connait pas ») et là le reflet se connaît intégralement puisque peintre et sujet coïncident.
4) Si on fait pivoter le tableau de 90° si vous regardez le reflet et si vous le comparez au tableau de décollation de Jean-Baptiste vous serez frappé par le fait que l’on a interprété le reflet non pas comme la tête de Narcisse vivant mais comme la tête de Narcisse mort. Il y a chez Caravage beaucoup de décollation : Judith et Holopherne, Goliath, la Méduse et donc chez Caravage un souci pictural de se demander ce que c’est que de voir un visage de face. On ne peut pas voir un visage de face s’il est vivant. Regardez il a les yeux fermés et la tête posée comme celle de Jean-Baptiste sur un plateau. Il ne faut pas plus d’imagination pour voir une tête décollée que pour voir un genou phallique.
Seulement et c’est le 4ème temps, 4ème regard après l’érotique, le mythologique, le scientifique, c’est le moment proprement spirituel. Que voit-on dans le reflet que peint Caravage ? Comme un auto portrait du Caravage en peintre. Narcisse se réfléchit pour nous, non pas en auto portrait mais en tête décapitée et déjà marquée par la mort.
Pour confirmer ceci regardez les « Saint Jérôme » de Caravage, il y a plusieurs Saint Jérôme du Caravage : Saint Jérôme tend les bras et au bout il y a une tête de mort … et entre les deux il y a l’interposition des Ecritures … dans un autre « Saint Jérôme » il y a entre Jérôme et la tête de mort un stylo. Si on n’interpose pas les Ecritures, que l’on lit ou qu’on écrit … on est en face à face avec la mort. Comme Narcisse n’a pas l’écriture, n’a pas la lecture, n’a pas beaucoup de culture, il est en face à face avec la mort. Alors même que Narcisse ouvre les bras en avant de lui, ses bras ouverts se referment sur eux même en un cercle clôturant.
Mais, mais si Ignace avait pris le relai il aurait dit : si seulement il avait ouvert les bras devant les bras du crucifié, il aurait ouvert ses bras en ouverture.
La lecture proprement spirituelle de cette histoire exige qu’on la relise. En passant devant ce tableau vous êtes accrochés par un détail, peut-être de façon fallacieuse (comme l’amour), un passant qui a besoin d’un guide, ici Caravage lui-même, qui était à côté de vous et qui rentre dans le tableau. Il vous indique comment entrer dans le tableau et comment regarder le tableau en mettant vos yeux dans les yeux de Caravage, eux-mêmes dans les yeux de Narcisse, qui voit quoi, non pas son reflet vivant mais son reflet mort.
Maintenant que le guide vous a introduit apparaît une posture désirante qui se développe sur trois points : au seuil de l’expérience spirituelle il faut se remémorer qu’il y a trois composantes en jeu : 1) toujours un leurre structurant (on peut toujours être séduits, être captifs à son insu ; pour Narcisse sa démesure l’a empêché de voir que ses liens allaient être convertis en chaines) 2) entrevoir non pas la mort, mais soutenir le visage de soi comme mort, ce qui n’est pas pareil. 3) consentir au paradoxe infini à savoir que l’organe qu’est le coeur est un organe spirituel et non plus corporel comme le genou phallique. Le coeur est en nous l’organe qui nous fait sentir la disproportion et le jointure impossible du fini et de l’infini. Qui n’a pas de coeur est celui qui ne sent pas en lui qu’il est écartelé et qu’il est le lieu de l’écartèlement du fini et de l’infini. C’est le « Pur Amour »…qui est le lieu du renoncement à tout désir fini, le lieu où l’on s’offre pour être un terrain vide où la volonté de Dieu vient s’exercer, ainsi qu’il a été soutenu par Fénelon (Quiétisme) … mais condamné par le pape pour ne pas tomber dans la ruse de l’orgueil). Le coeur non figurable est au dessus du genou … en fait, et je le vois seulement maintenant il est figuré, surtout si on retourne le tableau. Ce coeur doit faire advenir une absence. On est invité à sentir que le sens de la disproportion entre le fini et l’infini fait défaut et ce qui manque à Narcisse c’est d’éprouver la faille qui l’ouvrirait au dehors. Le coeur devient le coeur de l’exercice spirituel, qui consiste à devenir en soi sensible à cet organe en nous qui n’est pas corporel.
Chez Pascal le coeur est l’organe qui permet, non pas de connaître mais d’éprouver la disproportion. Ce qui manque à Narcisse c’est qu’il connaît trop. Finalement, nous sommes partis de ne pas connaître et Narcisse, lui, connaît qu’il est mortel ; il ne connaît rien au-delà.
Ignace irait jusque là et puis au dernier moment il laisserait tomber le malheureux Narcisse. Il retiendrait pourtant que devant une image très profane on peut en faire un support prodigieux pour expérimenter ce que c’est qu’un parcours spirituel.
Je vous remercie.
Echanges avec la salle
--) Merci Patrice Loraux de nous avoir mené à cet exercice de va et vient entre la parole et le regard dans la vision et l’analyse du tableau de Caravage. Merci d’avoir fait le parallèle entre Caravage et son quasi contemporain Ignace de Loyola ce qui nous a incité, voire obligé, à avoir les mêmes méthodes et la même rigueur, aussi bien pour la lecture d’un tableau que pour l’adhésion à la Foi. Merci aussi d’avoir mis en évidence que, aussi bien, pour bien voir le tableau que l’on regarde, que pour adhérer à la Foi il fallait se libérer de la capture de la séduction immédiate et pour cela se déprendre, prendre du temps, se laisser métamorphoser, faire le vide en soi à l’image du vide médian du Tao.
--) Narcisse mourra jeune s’il se connaît qu’est-ce que Socrate lui répondrait ? L’oracle de Delphes, que rapporte Socrate, est d’un autre domaine. Le « Connais toi toi-même » est d’un autre champ ; il indique aux contemporains de Socrate, qui sont occupés à connaître la nature, l’harmonie du monde, que l’essentiel n’est pas de connaître l’ordre du monde mais la façon dont en toi tu fais le partage entre ce que tu sais, ce que tu sais par toi-même, ce que tu sais par ouï-dire, ce que tu ignores, ce que tu répètes comme un perroquet. L’oracle est en rupture avec le savoir dominant pour un savoir qui a l’air de peu d’importance à savoir que quand Socrate va consulter un petit artisan le savoir sera différent de celui qui est interrogé sur un plan politique. Socrate dirait qu’il y a un abîme en toi de la jointure du savoir réel et du savoir imaginaire. L’ignorance n’est pas grave, c’est le savoir imaginaire qui est terrible.
Se connaître amène à être disponible pour l’imprévu, pour une Rencontre qui évite de se retrouver soi-même.
--) Est-ce que la quête spirituelle peut modifier notre rapport à la réalité ? C’est certain. Des spiritualités il y en a beaucoup ; j’en ai choisi une car elle était contemporaine de Caravage, celle des jésuites et aussi car exemplairement marquée par les exigences de la méthode. Il n’y a pas de spiritualité sans méthode, sans un certain rapport réaffirmé du lien noué avec le monde pour mieux s’en séparer, le modifier et en faire usage. Mais en fait il n’ya pas de règles du lien : apologue : St jean de la Croix ne veut pas du perdreau par ascétisme et Ste Thérèse d’Avila en prend pour la plus grande gloire de Dieu. L’un et l’autre ont raison… c’’est l’heure ou ce n’est pas l’heure … éviter les excès, la vanité…Le petit coup de pouce change la réalité, le rapport à la réalité ; l’essentiel est d’être libre, dépris, de jubiler, de ne pas être captif de nos appareils contemporains, type Ipad. Le danger en est de rendre aveugle, insensible. Platon recommande de faire un écart évitant d’être rivé à l’image.
--) Je vous ai entendu dire que vous sembliez être étonné que le reflet de Narcisse soit celui de Narcisse mort. N’est-ce pas normal puisque, dès qu’il se voit, il doit mourir : Narcisse se voit à l’instant T et dans l’instant T2 il est mort? D’abord tous ne sont pas d’accord pour penser que la tête du reflet est une tête morte ; c’est en tous cas une tête plus vielle que celle du vrai Narcisse. S’il se voit mort c’est qu’il va mourir. Ovide dit qu’il dépérit, il perd sa forme, c’est un raccourci de peinture.
--) Et si Narcisse était une femme ? Bonne question, comment répondre ? Il est dit que Narcisse plaisait aux hommes comme aux femmes ; il est androgyne en tous cas. Pourquoi pas ?
Conférence exposition de peintres
Introduction
Nombreux sont les peintres qui ont accepté d’exposer ici et maintenant, c'est-à-dire dans les suites de l’entretien de Patrice Loraux. Patrice Loraux, en avril, nous a fait étudier le tableau du Caravage, le Narcisse, selon les critères de son contemporain le fondateur des Jésuites, Ignace de Loyola dans son « Itinéraire spirituel ». Loyola aurait apprécié ce tableau, qu’il n’a pas pu voir en fait, mais il aurait levé les bras au ciel en voyant Narcisse tellement captivé par sa propre image et capturé dans le cercle de ses bras, qu’il en meurt … alors que s’il avait ouvert ses bras vers les bras du Christ, ou au moins vers ceux d’un autre que lui, il aurait échappé au piège mortel du narcissisme.
C’est cette ouverture à l’autre, ou à l’Autre, que nous avons voulu rechercher en faisant se rencontrer peintres et regardeurs.
Nombreuses sont les expositions de peintres à Versailles, qu’apportera de plus celle du Centre Huit ? Elle apportera, en plus de l’image et du regard sur la peinture, une écoute de la parole puisqu’il y aura des échanges verbaux sur maintes questions entre peintres et regardeurs.
Nous sommes des invités à ce partage, que nous soyons peintres ou regardeurs (Il y a des regardeurs comme il y a des auditeurs).
Commençons par les peintres :
Pourquoi expose- t’on ? Pour deux raisons possibles : l’argent et le regard de l’autre.
L’argent, c’est souvent une raison, voire une nécessité … mais ce peut être une raison évoquée pour en cacher une autre : en effet le regard de l’autre est un risque auquel on s’expose ; exposer c’est s’exposer. Le peintre se confronte alors au regard d’un autre et se confronte donc à lui-même ce qui n’est pas rien ! C’est le danger mais aussi la richesse de la rencontre.
Le danger que l’on craint vient du fait qu’il est deux regards et qu’ils se confrontent : un regard extérieur et un regard intérieur.
Le regard extérieur interpelle : que va penser de ma peinture cet individu que je ne connais pas, qui ne connait peut-être rien de la peinture … ou qui en est un professionnel … et en qui je dois reconnaître, quelque soit sa culture, le droit à la regarder, même si sa vision n’est pas la même que la mienne ?
C’est tellement interpellant que souvent on préfère se dire que l’on peint pour soi et que l’on n’en a rien à faire du regard de l’autre : c’est ce que l’on appelle de la dénégation, voire du déni inconscient.
Le regard intérieur existe quand même : c’est celui que l’on n’ose affronter quand on doute ou bien celui que l’on peut affronter devant sa glace quand on a le sentiment de l’œuvre accomplie. C’est l’exigence du peintre pour lui-même, son éthique de peintre. Même si l’on croit qu’il n’y aura jamais de regardeur il y aura toujours ce regard intérieur, « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».
La richesse que l’on espère vient de la rencontre, rencontre du peintre et de celui qui regarde, rencontre de deux émotions. De cette rencontre peut naître une joie qui est un supplément de vie.
Pour cela le peintre doit savoir qu’il n’est qu’un ouvreur de chemin, il présente une porte, il ouvre une voie mais laisse, modestement, à l’autre toute liberté de s’y engager… de cela il est responsable.
Néanmoins, et là c’est un cheminement, il doit être tout entier dans son œuvre, faire silence, arrêter de penser pour que son moi profond puisse exprimer sa nécessité intérieure, fermer les yeux pour sa vision intérieure, voir le monde avec un « respect amoureux », respect afin de ne pas projeter ses préconçus et amoureux car sans amour, sans émotion, que pourrait-il dire, offrir et partager ? Il doit être sincère, authentique, exprimant sa nécessité intérieure, son éthique de peintre … C’est cette aspiration à l’infini que nous appelons spiritualité. Le peintre doit « être » : c’est un vivant.
Le peintre doit donc cheminer mais doit-il se dépasser ou se laisser dépasser ? On arrive là à une question métaphysique : le peintre est-il seul face à lui-même et puise t’il en lui, en son seul « être », les ressources disponibles (théorie de l’immanence) ? … ou accepte t’il d’être dépassé, dépassé non pas tant par les conseils plus ou moins avisés des regards extérieurs, mais par une transcendance qu’elle soit la nature, une puissance supérieure ou Dieu ? Mais c’est là quand même un regard extérieur.
Immanence ou Transcendance ? Ce choix est-il simple ? N’est-on pas en oscillation entre ces deux conceptions come l’on est en oscillation entre le doute et la croyance ?
Mais c’est par l’acceptation de cette oscillation, de ce regard extérieur, par l’humilité de cet ouvreur de chemin pour l’autre, que le peintre échappera au narcissisme qui l’enferme.
Alors pourquoi peint-on ?
Le peintre dit souvent qu’il peint car il ne peut faire autrement, qu’il éprouve la peinture comme une obligation et pas toujours comme une obligation plaisante. On peut quand même penser qu’il peint pour s’exprimer.
Mais pourquoi s’exprimer ? Pour être reconnu. Reconnu par qui ? Par lui-même devant la glace au risque de Narcisse ou par un autre au risque d’être jugé, jaugé ? Ou les deux en oscillation ? Et reconnu comme quoi ? Comme un bon artisan qui possède une solide technique ou comme un artiste à l’imagination créatrice ? Ou les deux en oscillation ?
Il peut exprimer sa pensée inconsciente quand, sans y penser, il compose le tableau, pose ses formes et ses couleurs .. mais aussi sa pensée consciente quand il réfléchit à ses choix ; d’ailleurs, quand on peint, on oscille entre le spontané et le réfléchi, mais c’est le spontané, voire la spécificité du couple spontané / réfléchi, qui fait le style propre du peintre.
Alors pourquoi la peinture comme mode d’expression ? Il est difficile de savoir d’où vient ce choix … sans doute d’un talent particulier, sans doute d’un intérêt pour le voir plus que pour l’entendre.
Mais toujours s’exprimer c’est s’ouvrir à un autre.
Qu’en est-il du regardeur ?
N’y a-t-il pas prétention à dire ou à penser « je trouve ça beau » ? Qu’est-ce que le beau ?
Le « Je » peut trouver ça plaisant : cette toile me plait, elle me fait plaisir. Mais le « Je » peut-il dire le beau ?
Il faut laisser la toile parler, nous parler ; c’est elle qui va nous dire si elle est belle ou simplement plaisante. Pour cela il nous faut l’entendre quand elle parle. Souvent on ne l’écoute pas et on se contente du plaisir qu’elle nous donne.
Pourtant quand on l’entend elle ne nous donne pas seulement du plaisir mais de la joie, pas seulement le plaisir passif mais aussi la joie dynamique de la compréhension et donc du partage (com-préhension).
Comment donc l’écouter et l’entendre ? Il faut souvent du temps pour que la toile parle et l’on est toujours si pressés ; il serait bon de s’asseoir et de prendre son temps. Il faut aussi de l’espace, prendre du recul, avancer, reculer, changer d’angle de vue. Il faudrait faire silence, abandonner préjugés et traditions, faire le vide en soi, vide médian du Tao pour l’harmonie du Yi et du Yang, fermer les yeux pour enfin voir la toile que l’on regarde !!
Ainsi passe t’on du plaisir à la joie ou encore d’Eros à Agape en se dessaisissant de soi, en s’ouvrant à l’autre et à la vie … Alors la toile nous parlera et nous entendrons le chant de la vie.
Bien sur quand on dit qu’une toile, cet objet inerte, nous parle, c’est une façon de parler, là aussi… mais c’est plus commode que de parler de notre sensibilité, de notre inconscient. Pourtant le regardeur, s’il veut aller à la rencontre de l’autre, se doit de s’oublier lui-même pour s’ouvrir à ce que l’autre lui offre… sans cesser d’ « être » lui aussi un vivant.
Deux vivants sont source de vie ! Ce pourquoi la rencontre proposée, à laquelle vous êtes invités, peintres et regardeurs, est « cadeau », chemin de spiritualité.
Septième séance: Jeudi 17 juin 2010 à 20H30
Philippe LEMANT
INTRODUCTION
Permettez moi d’abord de remercier ceux qui m’ont aidé tout au long de ce cycle Peinture et Spiritualité : le Centre-Huit, Fernando, notre gardien, Pierre Thierry-Mieg, notre président … Olivier Mérijon, le maitre de l‘atelier de peinture et l’inspirateur de nos débats ; merci aussi à vous qui avez eu l’abnégation de sacrifier un match de foot de la coupe du monde pour venir écouter un psychanalyste.
Tout au long de ce cycle P & S nous avons cherché comment s’articulent l’écoute de la parole et le regard sur la peinture.
D’abord en conflit, juifs et protestants plutôt iconoclastes, catholiques plutôt iconophiles mais en fait l’opposition n’est pas aussi tranchée.
Ensuite nous avons essayé d’écouter ce qu’étaient les ex-voto tout en regardant s’effectuer un ex-voto sous nos yeux.
Puis comment voir l’invisible de la parole en regardant cette fois non pas un tableau mais la reproduction photographique de la transversale absente et pourtant visible de la croix de l’église Notre Dame de l’Espérance.
Après cela nous avons cherché ce qu’une toile avait à nous dire en regardant les œuvres de deux peintres contemporains.
Le philosophe Patrice Loraux nous a amené à entrer par le regard dans un tableau (Le Narcisse du Caravage) avec les mêmes critères que l’on entre dans la foi par l’écoute selon les exercices spirituels d’Ignace de Loyola.
La dernière fois nous avons fait dialoguer ceux qui parlent par la peinture et ceux qui écoutent ce que l’image a à nous dire.
Aujourd’hui Jean-Michel Louka, psychanalyste, va nous montrer comment intervient l’inconscient dans cette articulation du regard et de l’écoute … Regarde t’on avec la tête ou avec le cœur et quand on écoute est-ce avec la tête ou avec le cœur ? Est-ce que le peintre peint avec sa tête ou avec son cœur ? Adhère- t’on à la foi avec la tête ou avec le cœur ?
Jean-Michel Louka va tenter de nous le montrer car la parole du psychanalyste est comme la parole de Dieu … « énigmatique » … Ce, afin de chercher les réponses par nous-mêmes.
Jean-Michel LOUKA
La psychanalyse (et son psychanalyste), discipline de la parole, du sujet et du désir, n’est cependant pas sans questionner, à travers la peinture (et son peintre), le regard. En retour elle se laisse elle-même bien volontiers interroger à partir de celui-ci, au moyen de l’image, du tableau qui, en somme, lui aussi,…la regarde.
Nous allons essayer, un tout petit peu, d’approcher comment discipline de la parole (la psychanalyse) et discipline du regard (la peinture) paraissent s’entretenir mutuellement d’un constant renvoi de l’image au son, de l’œil à l’oreille, de l’Autre au Sujet, dans un exercice de l’esprit propre à chacune.
En 1982, dans son cours sur L’herméneutique du sujet , Michel Foucauld lançait en direction de tous les psychanalystes une proposition qui attend toujours son effet. Leur disant que la psychanalyse n’avait pas su se penser « dans […] l’existence de la spiritualité et de ses exigences ». Ainsi, laissait-il entendre, elle se serait oubliée, perdue, à partir de ce qu’elle est en fait réellement : une expérience spirituelle, au moyen de laquelle, et par le biais d’un autre, le sujet opère sur lui-même les justes transformations nécessaires pour le faire accéder à sa vérité. Rien de moins. Rien de plus non plus. Seul Lacan, ajoutait Foucauld, n’aurait pas participé de cet oubli.
Mais, ceci, nécessitait une condition… Qu’exit la fonction psy, nommée telle par Michel Foucauld le 9 janvier 1974 dans Le pouvoir psychiatrique . Car la psychanalyse n’a au fond que faire de ce radical « psy », qui court de la psychiatrie à la psychologie en passant par la psychothérapie. La psychanalyse n’est pas une psychologie et n’appartient pas à la médecine. De plus, ajoutait Lacan, dans la psychanalyse, il n’y a rien à « psychothérapier ». Elle n’est pas non plus un art, ni le psychanalyste un artiste. Elle n’est pas une religion, malgré parfois certains penchants. Moins encore une magie malgré parfois quelques apparences aussi. Ni science (au sens actuel), ni délire (on l’espère), ni religion, ni magie, la psychanalyse ne participe pas - ou ne devrait pas participer - de et à la fonction psy. Son statut serait plutôt, plus précisément, celui d’un exercice spirituel et devrait ainsi être renommée « spychanalyse » , comme le disent d’ailleurs spontanément les enfants et les gens dits peu cultivés. Ce qui ferait y entendre un autre radical que le radical de la « fonction psy », le radical « spy », le « spi » du spirituel.
La psychanalyse a dû, dès son départ, tenir compte des effets de l’image sur les sujets, les « parlêtres » comme les appellera un dénommé Jacques Lacan. Ces effets ont interrogé Freud. Ils relèvent souvent de l’énigme et engendrent la perplexité. L’art - et la peinture tout spécialement, s’en empare dans ses créations pour atteindre le spectateur dans son intimité ; la psychanalyse, quant à elle, cherche à les éclairer. Dans les deux cas, l’une allant vers l’autre, et réciproquement, elles se croisent au sein de que l’on peut appeler une ouverture à l’Autre. Elle y est notamment conduite, nommément la psychanalyse, lorsqu’il apparaît que l’image est une source de souffrance : le névrosé ordinaire, c’est-à-dire vous et moi, le psychotique, c’est-à-dire le fou, peuvent souffrir, dans des circonstances précises, de l’image qui, alors, le fascine ou le persécute.
Dans La Science des rêves, Freud élabore la théorie et la clinique d’un sujet humain clivé, que Lacan appellera divisé : dans son sommeil, le dormeur est soumis à une véritable passion des images – passion voulant dire ici joie mais aussi souffrance, voire torture et persécution -, dont son inconscient et son préconscient sont pourtant bien les organisateurs. La rédaction de ce livre inaugural de Freud, véritable acte de naissance de la psychanalyse, qu’il aura voulu faire paraître en 1900, n’est-elle pas contemporaine, au tournant du siècle, de l’invention du cinéma par les frères Lumière ? Contemporaine aussi d’une révolution, également, dans la peinture, l’expressionnisme, qui privilégie la subjectivité et l’intensité de l’expression, la libération pulsionnelle des émotions, l’exacerbation de la couleur, l’écriture libre, le rejet des tabous, le refus du réalisme objectif, l’expression de l’élan vital en tant qu’énergie,… et dont un Edvard Munch, le peintre de l’angoisse et de la mort est un précurseur (voir l’exposition toujours actuelle à la Pinacothèque de Paris, sous le signe ou la consigne de toute l’œuvre,… sauf Le cri !). Jusqu’à l’art abstrait (l’abstraction géométrique ou conceptuelle ; l’abstraction lyrique ou gestuelle), la peinture non figurative, ou encore le cubisme d’un Picasso, d’un Braque, etc. ?
L’interprétation du rêve est censée remonter dans les méandres et les rouages de sa production qui peine souvent, à l’instar d’un travail réel dit « travail du rêve » (le travail du rêve, c’est la transformation des « pensées latentes » du rêve, - en termes modernes et lacaniens, du « désir inconscient » que véhicule le rêve, en « contenu manifeste », ce qui vous en reste quand vous vous réveillez, souvent des bribes, des éléments apparemment absurdes, arrangés d’une manière telle qu’ils sont incompréhensibles : à ce stade la censure a bien fait son travail pour protéger votre moi). Le travail du psychanalyste vise à soumettre l’image à l’écriture retrouvée des pensées du rêve que cette image représente. C’est l’écriture qui intéresse le psychanalyste, afin de lire ces « pensées » avec son analysant et ainsi lui permettre de se les réapproprier. Mais la représentation n’est pas toujours et systématiquement l’image et l’image n’est pas toujours et systématiquement représentation. Re-présenter, c’est présenter à nouveau, tel le sujet dont Lacan dit qu’il est représenté par un signifiant, pour, non pas un autre sujet, mais représenté pour un autre signifiant. Un signifiant, c’est la matière sonore d’un mot : si je vous dis « lai » qu’allez-vous entendre ? Quelle image acoustique allez-vous retenir ? S’agit-il, pour vous, de « laid » la laideur ? De « lai » comme on dit frère de lai ? De lait, le lait de vache ou de chèvre ? Vous entendrez ce que vous voulez, selon vos préoccupations personnelles plus ou moins inconscientes. Il faut écrire cette matière sonore en un mot orthographié, ici, dans la langue française, pour arrêter l’ambiguïté, l’équivoque. Ainsi, le sujet, sans jamais être substantivé, sans jamais être représenté par un substantif grammatical, tel un furet court d’un signifiant à l’autre, bien que restant parfaitement sans image. Alors que l’image est plutôt du côté de la fixité, de la permanence. Un ambassadeur, illettré et stupide – cela peut arriver -, peut très bien représenter son pays, à condition qu’il fasse tenir l’image de ce dernier dans un apparat qui sied à celui-là, le pays d’origine, pour celui-ci, son pays d’accueil. L’image, on le voit, dans le rêve semble donc être, in fine, serve du logos, au service de, mais d’une servitude frappée d’un certain archaïsme : le rébus du rêve, - le rêve est assimilé par Freud à un rébus, donc à décrypter -n’est-il pas comparé aussi par Freud aux hiéroglyphes ? A dé-chiffrer comme tel.
Lacan construira un autre modèle, un autre paradigme pour la psychanalyse que Inconscient – Pré-Conscient/Conscient (1ère Topique freudienne) ou Moi-Ça-Surmoi (2è Topique) -. Il introduit dans la psychanalyse un paradigme ternaire (Freud était resté entre binaire et ternaire) : RSI, Réel, Symbolique et Imaginaire. Le Symbolique c’est le champ de la parole et du langage, le Réel c’est l’impossible, impossible à imaginer, impossible à symboliser, à attraper avec le signifiant, le langage. Enfin, l’Imaginaire, c’est le domaine de l’image et de sa puissance aujourd’hui dominante, c’est-à-dire du moi et de son renforcement, du narcissisme, de la présentation de soi et de la représentation aussi, quand on dit que l’on est « en représentation » -. Et il introduira aussi deux termes non freudiens, la vérité et le sujet, qui fleurent bon la question spirituelle. C’est ainsi que Lacan se servira de celui-ci pour parfaire les interprétations de Freud concernant certains rêves, tel celui, célèbre dit communément de la triméthylamine : il reprend, avec ces trois catégories RSI ce rêve longuement analysé par Freud et intitulé « l’injection d’Irma ». Freud avait rêvé qu’à une réception il reproche à une patiente de ne pas avoir accepté sa « solution ». Devant ses douleurs, il prend peur et se demande s’il n’a pas laissé échapper un symptôme organique. Il veut l’examiner et elle manifeste sa résistance. Divers collègues sont là et donnent leur avis. Freud voit au fond de la gorge d’Irma « de larges escarres blanc grisâtre ». L’infection vient d’une injection faite par un collègue et ami, Otto, d’une préparation de triméthylamine, vraisemblablement avec une seringue souillée. Ici le niveau imaginaire est celui de la rivalité (l’erreur a été faite par un collègue, ouf !), le Réel du corps se trouve approché malgré la résistance pudique d’Irma, quant au Symbolique, c’est celui de la lettre : Freud voit la formule chimique de la triméthylamine, produit de la décomposition du sperme, - la scène est manifestement à évocation sexuelle -, formule écrite devant lui en caractères gras, ce qui sans doute représente, c’est une image, une façon de ne pas en rester, dans le rêve, à l’horreur de la rencontre avec le Réel de l’ouverture du corps, la gorge d’Irma, offerte au regard du médecin, mais aussi, au-delà, de l’homme Freud.
Comme on le voit, dans la psychanalyse, c’est la pensée et finalement le langage (la lettre) qui dépassent l’image et vont la dominer. Seul le sujet, dans sa foncière « stupidité » comme s’exprime Lacan, la regarde avec fascination, sans rien y comprendre jusqu’à ce que le sens du rêve lui soit révélé par le travail analytique (analysein, dénouer). Ce sens, notons-le, ne s’atteint que par les mots, la parole qui, en quelque sorte, dé-fixe alors l’image.
Cependant, on trouve aussi chez un Freud une autre attitude, un rapport tout différent à l’image, opposé au précédent, où le découvreur de l’inconscient se montre touché par une image dont le sens se dérobe plus longtemps que celui du rêve. Cette image, en quelque sorte, le regarde. Cette passion-là commence déjà quand Freud s’intéresse au « souvenir-écran » ou plutôt comme disent les nouvelles traductions plus littérales le « souvenir-couverture » , qui égare le sujet par le caractère outré de certains détails, - le jaune en relief des pissenlits, le goût délicieux du pain, détails qui trahissent par la satisfaction quasi hallucinatoire qu’ils procurent la falsification tendancieuse qui les a créés pour les substituer aux impressions choquantes ou désagréables refoulées. Pour Freud c’est un fantasme inconscient transformé en souvenir à partir d’une trace mnésique réelle qui va à sa rencontre. Ce type de souvenir se réduit le plus souvent à une scène, dans laquelle s’introduit le sujet, c’est donc aussi une image, qui en plus peut très bien faire « tableau », une scène qui fait écran à quelque chose d’essentiel situé derrière, pressentie mais inatteignable sans le concours du verbe mis en œuvre dans les associations les plus libres. C’est donc une image, ici, qui résiste un peu plus qu’un rêve à son déchiffrage. Lacan caractérisera le souvenir-écran comme un « arrêt sur image » cinématographique et le mettra dans un rapport structural avec le fétichisme.
Plus coriace encore, cet autoportrait de Luca Signorelli, le peintre du Jugement dernier, fresque que Freud avait visitée dans le Duomo d’Orvieto. Son oubli du nom du peintre lors d’un voyage en Dalmatie contraste d’une façon étrange avec la luminosité d’une parcelle des fresques qui semble le narguer, comme si l’image gardait ici le dernier mot, ne voulant pas céder à la révélation des mots situés derrière, voire en ce cas d’un nom propre. Mais, plus Freud avance dans son œuvre, plus il est attiré par des peintures ou par des sculptures qui renferment un message qui lui échappe. Ainsi son interprétation trop subjective voire symptomatique du Moïse de Michel-Ange ne cesse d’être réfutée par les historiens d’art. En avançant que Michel-Ange avait voulu représenter un Moïse capable de maîtriser ses affects et pulsions, en qui l’esprit l’emporterait sur la matière, Freud anticipe sur son propre Moïse, fondateur du monothéisme juif et sur l’aversion des images comme la condition d’une spiritualité exceptionnelle reconnue aux Juifs. N’est-ce pas ici la réponse radicale de Freud à la force envoûtante de l’image ? Miser sur le vif des mots pour se désenvoûter de la fixité mortifère de l’image.
Au point où nous en sommes, l’on a d’une part, l’image dont le sens se laisse dévoiler même s’il se soustrait d’abord au sujet comme dans le rêve ou d’autres formations de l’inconscient et, d’autre part, l’image qui excède le discours, qu’elle soit porteuse des effets esthétiques les plus divers ou productrice de symptômes qui laissent les sujets bouche bée, muets de stupeur. C’est bien à propos de cette dernière que l’on parle de la force envoûtante de l’image. C’est de celle-ci encore que sont nés les conflits autour de la peur des effets passionnels qu’elle entraîne potentiellement sur les sujets. Le plus célèbre des conflits, la plus connue des controverses, s’est appelée, en Orient puis en Occident, la querelle des images, les divers iconoclasmes qui ont eu lieu dans le judaïsme, le christianisme byzantin, puis catholique en Occident, puis protestant, mais aussi dans le monde musulman.
Le rêve montre, mais, plus généralement, l’image donne aussi dans l’injonction de voir, sans qu’il soit toujours possible de déterminer le destinataire de cette injonction. Les recherches sur la dévotion chrétienne devraient à cet égard apporter des enseignements riches de paradoxes et de surprises. L’image se fait le vecteur de toutes sortes de volontés religieuses ou politiques. Elle a aussi la fonction d’assouvir la pulsion, ne serait-ce que partiellement et momentanément, faisant partie des montages qui la supportent. Une image peut ainsi, par exemple, véhiculer les impératifs du surmoi « obscène et féroce » (comme le dit Freud) – la jouissance masturbatoire quasi obligatoire suggérée impérativement par les sites pornographiques sur Internet en est un exemple -, et contribue quelquefois à cette inflation visuelle qui nous rend, paradoxalement… aveugle ! (Pas sourd, comme le croyait nos grands-mères !)
Ainsi l’image peut se trouver fonctionner comme pur signifiant, c’est-à-dire comme représentant le sujet peignant pour un autre signifiant : dans un tableau comme Le cri d’Edvard Munch, que l’on abordera plus loin, le cri représente le sujet (Edvard Munch ?) pour le silence. A l’inverse, le signifiant ne peut être rencontré, dans un premier temps, que comme effet de signifiant, c’est-à-dire le signifié sous sa forme de pure image, dans une bulle à part de la bande dessinée, un paysage, par exemple, évoqué par le dire d’un personnage, ou bien le sourire de Mona Lisa, image énigmatique qui fera parler durant plusieurs siècles après, donc produire à nouveau des signifiants à partir d’une image muette. L’image du sourire de Mona Lisa est le signifié (l’image de sa personne) là ou « La Joconde » est le signifiant articulé par Léonard peignant, le représentant, lui, Léonard, pour un autre signifiant, Mona Lisa. Raison pour laquelle, il ne pourra jamais se défaire de ce tableau, le remettre à Mona Lisa, car sans doute par trop révélateur de ce qu’il énonce et révèle de son énigmatique désir inconscient de sujet.
Psychanalyse et peinture ont ainsi bien des liens, et la seconde a de multiples raisons de se méfier de la première qui lit (du verbe lire) en elle, c’est-à-dire interprète, mais lie aussi (du verbe lier) à travers elle deux ouvertures à l’Autre, inconciliables assurément, quoique…
Il y a, donc, bien de quoi se méfier de la psychanalyse… C’est ce que fait, entre mille autres artistes, un Magritte…
René Magritte, à la question personnelle à lui adressée : « Pourquoi une telle méfiance envers la psychanalyse ? », répondît : « Elle ne permet d’interpréter que ce qui est susceptible d’interprétation. L’art fantastique et l’art symbolique lui offrent de nombreuses occasions d’intervenir : il y est beaucoup question de délires plus ou moins évidents. L’art tel que je le conçois est réfractaire à la psychanalyse. Il évoque le mystère sans lequel le monde n’existerait pas, c’est-à-dire le mystère qu’il ne faut pas confondre avec une sorte de problème, aussi difficile qu’il soit. Je veille à ne peindre que des images qui évoquent le mystère du monde. Pour que ce soit possible, je dois être bien éveillé, ce qui signifie cesser de m’identifier entièrement à des idées, des sentiments, des sensations. Le rêve et la folie sont, au contraire, propices à une identification absolue. Personne de censé ne croit que la psychanalyse pourrait éclairer le mystère du monde. Elle n’a rien à dire, non plus, des œuvres d’art qui évoquent le mystère du monde. Peut-être la psychanalyse est-elle le meilleur sujet à traiter par la psychanalyse. »
Sans doute, et c’est ce qu’elle fait de toujours, mais pourquoi ne s’interrogerait-elle pas, elle aussi, sur le mystère du monde ? La science, la religion et…les oeuvres d’art ne le font-elles pas sans entraves ?
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Nous allons nous intéresser plus particulièrement au Cri d’Edvard Munch, que Lacan commente dans son séminaire de 1964-1965, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse à la séance du 17 mars 1965 et où il s’agira, en fait, pour vous résumer le propos, du « cri de la demande » et du « silence du désir ».
Déjà, toujours pour mieux vous faire sentir cette réciprocité, cet exercice croisé entre le tableau-regard (le tableau est regard) peignant, je dis cela comme ça, car le tableau semble aussi se peindre, s’imprimer en l’Autre, y pénétrer activement, et son spectateur regardé-œil regardant (comme lieu d’impression du tableau) se projette et s’introduit en lui comme le sujet dans le souvenir-écran, à la séance du 4 mars 1964 de son séminaire Les fondements de la psychanalyse , Lacan énonce ceci :
« Sans doute, au fond de mon œil, se peint le tableau. Le tableau, certes, est dans mon œil. Mais moi, je suis dans le tableau. »
Lacan ne se livre jamais, comme le faisait Freud, à une psychanalyse appliquée. Il se laisse enseigner par ce que le montage du tableau révèle de la représentation du sujet. Il n’effectue donc jamais aucune psychobiographie. Cependant les dires du peintre peuvent entrer en résonnance avec sa composition. Un bon exemple, ici, serait celui du point ou du point-tache de « la tache rouge » de Wassily Kandinsky peintre et théoricien de la peinture, Kandinsky qui, par ailleurs, crût fermement en l'avènement d'un monde totalement spiritualiste, en opposition au rationalisme ou au cartésianisme. Lacan, lui, insiste sur la préséance du regard, le sujet étant représenté sous ce regard.
A la séance du 19 février 1964 de son séminaire Les fondements… (1964) , Lacan énonce :
« Dans notre rapport aux choses, tel qu’il est constitué par la voie de la vision, et ordonné dans les figures de la représentation, quelque chose glisse, passe, se transmet, d’étage en étage, pour y être toujours à quelque degré éludé – c’est ça qui s’appelle le regard.
Pour vous le faire sentir, il y a plus d’un chemin. L’imagerai-je, comme à son extrême, d’une des énigmes que nous présente la référence à la nature ? Il ne s’agit rien de moins que du phénomène dit du mimétisme.
Là-dessus, beaucoup a été dit, et d’abord beaucoup d’absurde - par exemple que les phénomènes du mimétisme sont à expliquer par une fin d’adaptation. Ce n’est pas mon avis. Je n’ai qu’à vous renvoyer, entre autres, à un petit ouvrage que beaucoup d’entre vous connaissent sans doute, celui de Caillois intitulé « Méduse et compagnie », la référence adaptative est critiquée d’une façon particulièrement perspicace.
Et pour tout dire, comme le rappelle Caillois avec beaucoup de pertinence, s’agissant de telles manifestations mimétiques, et spécialement de celle qui peut nous évoquer la fonction des yeux, à savoir les ocelles, il s’agit de comprendre si ils impressionnent - c’est un fait qu’ils ont cet effet sur le prédateur ou la victime présumée qui vient à les regarder – si ils impressionnent par leur ressemblance avec des yeux, ou si au contraire, les yeux ne sont fascinants que de leur relation avec la forme des ocelles. Autrement dit, ne devons-nous pas à ce propos distinguer la fonction de l’œil et celle du regard ?
Cet exemple distinctif, choisi comme tel – pour sa localité, pour son factice, pour son caractère exceptionnel – n’est pour nous qu’une petite manifestation d’une fonction à isoler – celle, disons le mot, de la tache. Cet exemple est précieux pour nous marquer la préexistence au vu d’un donné-à-voir. J’entends,[…] que nous sommes des êtres regardés, dans le spectacle du monde. Ce qui nous fait conscience nous institue du même coup comme speculum mundi. N’y a-t-il pas de la satisfaction à être sous ce regard […], ce regard qui nous cerne, et qui fait d’abord de nous des êtres regardés, mais sans qu’on nous le montre ?
Qu’est-ce à dire ? – sinon que, dans l’état de veille, il y a élision [c’est-à-dire suppression ] du regard, élision de ceci que, non seulement ça regarde, mais « ça montre ». Dans le champ du rêve, au contraire, ce qui caractérise les images, c’est que « ça montre » ».
Juste notation clinique de Lacan : quand je rêve, les images, activement, ça montre, en effet,…et je regarde pour m’interroger : que puis-je y comprendre de ce que ça (me) montre ? Alors qu’à l’état de veille, lors d’une exposition, certains tableaux exposés ça me regarde, donc je regarde le tableau, mais jusqu’à oublier, qu’aussi, ça montre !
Cependant, interrogeons-nous, comment cela lui vînt, à lui, Edvard Munch, cette histoire du cri dont il fait tableau ? Dans son Journal daté de Nice, le 22/01/1892, Munch écrit comme un poème :
« Je me promenais avec deux amis / le soleil se couchait / J’éprouvais comme une bouffée de mélancolie / Soudain le ciel s’enflamma d’un rouge sang / Je m’arrêtai, appuyé à la balustrade las à en mourir / regardai les nuées qui flamboyaient comme du sang et des épées / au-dessus du fjord d’un bleu sombre et de la ville / Mes amis s’éloignèrent / je restai tremblant d’angoisse / et je perçus comme un long cri sans fin traversant la nature
il arriva qu’un homme, me demande ce que je pensais de cet air / cela ressemble à une couverture sanglante / C’était pour rendre un état d’esprit déchiré / éprouvé par un être humain à un certain instant / Dans cet état d’esprit l’air lui paraissait à l’heure du soleil couchant / comme une masse sanglante oppressante / qui pesait sur son nerf optique altéré par la nervosité et l’angoisse / En peignant l’air et le paysage tels qu’il les voyait lui et à ce moment-là / j’exprimai son état d’esprit / Sans la peur et sans la maladie, ma vie serait comme un bateau sans rame.
Lorsque je me promène au clair de lune, entre ces œuvres anciennes recouvertes de mousse dont chacune m’est maintenant parfaitement connue, je m’effraie au spectacle de ma propre ombre. Une fois la lumière allumée, je vois tout à coup mon ombre énorme, qui s’étend sur la moitié du mur et monte jusqu’au plafond. Et dans le grand miroir suspendu au-dessus du poêle, je me vois moi-même, ma propre face de revenant. Et je vis avec les morts, ma mère, ma sœur, mon grand- père et mon père, surtout avec lui. Tous les souvenirs, jusqu’aux plus petites choses, remontent.
En vérité, mon art est une confession que je fais de mon plein gré, une tentative de tirer au clair, pour moi-même, mon rapport avec la vie. C’est au fond une forme d’égoïsme, mais je ne renonce pas à espérer qu’avec son aide, je parviendrai à aider d’autres gens à se comprendre. »
Autrement dit, il s’agit bien ici d’un exercice spirituel… !
Lacan, dans son séminaire Problèmes cruciaux pour la psychanalyse , à la séance du 17 mars 1965, va dire :
« […] j’espère que l’objet, que j’ai fait tout à l’heure circuler dans vos rangs, à savoir la reproduction du tableau célèbre d’Edvard Munch qui s’appelle Le cri, est quelque chose, une figure qui m’a semblé propice à, pour vous, articuler un point majeur, fondamental sur lequel beaucoup de glissements sont possibles, beaucoup d’abus sont faits et qui s’appelle : le silence.
Le silence, il est frappant que, pour l’illustrer, je n’ai pas trouvé mieux à mon sens que cette image, que vous avez tous vue, je pense maintenant et qui s’appelle Le cri. Dans ce paysage singulièrement dessiné, dépouillé par le moyen de lignes concentriques, ébauchant une sorte de bipartition dans le fond, qui est celle d’une forme de paysage à son reflet, un lac aussi bien formant trou est là au milieu, et au bord, droite, diagonale, en travers, barrant en quelque sorte le champ de la peinture, une route qui fuit. Au fond, deux passants, ombres minces qui s’éloignent dans une sorte d’image d’indifférence. Au premier plan cet être… cet être dont, sur la reproduction qui est celle du tableau, vous avez pu voir que l’aspect est étrange, qu’on ne peut même pas le dire sexué.
Il est peut-être plus accentué dans le sens d’un être jeune et d’une petite fille dans certaines des redites qu’en a faites Edvard Munch, mais nous n’avons pas de raison spéciale de plus en tenir compte.
Cet être, cet être ici dans la peinture d’aspect plutôt vieillot – au reste forme humaine si réduite que pour nous elle ne peut pas même manquer d’évoquer celles des images les plus sommaires, les plus rudement traitées de l’être phallique – cet être se bouche les oreilles, ouvre grand la bouche, il crie.
Qu’est-ce que c’est que ce cri ? Qui l’entendrait, ce cri que nous n’entendons pas, sinon justement qu’il impose ce règne du silence qui semble monter et descendre dans cet espace à la fois centré et ouvert ? Il semble là que ce silence soit en quelque sorte le corrélatif qui distingue dans sa présence ce cri de tout autre modulation imaginable. Et pourtant, ce qui est sensible c’est que le silence n’est pas le fond du cri. […] littéralement, le cri semble provoquer le silence, et, s’y abolissant, il est sensible qu’il le cause, il le fait surgir, il lui permet de tenir la note. C’est le cri qui le soutient, et non le silence le cri. Le cri fait en quelque sorte le silence se pelotonner, dans l’impasse même d’où il jaillit, pour que le silence s’en échappe. Mais c’est déjà fait quand nous voyons l’image de Munch. Le cri est traversé par l’espace du silence, sans qu’il l’habite. Ils ne sont liés ni d’être ensemble ni de se succéder. Le cri fait le gouffre où le silence se rue.
[…]Néanmoins ce silence, en quelque sorte dénoté dans sa fonction musicale, aussi intégré au texte que peut l’être, dans ses variétés, le silence dont le musicien sait faire un temps, aussi essentiel que celui d’une note soutenue, de la pause ou du silence, est-ce là quelque chose que nous puissions nous permettre d’appliquer seulement au fait de l’arrêt de la parole ?
Le « se taire » n’est pas le silence. « Sileo » n’est pas « taceo ».
Plaute quelque part dit aux auditeurs, comme c’est l’ambition de tout un chacun qui sait ou veut se faire entendre : « Sileteque et tacete atque animum aduortite », « faites attention », « faites le silence » et « taisez-vous »…ce sont deux choses différentes.
La présence du silence n’implique nullement qu’il n’y en ait pas un qui parle.
C’est même dans ce cas-là que le silence prend éminemment sa qualité, et le fait qu’il arrive que j’obtienne ici quelque chose qui ressemble à du silence, n’exclut absolument pas que peut-être, devant ce silence même, tel ou tel s’emploie dans un coin à le meubler de réflexions plus ou moins haut poussées. La référence du silence au « se taire » est une référence complexe. Le silence forme un lien, un nœud fermé entre quelque chose qui est une entente et quelque chose qui, parlant ou pas, est l’Autre, est ce nœud clos qui peut retenir quand le traverse, et peut-être même le creuse, le cri.»
Il est ainsi singulier de noter, précise le psychanalyste Jean-Louis Sous, « que c’est à propos de l’analyse de la demande, du creux qu’elle peut receler et de l’approche du silence en analyse que Lacan fait référence à ce tableau de Munch.
Paradoxalement, nous dit-il, ce n’est pas sur fond de silence que surgit le cri mais c’est l’effet inverse qu’il retient : c’est la portée du cri qui creuse un gouffre de silence tout autour en trouant la compacité du paysage. Le silence s’engouffre dans cette trouée, cette aspiration pulsionnelle qui passe dans le jeu de la parole entre pause, retenue, et flot de la verbalisation.»
ECHANGE AVEC LA SALLE :
PL : merci Jean-Michel ; tu as été à la hauteur d’un psychanalyste et il faudra relire ton texte car il est dense ? Ce sera possible sur mon blog « lemant-peinture-spiritualité.blogspot.com »
PL : le psychanalyste est-il un magicien ou un illusionniste qui transforme les images en mots ou du moins qui nous aide à le faire ? L’interprétation des rêves, fondement de la psychanalyse instauré par Freud, est le paradigme de cette transformation mais la psychanalyse s’adresse à des sujets et non pas à une œuvre. Nous sommes des « parl’êtres » dit Lacan, sujets de parole ; le psychanalyste peut aider à interpréter la parole d’un sujet mais pas l’image d’une œuvre. L’inconscient n’a que faire des contradictions ; sa logique, car il est logique, n’est pas la logique habituelle. Ce n’est pas une traduction mais un accompagnement.
Peut-être aurait-il été plus facile pour suivre de vous faire raconter un rêve et JM Louka vous aurait aidé à trouver les mots qui vous auraient permis d’échapper à l’incompréhension et à la fixité de l’image. Les images nous envoûtent ; poids des mots, choc des photos, disons nous aujourd’hui. C’est, donc, pour échapper à cette « force envoûtante des images » ainsi que le dit Freud, que ce dernier à parlé de l’ « aversion des images » comme condition d’une spiritualité exceptionnelle reconnue aux juifs.
Cette transformation d’images en mots est aussi ce qui se passe quand, à l’atelier de peinture d’Olivier, nous mettons des mots sur les images que les autres ont peintes … n’est-ce pas Colette, Annie, Jacques, Marie-France, Christian, Michèle, tous mes amis peintes qui sont là ?
Annie : « L’inconscient fonctionne, celui du peintre et aussi celui du regardeur. J’avais peint une toile où Philippe a vu une femme tenant un nouveau-né sur son bras alors que je n’avais pensé qu’à Mona Lisa … et voilà que ma fille venait de mettre un bébé au monde ». Intuition ou inconscient d’Annie et de Philippe ; d’inconscient à inconscient ça passe !
PL : Magritte se méfie de la psychanalyse car il veut respecter le mystère du monde, le mystère questionne et les questions font vivre. La psychanalyse peut interroger le mystère du monde mais elle ne peut l’éclairer … heureusement !
JML : La psychanalyse aide à l’interprétation pour ceux qui le demandent mais la peinture se suffit à elle-même, elle est déjà une interprétation du monde et il n’est pas besoin d’en rajouter. Ne pas faire de la psychobiographie de l’auteur même si cela a été fait.
X : la peinture est-elle une psychothérapie ? Cela peut suffire et à respecter comme telle, pour se désangoisser … mais surtout ne pas toucher à ça, sinon voir un psychothérapeute !
Xavier : au vu du tableau de Munch, le « Cri », devant cet être qui se bouche les oreilles, je pense au bruit tonitruant lors des matchs de foot de la coupe du monde. JML : le tableau a fonctionné pour toi comme un signifiant, l’image a signifié le bruit des trompettes du stade.
PL c’est le regard de Xavier qui a eu la propriété de signifier. Chacun a un regard différent sur une image et l’on a pu dire qu’il y a 6 milliards de regards sur un tableau ! C’est la confrontation de ces regards qui est enrichissant. C’est en cela, par cette ouverture à l’autre, que nous sommes sur un chemin de spiritualité.
Anne-Lise : Munch a pensé, et l’a dit, c’est l’explosion d’un volcan au Japon qui a coloré de rouge sang le ciel que Munch a peint. Faut-il y voir autre chose ? PL : question fondamentale : faut-il s’intéresser à ce qu’a voulu dire l’auteur ou à ce que nous désirons y voir ? La réponse ne m’appartient pas. Munch, qui a écrit un superbe poème sur son tableau, ne parle pas d’un volcan et il semble s’agir d’u volcan intérieur chez un homme qui se dit « mélancolique ».
X : ce tableau ne me plait pas. JML : et pourtant c’est une œuvre et ça se transmet ; il y a quelque chose qui nous touche.
X : j’ai été choqué, interpellé devant ce tableau puis j’ai cherché ce qu’il voulait nous dire. PL : émotion d’abord devant la force de l’image puis effort de réflexion pour y échapper … vous n’avez pas eu besoin d’un analyste pour faire ce travail.
PL : Est-ce un cri ou un silence que l’on ressent devant cette toile ? JML : en tous cas le couple cri / silence.
PL : comment s’articule ce couple ? Cela me fait penser au programme de l’Institut Biblique de Versailles « Le cri des prophètes » que l’on peut opposer au silence de Dieu.
La psychanalyse, tu nous l’as bien montré, est un acte spirituel.
Merci Jean-Michel de nous avoir fait avancer sur ce chemin de spiritualité, c’était le but de ce cycle. Merci
Conférence Lemant - Grand d'Esnon
Merci d'être venu cheminer avec nous dans la spiritualité.
N'ayant aucun titre à parler de la spiritualité, j'ai demandé, et eu la joie d'obtenir du nouveau pasteur de la paroisse protestante, Philippe Grand d'Esnon (un autre Philippe), une aide dans cette démarche.
Mais, comme il s'est agit d'une démarche collective, j'ai besoin de votre aide à tous.
Il y aura donc un échange après les topo des deux Philippe ... et de plus, ne partez pas avant la fin, un « verre de contact » est prévu à l'occasion de la remise solennelle de l'ex-voto au Centre-Huit par les artistes Cécile Orsoni et Laetitia Mérijon
Audio-Visuel
Regard et parole : « Ecoute voir » ... « Tu vois ce que je veux dire » ... « cette toile me parle » ... on s'emmêle les pinceaux ... ce qui pour un peintre est un comble !
Parole et image ... c'est un audio-visuel. Merci d'être venus pour cet audio-visuel ...
Néanmoins, puisqu'il s'agit d'un audio-visuel, je ne vais pas me cacher derrière pour délivrer la parole mais me montrer en même temps, double astreinte et double présomption.
l
Désireux de cheminer vers la spiritualité je me suis replongé dans la Bible, le début, la Génèse.
Il se trouve que la Bible est, elle-même, un audio-visuel ... Il n'y a plus qu'à projeter.
Vous êtes là ... dans votre fauteuil ... prêts pour la projection ...c'est le « commencement » Gn1 .. l'écran s'allume mais tout est « ténèbres » .... On n'entend que le souffle de l'Esprit planant sur les eaux...shhhhh...............Puis dans ce silence une Voix retentit « que la Lumière soit ».
Entendre et voir !! Gn3 « Dieu dit » .... Gn4 « Dieu vit » que la lumière était bonne.
Côté visuel : c'était le soir du premier jour, la journée commençant le soir, et c'est au soir que Dieu fit la lumière. ..... Remarquez que ce n'était pas la lumière qui permet de voir ... celle-ci étant crée au soir du 4ème jour ... la première lumière, Lumière avec une majuscule, est le principe divin, la force initiale, l'électricité que Dieu installe pour allumer à J4 et y voir la nuit. ...Dieu vit que la Lumière était bonne. La Lumière de J1 permet d'y voir clair dans ce qui est dit, ce qui est dit dans les Ecritures, c'est la vision que Dieu propose.
La lumière de J4, plus simplement, permet d'y voir clair dans la recherche sa clef perdue, c'est la vue dont l'homme dispose.
Distinguons le « vu » et la « vision ». La vue n'est pas la vision et le regard que Dieu porte sur sa création transforme sa vue en vision et « Il vit que cela était bon ».
Pour le peintre aussi son regard change ce qu'il voit en une vision.
Quand l'appareil de photo ne voit que ce qu'il voit, le peintre, lui, voit autre chose ; il a une vision de ce qu'il voit et c'est là que l'on voit sa personnalité.
Côté audio écoutez la bande son, ça continue « Au commencement était le verbe », la parole et Dieu n'arrête pas de dire, de dire de sa parole efficace ... quelques dires et le monde est crée. La band son continue pour nous, mais en play-back car la Parole de Dieu est inouïe, in-ouïe et ceux qui la parlent en sont les prophètes et c'est aussi la lectio divina, les cantiques et psaumes...
Oh ! Ne me dites pas que c'est une historiette inventée par une petite peuplade du Moyen-Orient !
Toutes les légendes le racontent : un super sage raconte à Gilgamesh que pour faire le déluge le dieu Adad étendit dans le ciel son silence-de-mort réduisant en ténèbres tout ce qui était lumineux ............ la parole du Pharaon était reconnue comme efficace ... et la parole de Mardouk triompha du monstre marin dans la légende d'Enouma Elish.
Et, de fait, on a tous besoin d'en entendre et de voir : raconte-moi une histoire, laisse la lumière allumée !!! J'écoute et je vois !!!
Cheminer par étapes
Raconte-moi une histoire ! Eh bien voila, nous avons cheminé par étapes.
Le cycle s'est intitulé « Peinture et Spiritualité ». Il a tourné sur Image et Parole et tout au long de ce cycle P & S nous avons cherché comment s'articulent l'écoute de la parole et le regard sur la peinture. Il s'agit d'une double approche de la spiritualité par la lecture de l'image et l'écoute de la parole. Au centre huit nous avons l'habitude de cette écoute de la parole mais peut-être une réserve quant à l'usage des images, en tous cas pour cheminer vers la spiritualité ... d'autant plus que ce centre-huit est de sensibilité protestante.
C'est pourquoi nous avons commencé par une table ronde sur le statut de l'image réunissant par ordre chronologique le monde juif représenté par Mme Mireille Mentré, le monde catholique par le père JP Allouchéry, le monde protestant par le pasteur Flemming Fleinert-Jensen.
On a cru voir d'abord un conflit, juifs et protestants étant plutôt iconoclastes, catholiques plutôt iconophiles mais en fait l'opposition n'est pas apparue aussi tranchée.
En effet rabbins et biblistes pensent un Dieu au-delà de tout, inconcevable, inimaginable et donc in-imaginable, qu'on ne peut imager !
Cela dit l'homme ayant été crée « à l'image de Dieu » serait, lui-aussi, in-imaginable ... c'est, en tous cas, ce pourquoi il se connaît si mal.
Deuxième réunion : nous avons vu, sous nos yeux fascinés, s'élaborer, sous le regard du maître de l'atelier, Olivier Mérijon, par deux jeunes peintres, un ex-voto, choisi là encore pour notre propos de spiritualité. Nous avons essayé d'écouter ce qu'étaient les ex-voto tout en regardant s'effectuer cet ex-voto sous nos yeux. Cette seconde réunion a été consacrée aux ex-voto pour que l'on voie la simplicité, la naïveté, avec laquelle l'homme établit une relation à son Dieu : la représentation simultanée de l'homme et de la divinité permet à l'homme de ne pas être enfermé sur lui-même, l'image parle pour lui sans qu'il en soit fasciné.
Troisième réunion, le pasteur Jérôme Cottin nous a permis d'aller plus loin en nous faisant voir l'invisible dans le visible, une présence par une absence, comme la transversale de la croix dans l'église Notre-Dame de l'Espérance que tous nous avons vu alors qu'elle n'existait pas ; on peut dire que l'image parle !
Quatrième réunion : nous avons cherché ce qu'une toile avait à nous dire en regardant les œuvres de deux peintres contemporains
Cinquième réunion : le philosophe Patrice Loraux nous a amené à entrer par le regard dans un tableau (Le Narcisse du Caravage) avec les mêmes critères que l'on entre dans la foi par l'écoute selon les exercices spirituels d'Ignace de Loyola.
Sixième réunion : nous avons fait dialoguer ceux qui parlent par la peinture et ceux qui écoutent ce que l'image a à nous dire.
Septième réunion avec Jean-Michel Louka, psychanalyste :
Pourquoi « diable » ai-je demandé à un psychanalyste de nous parler de spiritualité ?
Ce n'était pas si fou, finalement, puisque Michel Foucault a lancé vers les psychanalystes le reproche de n'avoir pas su se penser « dans... l'existence de la spiritualité et de ses exigences » ... et seul Lacan n'aurait pas participé de cet oubli.
Alors, en quoi la psychanalyse serait une expérience spirituelle ?
Pour deux raisons : le travail d'exégèse et l'ouverture à l'autre.
-) Exégèse : exégèse de l'image et la psychanalyse fait mettre des mots sur des images.
De même que les rabbins et autres biblistes font l'exégèse de la parole, les psy font l'exégèse de l'image.
« L'interprétation des rêves » de Freud, parue en 1900, est le fondement de la psychanalyse. Il faut remarquer que cette parution est contemporaine de celle de l'expressionisme et du cinéma des frères Lumière (Lumière !!) ... importance de l'image, poids des mots, choc des photos !
L'exégèse sert à trouver du sens à ce qu'elle décrypte. Les rabbins cherchent au moins 77 interprétations de chaque mot et les psy cherchent à dévoiler le sens caché par l'inconscient qui trompe en mettant une image à la place d'une autre (de même qu'un train peut en cacher un autre). Léonard en peignant la « Joconde » peignait en fait Mona Lisa et il est probable que le sourire qu'il lui a décerné, si énigmatique, est une image révélant, sans qu'il le sache, son désir inconscient de sujet ... et c'est, sans doute, pour cela qu'il n'a jamais voulu s'en séparer.... Exemple d'interprétation.
L'exégèse sert au sujet pour accéder à sa vérité.
-) Vérité par ouverture à l'autre : la psychanalyse est une étude de la relation, relation au père, la mère, frère ... au travers de la relation analysant / analyste, ce qu'on appelle le transfert, transfert que l'on analyse.
Pour qu'une relation soit harmonieuse il faut que « ça » circule. Le « ça » ? Inspiration, Souffle ... Le souffle peut venir de l'intérieur du sujet ainsi que le pensent les analystes athées ou bien de l'extérieur, de Dieu, pour les analystes croyants. Peu importe, pour tous il faut que ça circule. Que l'on soit un pape de la psychanalyse ou pape du Vatican « n'ayez pas peur » ! Levez vos inhibitions ! Lâchez prise !
Ainsi le psychanalyste a pris le relai du clerc, directeur de conscience.
Ce pourquoi Jean Allouch répond à Michel Foucault qu'il faut parler de « spychanalyse » ainsi que le font les enfants et les peu cultivés.
Cela dit, psychanalyse ou spychanalyse, l'analyste s'adresse à un sujet et non à une œuvre. Nous avons vu et analysé le « Cri » de Munch, cri silencieux et assourdissant en même temps, où la toile fait silence mais ne se tait pas car faire silence n'est pas se taire et cela se voit !
La psychanalyse peut, en fait, interroger le mystère de l'œuvre mais elle ne peut l'éclairer.
Elle ne peut pas, non plus, analyser le sujet peintre Munch, même si cela a été fait !!
Chemin de tête, chemin du cœur
Si c'est un cheminement par ces deux voies de l'écoute et du regard c'est aussi un cheminement par les deux voies de l'intelligence et de la sensibilité, ou autrement dit, de la tête et du cœur.
Nous avons vu que l'on peut entrer dans un tableau soit avec le cœur soit avec la tête.
Entrer dans un tableau peut être le résultat d'un coup de foudre, d'un coup au cœur, d'une émotion immédiate .... Poussin disait que « la fin de la peinture est la délectation »
René Char que « la peinture est une mise en route de l'intelligence sans le secours des cartes d'état-major ».
Plus souvent ce peut-être un mouvement lent d'analyse, de méditation, avant que le tableau se lève comme l'on dit les frères Goncourt et que rappelle Daniel Arasse.
Adhérer à la Foi peut aussi se faire soit avec le cœur soit avec la tête. On peut adhérer à la suite du chant maternel entendu sur ses genoux, quand, nouveau-né, elle chantait ses prières tout en lui donnant le sein : c'est adhérer avec le cœur ... mais on peut adhérer, approfondir son adhésion, par la lecture et la méditation des Ecritures ; c'est adhérer avec la tête.
Encore faut-il distinguer écouter et entendre ... écouter est une action volontaire de l'intelligence .... Mais on n'entend bien qu'avec le cœur. Encore faut-il distinguer regarder et voir ... regarder est une action volontaire de l'intelligence... mais voir ! voir vient du cœur. Ecouter et regarder seraient des actes volontaires quand entendre et voir seraient passifs mais d'où viendrait cette volonté ? De quel désir ? De qui ce désir ?
Alors, bien sûr, il nous faut adhérer et par le coeur et par la tête.
Il s'agit là de l'oscillation primitive, ontologique, nous dit le philosophe Derrida. Toute perception du monde, nous dit-il, se fait par ces deux voies de la sensibilité et de l'intelligence en oscillation, de façon dialectique. Le film « Copie conforme » que je compte projeter et sur lequel nous débattrons, nous montre les avatars, les incompréhensions, quand l'un des membres d'un couple est un cérébral pur et l'autre une affective en abyme.
Cheminer en Eglise
Nous n'avons pas cheminé seuls mais en groupe à chacune des sept séances. En assemblée sans doute puisque assemblée c'est Eglise et que nous cherchons la lumière. Nous avons cheminé à plusieurs pour y voir clair car, comme le rapporte Flemming, nous sommes à l'ombre de la croix ; nous somme en attente de la lumière pascale mais déjà chacun apporte sa petite lumière, lumière spirituelle, lumière picturale, lumière personnelle en tous cas. Ce sont de petites bougies que l'on porte, voire des torches ou des lampes électriques car la caverne du cosmos est immense mais, de toute façon c'est l'Esprit qui les allume. Malheur aux imprévoyants qui ne s'en sont pas munis rappelle l'Evangile!
C'est pourquoi nous avons voulu, outre les débats après conférences, alterner ces conférences avec des séances peintures pour permettre plus d'échanges entre nous.
Cheminer c'est être en mouvement
C'est ce qui nous est demandé.
Qui n'avance pas régresse dit-on et la Bible le prescrit : « Debout face au Seigneur » « Lève toi et marche » « Va » est-il dit à Abraham, (Gn 12,1) mais le sens exact du « va » est « va vers toi » ; chemin de spiritualité pour ton épanouissement.
Mouvement c'est é-motion, ce qui meut, ce qui meut par le cœur ou par la tête.
Mouvement qui nous rapproche du Seigneur, mouvement qui toujours nous élève, chemin à suivre ... mais peut-on cheminer sans trêve ? Cheminer toujours, certes, mais hélas, pas tout le temps. En effet nous sommes sans cesse attaqués par des distractions, des dis-tractions qui nous tractent de côté. Il me semble que l'on peut dire que l'homme est crée avec deux besoins : d'une part un besoin de spirituel, une appétence vers Dieu (« Heureux les affamés » (Mt 5,6)), source de l'alliance et d'autre part une tentation, comme un besoin, de di-version, de se dé-tourner, de se dis-traire, d'oublier, source de mésalliance. Nous oscillons sans cesse entre les deux ; la sagesse est de le reconnaître et la Foi de le combattre.
Mouvement aussi qui nous rapproche, ou nous éloigne, de ce que l'on regarde, éloignement si simple vue, approche si vision. Cette vision doit découler de ce que Kandinsky appelle la « nécessité intérieure » et c'est là l'éthique du peintre, sa conscience, l'œil qui le regarde.
Chemin difficile et il peut nous sembler avoir peu avancé.
C'est un chemin ascendant. Pourquoi pense t'on ascendant ? C'est sans doute une faculté de notre vue que de lever les yeux au ciel pour invocation ou émerveillement ou les baisser sur terre lors de nos échecs ... et une faculté de notre écoute que de penser la voix venant d'en haut, de la montagne (Mont Sinaï, mont Horeb, mont des béatitudes chez Matthieu (Mt 5,1).
Le peintre, lui, va s'apercevoir que cette faculté de notre vue vient du fait que nous avons les yeux disposés sur une horizontale. Quand nous nous regardons dans la glace droite et gauche sont inversées quand haut et bas ne le sont pas. Cela m'amène à une réflexion personnelle sur la gravitation :
Connaissons-nous l'importance de la gravitation dans l'organisation de la société ?
Il est évident que ce que l'on lâche tombe et que nous tombons et chutons aussi et de chutes en chutes jusqu'à la tombe.
Tous les êtres vivants ont les yeux placés sur une horizontale. Le miroir nous montre l'inversion de notre image sur l'horizontale droite gauche ... mais il n'y a pas d'inversion de l'image haut-bas. Cela permet d'apprécier cette force gravitationnelle et de s'en garder (ou de s'en servir). Il est probable que les mutations ayant entraîné une désaxation orbitale aient enfanté des êtres non viables.
Ainsi depuis nos gestes les plus quotidiens jusqu'aux œuvres avancées de la science tout notre environnement est géré en fonction de la gravitation.
De la gravitation est venue la gravité. Il est grave de tomber, cela peut faire mal et l'on grave son nom sur sa tombe. La chute provient de la gravitation mais aussi de la gravité : il a chuté et rechuté, maladie à rechutes, « t'es grave ».
Le spirituel, lui, va penser que le Père, son père, la tradition, viennent d'en haut et que la transmission aux fils se fait vers le bas ... est-ce que c'est parce que le petit enfant lève les yeux vers le père qui le domine de sa taille : passage de la vue à l'écoute ?
Quand on a une déclaration de poids à énoncer il convient de prendre un air grave...ce que font Présidents, Généraux, Pape...
Pour palier cette pesanteur on lève les yeux au ciel Il apparaît aussi que ce qui est plus léger que l'air monte (ou l'eau cf Archimède). Si lever les yeux augmente les risques de chute cela allège le cœur. Le croyant a beau savoir que Dieu se loge dans son cœur et que son corps est son temple, il lève les yeux au ciel quand il l'invoque. Pour un responsable lever les yeux au ciel et apparaître léger le fait paraître irresponsable.
Ainsi depuis nos mots quotidiens jusqu'aux œuvres de l'esprit tout est fonction de la gravité.
On a reproché à Dionysos d'avoir les pieds sur terre et à Orphée d'avoir les yeux au ciel...ils feraient bien de se compléter...nous aussi !]
Comment faire pour changer
Comment faire alors pour cheminer dans la spiritualité ? Comment faire pour changer sa vue en vision, sa vue prosaïque d'ici-bas pour une vision, aspiration à l'infini, ce qui est la spiritualité ?
Chacun des orateurs nous a fait cheminer vers la spiritualité.
- - Jérôme Cottin, lui, nous a montré les deux modèles de cheminement.
Le premier modèle, né avec le philosophe Plotin, marqué par la théologie grecque a été repris par le pseudo Denys, puis ensuite par le christianisme occidental avec l'abbé Suger à Saint Denis ... conduisant aussi bien aux icônes qu'aux vitraux des cathédrales. La peinture, dans ce modèle, part toujours d'une « idée ». L'idée doit amener à voir l'invisible.
Le second modèle a été élaboré au début du XXème siècle, non par des penseurs mais par des artistes, des créateurs, partant d'une « émotion » et aboutissant à l'art abstrait, art où l'on voit que l'on ne voit pas.... L'invisible est à rechercher par le regardeur.
- - Patrice Loraux : comment ce philosophe nous a-t'il fait cheminer vers la spiritualité ? En empruntant à Ignace de Loyola, le fondateur de l'ordre des jésuites, les critères de ses « exercices spirituels », son œuvre majeure, pour la lecture d'un tableau le « Narcisse » du Caravage.
Ils sont quasi contemporains et au cœur de leur temps, Caravage pour la peinture classique t Loyola pour le catholicisme.
La lecture du tableau sur le chemin de spiritualité est à 4 temps : érotique / culturel / scientifique / spirituel ... quand celle de Loyola pour la foi ne comporte pas le temps scientifique ... Voyons cela !
-) Erotique, disons sensuel.
1er temps : prendre conscience de la séduction liée aux attaches sensuelles.
Pour un tableau c'est l'émotion, la mise en branle avant réflexion, la beauté du Caravage.
Pour les exercices spirituels c'est la première des 4 semaines dans la reconnaissance des péchés pour se détacher de la « délectation sensuelle » en se frappant la poitrine, en souffrant de l'aveu de ses fautes, en matérialisant le lieu de la scène, en participant à la joie du Christ glorieux ou à sa peine dans la passion, en méditant sur l'enfer par la vue des feux, l'ouïe des cris, l'odeur du souffre, le gout des larmes, le toucher des brulures, et en faisant pénitence (jeûne, sommeil, corps).
2ème temps : se déprendre de ces attaches sensuelles en prenant du recul, du temps devant le tableau pour le Caravage et en se servant des grandes puissances de l'âme pour Loyola (mémoire, intelligence, imagination, volonté..)
3ème temps : accueillir une nouvelle capture, liée à ce travail, capture qui mène Loyola à un obéir volontaire et non machinal.
4ème temps : cheminer jusqu'au seuil d'un tout autre ... et là pas de doctrine pour le philosophe et doctrine signe à décrypter à fin de la suivre pour Loyola ... signe et non pancarte trop lisible .... Cheminer du fait d'une crise, crise émotionnelle devant le tableau ou crise de foi devant les Ecritures .... Mais crise à pousser au paroxysme aussi bien pour le regardeur du tableau que pour celui qui suit l'exercice.
-) Culturel :
Mythologique pour le Narcisse du Caravage et c'est toute l'histoire de ce jeune homme épris de son image jusqu'à en mourir qui va enrichir notre lecture.
Ecritures pour Loyola, deuxième des 4 semaines et suivantes à se remémorer les diverses étapes de la vie du Christ.
-) Scientifiques :
Etude aux rayons X du tableau pour en voir les repentirs et la volonté du Caravage d'en modifier le sens.
Etude des Ecritures (que ne fait pas Loyola) selon les diverses grilles d'interprétation.
-) Spirituelle : Il s'agit d'ouverture à l'autre. Narcisse en solitude a les bras devant lui en un cercle clôturant ; face à face avec lui-même et donc face à face avec la mort, son visage dans le reflet en est marqué ; Narcisse en meurt. Ahhh ! aurait dit Loyola, si seulement il avait ouvert les bras au devant des bras du crucifié ..... !
- - François Cheng que l'on aimerait avoir entendu, nous apporte l'importance du vide dans la réflexion taoïste. Le vide est ce qui permet l'articulation du Ying et du Yang, l'articulation de tous les couples. C'est pourquoi le cycle fut sous l'enseigne du Yin et du Yang dont voici le LOGO.
Faire le vide en soi, le silence, fermer les yeux pour voir la montagne, regarder la montagne, fermer les yeux, regarder... regarder un paysage le démonter puis le remonter... enfin voire le tableau que l'on regarde.
Se faire sourd pour entendre la parole. Le vide pour qu'y souffle l'esprit. Prendre le temps et se laisser prendre par le temps.Se laisser faire par l'émotion : ,l'é-motion... ce qui meut, fait bouger si on se laisse bouger, changer, métamorphoser .... C'est une fonction de la bible mais aussi une fonction des merveilles de la création.
– Grand d’Esnon –
Nous nous sommes retrouvés, une soixantaine de personnes, ce jeudi 30 septembre, pour faire le point sur notre cheminement dans la spiritualité.
Philippe Lemant, ne se sentant aucun titre à parler de spiritualité, a fait le bilan des 7 conférences passées.
Ce cycle était axé sur le double cheminement par le regard et par l’écoute. Or des phrases comme « Ecoute voir » … « Tu vois ce que je veux dire » … « cette toile me parle » … font qu’on s’emmêle les pinceaux … ce qui pour un peintre est un comble ! Nous sommes dans un audio-visuel.
La Bible est elle aussi un audio-visuel ; relisons les premiers versets de la Genèse : ténèbres, silence et une voix qui retentit ! Visuel : distinguons la lumière du premier jour, principe divin qui nous éclaire et nous donne une « vision » pour la lecture des écritures et la lumière du 4ème jour qui permet d’y voir la nuit, une « vue » comme celle de l’appareil de photo. Audio : c’est la Parole qui crée … pendant 6 jours … et qui continue mais en playback, on ne voit que les prophètes !
Nous avons cheminé par étapes en alternant conférences-débats et séances peintures avec échanges. Table ronde juif, catholique, protestants sur le statut de l’image … réalisation d’un ex-voto … Le pasteur Jérôme Cottin et l’invisible … deux peintres contemporains … Le philosophe Patrice Loraux et l’analyse d’un tableau avec les critères des exercices spirituels d’Ignace de Loyola … dialogue peintres et spirituels … le psychanalyste JM Louka et la psychanalyse comme exercice spirituel.
Nous avons cheminé par la tête et par le cœur, raison et foi. En distinguant aussi écouter et entendre, de même que regarder et voir, les premiers actifs selon la tête, les seconds passifs selon le cœur. Nous oscillons sans cesse entre raison et foi ce que la sagesse nous fait comprendre et ce que la foi nous fait accepter.
Nous avons cheminé en Eglise car en groupe, en « assemblée », chacun apportant sa lampe personnelle que l’Esprit a allumé et heureusement il n’ya pas eu d’imprévoyants !
Cheminement qui est mouvement, émotion, é-motion, ce qui meut par la tête ou par le cœur, devant un tableau ou la lecture de la parole, le « Va » prescrit à Abraham, élévation car aspiration à l’infini, ce qui est notre définition de la spiritualité.
Comment cheminer ? J.Cottin nous a proposé deux modèles : le classique des philosophes grecs partant de l’ « idée » ou le récent des peintres abstraits, partant de l’ « émotion ». P.Loraux nous a fait suivre l’analyse du « Narcisse » du Caravage avec les critères des exercices spirituels des jésuites d’Ignace et ses phases : 1) sensuelles (aveu des fautes en prenant conscience de cette « délectation sensuelle »…. dont il faut se déprendre … pour être à nouveau captivé du fait du recul pris … et aller jusqu’à un seuil de quelque chose d’autre) 2) culturelle (mythologique pour le Narcisse et rappel des étapes de la vie du Christ pour les jésuites) 3) scientifique ( analyse au rayons X pour le tableau et analyse des Ecritures selon les diverses grilles, linguistiques, sémiologique, historico-critique, psychanalytique …pour les biblistes. 4) spirituelle qui pour tous consiste à s’ouvrir à l’autre ou à l’Autre, ce que ne fit Narcisse enfermé dans le cercle des ses bras. François Cheng attire notre attention sur le vide qu’il faut faire en nous pour qu’y souffle l’esprit, vide médian qui permet l’articulation du Yin et du Yang, de l’homme et de la femme, de l’homme et de son Dieu. Et aussi fermer les yeux pour mieux voir et les oreilles pour mieux entendre évite d’être dis-traits par la vue ou par des bruits.
Chemin mystérieux : Dieu se cache au regard et l’on ne peut voir sa face. Il se cache à l’écoute, sa parole est i-nouïe et l’on doit écouter les prophètes. Dieu se cache pour que l’on le cherche. Les merveilles de la nature en sont une approche pour qui sait les voir, mais elles sont là pour nous émerveiller … nous « émerréveiller » !
Philippe Grand d’Esnon, pasteur de l’Eglise réformée de Versailles, a d’abord voulu tordre le cou à l’idée que les protestants seraient iconoclastes : Rembrandt, de famille de pasteurs, ne peut se comprendre si l’on ne croit pas en Dieu.
La première femme peintre de l’histoire serait Véronique, sans doute la femme non nommée que Jésus guérit de ses pertes de sang lors qu’elle toucha les franges de son manteau : elle aurait alors reçu du Christ une image aux vertus miraculeuses grâce auxquelles elle aurait guérit l’empereur Tibère de la lèpre ; a-t-elle reçu l’image ou aurait elle essuyé le visage du Christ agonisant, ce qui aurait fait d’elle un peintre ? Ou bien encore est-ce le Christ qui se serait essuyé le visage ? Une autre légende rapporte que le roi Agbar V d’Edesse, ayant envoyé un émissaire auprès du Christ pour le connaître, cet émissaire aurait échoué à faire son portrait, le Christ, alors, se serait essuyé lui-même le visage d’un voile ; il aurait envoyé cette image au roi avec l’apôtre Taddée qui aurait évangélisé les habitants d’Edesse.
Le pouvoir du suaire du Christ est le même que celui attribué autrefois aux icônes … au risque de se transformer en idoles.
Si dans ces légendes le Christ semble être l’auteur de l’image, il faut reconnaître que, en fait, le tout premier auteur est Dieu lui-même quand il crée l’homme à son image ! Et même le premier auteur d’une œuvre d’art puisqu’il trouve ce qu’il a crée bon et même pour la création de l’homme et de la femme très, très bon, Dieu est enthousiaste !
L’homme est crée à l’image de Dieu et nous en avons en écho l’image de sa personne dans le prochain ainsi que le rapporte Matthieu (Mt 25) « Quand t’avons nous vu affamé et t’avons nourris … chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait».
On ne voit qu’avec le cœur ! La jeune Ste Elisabeth de Hongrie abritait, en l’absence de son époux, un pauvre malade dans le lit conjugal, le mari, de retour rejette le drap et voit …….. le Christ !
Philippe Lemant
Chemin mystérieux
Parole et regard : Dieu se cache aussi bien au regard qu'à la parole. Il se cache à la vue, au regard, dans la nuée, derrière un buisson, dans les ténèbres de la croix. Il se cache sous la parole, il cache son nom : « Je suis qui je suis » ou « Je suis celui qui est »Dieu n'est pas anonyme mais son Nom n'est pas révélé.
La parole de Dieu est inouïe, in-ouïe et sa face n'est pas visible.
Dieu se cache et pour qu'on commence à le chercher en un jeu de cache-cache c'est lui qui lance la première question posée à l'homme « Où es tu ? » (Gn 3,9). Au tour de l'homme de Le chercher.
Dieu reste mystérieux ; les merveilles de la nature en sont une approche pour qui sait les voir. Mais pour les voir, comme pour voir le tableau que l'on regarde, il faut fermer les yeux. De même pour entendre la parole il faut fermer les oreilles. Pour avoir une vision intérieure ou une entente de la parole il ne faut pas être distrait par la « vue » ou par des « bruits ».
Mystères et Merveilles : Si Dieu reste mystérieux c'est bien pour susciter notre curiosité, entretenir notre appétence et les merveilles sont là pour nous « émerréveiller».
Cinquième séance: Jeudi 15 avril 2010 à 20H30
ENTRE LE PEINTRE ET SON TABLEAU:
Introduction : Philippe Lemant
Le philosophe Patrice Loraux nous a fait le plaisir et l’honneur d’accepter de mettre des paroles sur des images, je vous le présenterai tout à l’heure.
« Peinture et Spiritualité » c’est Image et Parole
Rappelons qu’il s’agit d’une double approche de la spiritualité par la lecture de l’image et l’écoute de la parole.
Au centre huit nous avons l’habitude de cette écoute de la parole mais peut-être une réserve quant à l’usage des images, en tous cas pour cheminer vers la spiritualité d’autant plus que ce centre-huit est de sensibilité protestante. C’est pourquoi nous avons commencé par une table ronde (juive, catholique, protestante) sur le statut de l’image ou comment ne pas être fascinés par ces images.
La seconde réunion a été consacrée aux ex-voto pour que l’on voie la simplicité, la naïveté, avec laquelle l’homme établit une relation à son Dieu : la représentation simultanée de l’homme et de la divinité permet à l’homme de ne pas être enfermé sur lui-même, l’image parle pour lui sans qu’il en soit fasciné.
Troisième réunion, le pasteur Jérôme Cottin nous a permis d’aller plus loin en nous faisant voir l’invisible dans le visible, une présence par une absence, comme la transversale de la croix dans l’église Notre-Dame de l’Espérance que tous nous avons vu alors qu’elle n’existait pas ; on peut dire que l’image parle !
Quatrième réunion : nous avons vu s’élaborer par deux jeunes peintres, un ex-voto là encore, sous nos yeux fascinés, certes, mais il y eu aussi parole.
Aujourd’hui cinquième réunion que j’avais baptisée « L’entre-deux » car Patrice Loraux nous avait dit, lors d’un ancien congrès, qu’un philosophe ne s’intéressait ni au peintre ni au tableau mais à ce qui se passait entre les deux et Patrice a accepté de nous en entretenir, entre-tenir. C’est pourquoi nous avons choisi de partir, comme image, du tableau du Narcisse du Caravage avec, entre le visage de Narcisse et son reflet, le miroir de la surface de l’eau mettant en évidence la captation de son regard… vous le voyez sur le panneau de gauche. Vous voyez, par opposition, sur le panneau de droite, le symbole de notre cycle, le symbole du yin et du yang avec son vide médian comme une échappatoire à cette captation du regard telle que la subit Narcisse… nous nous en expliquerons.
Mais Patrice Loraux est un philosophe malicieux qui aime bien nous ouvrir des portes mais pas toujours où nous l’attendions et il va nous proposer d’autres chemins. Rappelons que Patrice Loraux est Maître – de – Conférences honoraire au Département de Philosophie de l’Université de Paris 2 qu’il est Ancien Directeur de Programme au Collège International de Philosophie. Auteur de nombreux livres notamment « Le temps de la pensée »publié aux éditons du Seuil.
C’est avec joie que je vous laisse la parole
Patrice Loraux
Je vais essayer de vous emmener dans un récit plutôt qu’une accumulation de concepts, ce qui ferait peur, donc dans un récit, une promenade, un parcours à travers ce tableau.
Heureusement que le Dr L. m’a dit partez du « Narcisse » … j’accepte : cela tourne le dos à ce à quoi on attend car Caravage (1560 / 1610 à peu près) est une sorte de Pasolini et tous les deux passent par le scandale. Ils sont tout le contraire d’un chemin droit vers la spiritualité à moins de passer par l’érotique, le scandale, la critique sociale, la passion de Pasolini (théorème).
Mais Caravage est presque contemporain d’une autre figure, celle d’Ignace de Loyola avec ses exercices spirituels.
Je vais vous proposer un exercice spirituel de la lecture du tableau. Un exercice est un chemin, une certaine obéissance, sans protestation immédiate, une rumination, une domination de la temporalité, une obligation par rapport à l’heure.
Ignace a été professeur de philosophie et la philosophie commence par neutraliser, par suspendre la chose qui vient tout de suite, ainsi par neutraliser la séduction esthétique quand il s’agit du tableau du Caravage et l’adhésion à la foi quand il s’agit des exercices de Saint Ignace.
J’essaie de ne pas être captif de ces deux séductions. Cependant on est en pleine peinture classique et en pleine spiritualité ; si aujourd’hui on est au bord de la peinture et de la spiritualité, au XVIème siècle on en est au coeur, Caravage est un grand classique et Ignace est au coeur de la catholicité encore triomphante.
Partant du Narcisse je vais vous proposer un va et vient comme on le fait devant un tableau, on s’approche, on s’éloigne, on s’approche à nouveau ; cette scansion est en écho avec une pensée de Pascal : pour juger d’un tableau, de près, de loin, c’est à vous de juger. Je vais vous proposer l’analogue d’un exercice spirituel, un parcours, qui tient compte d’abord des attaches charnelles ; il faut d’abord les réactiver, surtout pas commencer par s’échapper, qu’il s’agisse d’attaches mondaines, sensuelles, érotiques, amoureuses, ce qui nous tient. Pour les quitter il faut y être et donc commencer par les réactiver. Pour en jouer, pour s’en déprendre et pour s’en servir (les trois) il faut les grandes puissances de l’âme dit Ignace : la sensualité, la mémoire, l’intellect, l’imagination, la volonté, à fin d’accueillir la volonté de Dieu.
Caravage ne passe pas pour un spirituel ; l’exercice serait facile si l’on disait Duccio, Piero della Francesca, Fra Angelico… Ici il faut commencer par jouer entre l’esthétique et l’érotique en réaffirmant l’expérience érotique ; si ce tableau vous laisse neutre l’effet est raté ; il doit provoquer une séduction ; je vais essayer de dégager cette séduction.
Une fois que la capture est réalisée il sera intéressant de faire la différence entre des chaînes et des liens (des liens peuvent devenir des chaînes et des chaînes se métamorphoser en liens) Au bout d’une chaîne il y a souvent un maître et un esclave Nous dirons qu’une langue entre nous est un lien, si elle devient une chaîne c’est une catastrophe ; de même de nos relations, de nos affections. Par conséquent il y a un jeu logique, psychologique, métaphysique, moral, entre ses deux mots.
Il faut réaffirmer l’ancrage sensoriel du tableau mais le motif en est païen, mythologique donc c’est un détour par un motif profane. Vous savez bien que la quasi unique dimension du monde profane dans lequel nous vivons c’est la dimension du spectacle / scandale ; pour qu’un spectacle ait un peu d’intérêt il faut le pimenter d’un peu de scandale et pour qu’un scandale soit acceptable il faut le tourner en spectacle. Jouer de ça et vous aurez tout ce qui se fait aujourd’hui en matière de communication Je vais vous proposer une petite dimension scandaleuse car il faut jouer le jeu ; je vais vous mettre le doigt sur ce qui est scandaleux.
Je vais d’abord vous mentionner les trois axiomes qui permettent de sortir de ce couple spectacle/scandale (ça s’appelle la philo) ce sont : 1) la philo n’apporte aucune doctrine. 2) elle prend les choses au moment d’une crise et il y a crise aujourd’hui au niveau des capteurs, ces appareils (portables, ordinateurs…) qui nous servent mais qui nous capturent. Si nous étions capables d’être nus par rapport à ces appareils, quelle vie se serait ; on imagine un retour au primitivisme, être dans le plus simple appareil comme l’on dit ; c’est une crise vitale car pas de crise pas de philo. 3) cette crise consiste à ne pas bien articuler la maîtrise technique et l’indépendance technique, à ne pas bien articuler la puissance de produire du visible et un certain rapport à de l’invisible. Ca c’est très en crise et une fois que le philosophe tient une crise il la pousse jusqu’à la limite c'est-à-dire au-delà de ce que l’on voudrait et là il passe à un autre registre.
Alors j’entame le récit : en plein centre que voit on d’abord ? … En fait on voit ce qu’on veut, on voit ce qu’on peut, on ne voit pas toujours ce qu’il ya à voir, on voit autre chose que ce qu’il y a et ce qu’il faudrait voir on ne le voit pas … Toutes ces variantes parfois en même temps. Voyez le deuxième genou verdâtre, il n’y en a aucun reflet et c’est le seul élément du tableau qui n’ai pas de reflet … on peut s’interroger sur ce qui ainsi échappe à la logique de la réflexion chez ce grand peintre. Cette anomalie je vais la qualifier de façon scandaleuse ( le scandale ne vient pas de moi mais de ceux qui interprètent le tableau) : le genou, si c’est un genou que vous voyez, a été interprété comme un phallus ; pas besoin de beaucoup d’imagination pour consentir (mais on peut ne pas consentir) ; on voit ce que l’on peut voir on ne peut pas voir au-delà de ses forces. Le genou vert est la réplique de ce premier phallus. Si vous ne voulez pas voir ça vous ne verrez pas le tableau et vous ne verrez pas l’invisible qui est là ; il faut passer par cette composante là.
Ceci m’amène à un petit moment de théorie sur les 4 temps du voir : 1) d’abord voir = être capturé par un détail ; on ne voit jamais le tout au début 2) voir autre chose que le détail captivant, captivant pour celui qui regarde et accepte de se laisser prendre (c’est comme au cinéma : si on ne se laisse pas prendre on n’est pas un bon spectateur, on ne joue pas le jeu) on risque d’être pris, c’est ça la vie. On peut me tromper mais pas moyen de démêler le vrai de l’illusion du moins au début ; il faut faire un bout de chemin et finalement voir autre chose, voir le tout. 3) voir autrement cad en ayant un autre angle d’attaque. 4) autre chose que voir et je vous demanderai en fin de parcours de faire autre chose que voir.
On pourrait mettre ces 4 temps en parallèle avec les composantes de toutes spiritualités, qu’elles soient occidentale, européenne ou extrême-orientale, catholique, protestante…
Une spiritualité a au moins 3 composantes pour être telle, à savoir : 1) un renoncement volontaire à son vouloir propre, la volonté doit renoncer à la volonté (cf Jacques Lebrun « Le pouvoir d’abdiquer) pour laisser place à une volonté plus haute, plus grande. 2) neutraliser, en la laissant présente, la séduction du monde ; le monde est là attirant comme si il n’attirait pas. 3) accueillir, c’est un mot français qui traduit le mot agape en son vrai sens. Un accueil de ce qui est asymétrique et qui est paradoxal ; l’asymétrique est paradoxale : le plus grand peut commencer par le plus petit. C’est l’argumentation pascalienne dans les « Pensées » à savoir le scandale de l’incarnation : on attendait un roi, on a un tout petit.
Et une spiritualité exige : 4) une première capture ; si on n’a jamais été capturé par le sensible, si on n’aime pas le monde, on ne peut pas le quitter. 5) une déprise, il faut se déprendre, se séparer, Ignace parle de retraite. 6) un moment où n’y comprend plus rien, une déprise d’intellection. C’est là où les philosophes s’arrêtent ou divergent : renoncer à comprendre … là s’arrête la quête spirituelle. Non comprendre donne l’expérience d’un chemin dès que l’on ne comprend plus il faut trouver la direction, un chemin ça se parcourt, c’est plein de cailloux, c’est éprouvant et puis il ya des rencontres. Un point majeur : il faut consentir à la direction, consentir à être dirigé. Il faut obéir, on n’aime pas obéir mais il ne s’agit pas d’obéir comme on obéit à nos machines ; il y a à des moments où on ne peut plus faire que cela, mais pour comprendre que l’on ne peut plus faire qu’obéir, il faut avoir traversé tout ce que j’ai évoqué (les jésuites en savent quelque chose). Il y a là quelque chose de l’exercice et de l’épreuve ; ce que l’on ne fait pas quotidiennement ne rentre pas dans notre expérience humaine, que ce soit de la philosophie, de la cuisine ou la prière …tout ce qui est humain exige un rythme quotidien. 7) chemin jusqu’au seuil de peut-être tout autre chose.
Ignace suggère de bien comprendre le moment pertinent ou il faut renoncer aux attachements, faire retraite, s’abandonner à une sorte de manque de direction. Si les Jésuites vous agacent faites comme les philosophes : laissez tomber le superflu, le dogmatique . Reste le chemin et il faut le trouver, ce n’est pas évident, il faut avoir le courage et l’audace de le suivre, mais d’abord le trouver et on ne le trouve pas comme ça ; il est indiqué mais pas donné ; c’est difficile de comprendre une indication ; il y a des signes mais les signes exigent qu’on puisse ne pas les voir (c’est dans leur définition) sinon ce sont des pancartes. Retenez simplement d’Ignace le chemin, le directeur, l’exercice et l’usage réglé du sensuel. Pour faire une chose, chose qui est une transformation, puisque sans transformation il n’y a pas de vie spirituelle, il faut savoir qu’il est requis, par l’exercice, de transformer ce qui capture, ce qui capture par force, autorité ou séduction (les trois grandes captures) pour convertir ça en un chemin vers un peut-être tout autre chose.
Aussi je vous propose un exercice spirituel sur ce tableau, une lecture spirituelle au sens d’Ignace.
Il y aura 4 temps de cette lecture
1) On y lit d’abord une capture plastique charnelle : c’est une première étape, un chemin, un exercice. Si vous regardez bien (on peut y voir des phallus sans voir des phallus partout, façon Lacan, maintenant que nous sommes moins captifs) vous remarquerez qu’il n’y a pas un iota de vie, pas une plante, pas un animal, tout est immobile, pas un souffle de vent (le reflet en serait perturbé). Narcisse y est seul, dans une terrible solitude. Toute la scène est enfermée entre les bras de Narcisse et les bras de son reflet en un cercle dans lequel il n’y a que lui… tandis que dehors tout est ténèbres, obscurité, nuit …Solitude mise en évidence par l’absence de détails ce qui est rare pour une peinture du XVIIème siècle. On voit deux formes énigmatiques : un genou, j’accepte genou, acceptez phallique, c’est un marché, et je vous propose de penser que le phallus vert est le reflet du phallus blanc … le reflet continue (est-ce que je délire ? on voit ce qu’on veut voir). Si je ne faisais pas cet exercice je m’arrêterais à cette phase. Vous pourriez quand même déjà tirer une leçon de cette première station : quand on est avec soi-même (avec un phallus vert cadavérique), l’image de l’Eros qu’on a de soi-même finit par un Eros cadavérique. En effet c’est la seule touche verte du tableau et le reflet du visage montre un Narcisse déjà en train de dépérir, indication de son destin)
Solitude de Narcisse : Ovide, le poète latin, nous rapporte que dans la culture grecque un homme seul est perdu. Adage grec.
Vous pouvez refuser de voir ce que je vois mais vous devez quand même expliquer pourquoi il n’y a pas de reflet du genou vert. Ce qui m’intéresse c’est de voir qu’il y a une clôture sur elle-même de l’expérience qui est faite par l’érotisation seule. Si on ne veut pas la quitter on est perdu et pourtant il faut être repassé par elle. Les expériences ne sont bonnes que quand on les fait et que l’on poursuit. Si on se cramponne à une expérience c’est surement ça qui est l’interruption de la vie spirituelle à savoir que il n’y a pas de halte possible, autrement dit, chaque fois que l’on a fait halte il faut repartir pour ailleurs. Si j’avais à dire en un mot ce que j’appelle la vie spirituelle, la spiritualité, c’est l’expérience que l’on a jamais atteint un but où on peut s’arrêter. Là où on s’arrête pousse une idole ; les idoles c’est toujours là où on a arrêté ses pas.
2) Je propose de sortir de cela par la culture parce que pour voir ce que vous ne voyez pas et en effet c’est invisible à côté de ce que vous voyez, ces deux genoux que vous avez du mal à bien placer, il faudra avoir aperçu ces deux genoux et accepté de quitter cette fixation. Il me faudra vous parler du coeur.
Ce n’était que la première station : aucun dehors, un objet énigmatique.
Maintenant on va s’arracher par un détour, un élément culturel, une relecture au livre III des métamorphoses d’Ovide du passage sur Narcisse.[ Je m’inspire des travaux de Marie-José Monzain du CNRS et à l’école des hautes études en sciences sociales de Philippe Hersant]
L’histoire commence par un oracle, celui du fameux Tirésias, le devin aveuglé par Apollon. Aveuglé il a la vision (Il a aussi la double connaissance du plaisir de l’homme et de la femme).
La mère de Narcisse est une rivière fécondée par un fleuve ; Narcisse est né de l’eau d’où le sens du tableau. Elle demande à Tirésias si son fils vivra vieux ; réponse de Tirésias « s’il ne se connaît pas ». Narcisse sait et ne sait pas en même temps, comme tous les héros de la mythologie antique, qu’il est sous ce destin. Il est saisi de démesure et a pris la décision de fuir l’amour. Il ne sait pas qu’il est beau. Il ne sait pas qu’il fuit les miroirs Il croit qu’il se suffit à lui-même par où il se méconnaît, mais se méconnaitre est le plus sur chemin pour finir par se rencontrer. Narcisse croise Echo, la nymphe amoureuse de lui, Echo punie par Junon pour avoir favorisé les amours de Zeus et qui ne peut plus que répéter le dernier mot en fin de phrases. Elle croise un jour Narcisse qui était seul et qui demande « y a-t-il quelqu’un près de moi ? » elle répond « …moi » « unissons nous » dit-il et se reprend « plutôt mourir que m’abandonner à toi» et, malédiction d’une dédaignée, Echo s’exclame « puisse-t’il aimer et ne jamais posséder » et là, Némésis, la justice supérieur, dit « Soit, il en sera ainsi »…. Et voilà qu’il découvre en une source pure cette imago dont il ne sait pas encore que c’est son image ; il en tombe amoureux de cette imago qui n’est pas image. Imago c’est ce faux autre, presque l’autre mais indiscernable, sans consistance. Qu’est-ce que la même chose qui n’est pas la chose ? Un reflet est une énigme et pour cela une chose séduisante par soi. Les malins contemporains ont compris avec des imagos on manipule tout le monde. Le faux autre c’est facile parce que c’est vous et que vous croyez que ce n’est pas vous. C’est une capture par un autre qui est soi-même. Et donc illusion de la fusion et du désir de fusion. Narcisse s’extasie devant son imago ; il ne sait pas encore qu’il est amoureux de lui-même. Sans s’en douter il se désire lui-même, amant et objet aimé … alors voilà le fantôme que tu aperçois, l’ombre de ton image sans consistance tu ne la saisiras pas, douleur ! L’être qui me charme je ne puis l’atteindre ; sitôt que je mets la main ça se brouille et pourtant tu répons toujours à mes signes (quand il tend la main l’image tend la main) Mais cet enfant, dit-il à un moment, c’est moi, iste ego sum, mon image ne me trompe plus ; je brûle d’amour pour moi. Il vient de découvrir que l’imago qu’il aimait c’était l’imago de lui et il ne désire plus qu’une chose : être uni jusqu’à la mort, ce que Némésis va honorer. Il succombe du feu secret qui le dévore. Sa beauté le quitte. « Adieu » dit Echo qui l’avait aimé. Il meurt ; il n’est pas noyé. Une fois mort il se mire encore dans les eaux du Styx. Son corps a disparu et à sa place une fleur pousse, un narcisse.
La culture est une ressource pour n’être pas trop capturé par les séductions immédiate mais ce n’est pas le dernier mot de tout. Grâce à elle nous disposons désormais de la temporalité d’une histoire. Ce n’était que spatial. Histoire dominée par la question du savoir et du savoir spéculaire. Est-ce qu’on peut connaître autre chose que soi ? Question importante.
Je reviens sur la solitude, je reviens sur le fait que l’image mimétique sera l’objet privilégié de la peinture classique : l’image dans l’eau … Narcisse fils de l’eau … Il ne sait pas que quand il s’approche de l’eau il s’approche de l’élément maternel.
Il y a une série logique : eau, image, amour, mort. … si l’on suit cela on a le contre-chemin du chemin spirituel. Là c’est une chaîne.
Il ne se noie pas ; il perd consistance, moins qu’une image, il est rendu à la terre ; il perd sa forme et il renaît dans la forme d’une fleur éphémère : métamorphose, résurrection simplement naturelle… pas encore la grande résurrection dans l’Esprit.
Nous avons parcouru un récit où se voit le nouage entre le savoir, l’ignorance, l’amour, la chaîne, la mort…. entrecroisés… et ça se termine sur une renaissance selon la nature, pas encore l’esprit.
3) Retour devant le tableau, nous sommes sur le seuil de l’énigme : miroir, portrait, reproduction, représentation ; nous, vous, moi, devant le tableau comme Narcisse lui-même dans le tableau devant son image spéculaire. Lui est seul, nous, nous ne sommes pas seul. Où est le peintre ? A côté de nous ? S’il est à côté de nous il est hors tableau et donc avec nous comme un moraliste qui illustre une fable et ce qui advient à quelqu’un qui se voit. S’il n’est pas à côté de nous il est peut-être dans le tableau auquel cas nous sommes seul à nouveau.
Entrons dans l’analyse de ce que l’on ne voit pas dans le tableau. Ce que l’on ne voit pas c’est le retravail, les « repentirs », que l’on ne voit que par analyse radiographique.
Dans le tableau actuel les yeux du reflet ne nous regardent pas ; dans la première version les yeux du reflet étaient tournés vers nous. Nous avions donc directement le portait de Narcisse pour nous. Or Caravage lui a fait subir une rotation et le reflet n’est plus pour nous mais pour Caravage en tant qu’il a décidé d’occuper la position qu’occupe Narcisse modèle. Par conséquent nous voyons en ce moment un reflet qui n’est pas pour nous mais qui est pour Narcisse. Mais Narcisse n’est pas seul il est habité par le peintre qui peint, qui peint ce qu’il est en train de voir, c'est-à-dire que le peintre et Narcisse coïncident ; confusion du modèle et de la copie. Ce que nous voyons c’est un portrait de Narcisse peignant un portrait de lui-même, un Narcisse investi par le Caravage qui en fait un Narcisse inventeur de la peinture.
Ce tableau chez Alberti, le grand théoricien de la renaissance, passe pour être le tableau qui figure l’allégorie de la peinture elle-même, c’est à dire un sujet, une surface, et la projection sur cette surface qui réfléchit, de ce qui est le modèle et qui devient le reflet. On voyait les yeux du reflet et on imaginait que Caravage était à notre place à nous, là où nous sommes en ce moment. C’était sensé … voila que dans la seconde version Caravage est entré dans le tableau, a renoncé à la représentation pour faire l’allégorie de la peinture se peignant (Ce n’est pas moi qui invente, c’est Alberti, un classique). Dans cette symétrie spéculaire copie et modèle se renvoient l’un – l’autre ; on voit à la fois un portrait, une image, un miroir, un tableau. Le peintre se représente sous les traits d’un Narcisse peintre mais dépourvu ici de tout matériel de peinture (chevalet, pinceau…) ce qui est inhabituel. Comment le sait-on ? Par l’analyse radiographique qui a permit de comprendre que grâce à une série de miroirs Caravage a pu avoir comme regard, le regard qu’il aurait lui s’il était en lieu et place de Narcisse. Donc tout peintre se peint lui-même et le sujet d’un tableau c’est celui d’un peintre qui peint en projetant des images sur une surface. C’est le thème de la vision d’un Narcisse spectateur et en même temps acteur de lui-même (et alors là accomplissement du « connais-toi, toi-même »…. qui était une chose redoutée dans le deuxième temps « vivra s’il ne se connait pas ») et là le reflet se connaît intégralement puisque peintre et sujet coïncident.
4) Si on fait pivoter le tableau de 90° si vous regardez le reflet et si vous le comparez au tableau de décollation de Jean-Baptiste vous serez frappé par le fait que l’on a interprété le reflet non pas comme la tête de Narcisse vivant mais comme la tête de Narcisse mort. Il y a chez Caravage beaucoup de décollation : Judith et Holopherne, Goliath, la Méduse et donc chez Caravage un souci pictural de se demander ce que c’est que de voir un visage de face. On ne peut pas voir un visage de face s’il est vivant. Regardez il a les yeux fermés et la tête posée comme celle de Jean-Baptiste sur un plateau. Il ne faut pas plus d’imagination pour voir une tête décollée que pour voir un genou phallique.
Seulement et c’est le 4ème temps, 4ème regard après l’érotique, le mythologique, le scientifique, c’est le moment proprement spirituel. Que voit-on dans le reflet que peint Caravage ? Comme un auto portrait du Caravage en peintre. Narcisse se réfléchit pour nous, non pas en auto portrait mais en tête décapitée et déjà marquée par la mort.
Pour confirmer ceci regardez les « Saint Jérôme » de Caravage, il y a plusieurs Saint Jérôme du Caravage : Saint Jérôme tend les bras et au bout il y a une tête de mort … et entre les deux il y a l’interposition des Ecritures … dans un autre « Saint Jérôme » il y a entre Jérôme et la tête de mort un stylo. Si on n’interpose pas les Ecritures, que l’on lit ou qu’on écrit … on est en face à face avec la mort. Comme Narcisse n’a pas l’écriture, n’a pas la lecture, n’a pas beaucoup de culture, il est en face à face avec la mort. Alors même que Narcisse ouvre les bras en avant de lui, ses bras ouverts se referment sur eux même en un cercle clôturant.
Mais, mais si Ignace avait pris le relai il aurait dit : si seulement il avait ouvert les bras devant les bras du crucifié, il aurait ouvert ses bras en ouverture.
La lecture proprement spirituelle de cette histoire exige qu’on la relise. En passant devant ce tableau vous êtes accrochés par un détail, peut-être de façon fallacieuse (comme l’amour), un passant qui a besoin d’un guide, ici Caravage lui-même, qui était à côté de vous et qui rentre dans le tableau. Il vous indique comment entrer dans le tableau et comment regarder le tableau en mettant vos yeux dans les yeux de Caravage, eux-mêmes dans les yeux de Narcisse, qui voit quoi, non pas son reflet vivant mais son reflet mort.
Maintenant que le guide vous a introduit apparaît une posture désirante qui se développe sur trois points : au seuil de l’expérience spirituelle il faut se remémorer qu’il y a trois composantes en jeu : 1) toujours un leurre structurant (on peut toujours être séduits, être captifs à son insu ; pour Narcisse sa démesure l’a empêché de voir que ses liens allaient être convertis en chaines) 2) entrevoir non pas la mort, mais soutenir le visage de soi comme mort, ce qui n’est pas pareil. 3) consentir au paradoxe infini à savoir que l’organe qu’est le coeur est un organe spirituel et non plus corporel comme le genou phallique. Le coeur est en nous l’organe qui nous fait sentir la disproportion et le jointure impossible du fini et de l’infini. Qui n’a pas de coeur est celui qui ne sent pas en lui qu’il est écartelé et qu’il est le lieu de l’écartèlement du fini et de l’infini. C’est le « Pur Amour »…qui est le lieu du renoncement à tout désir fini, le lieu où l’on s’offre pour être un terrain vide où la volonté de Dieu vient s’exercer, ainsi qu’il a été soutenu par Fénelon (Quiétisme) … mais condamné par le pape pour ne pas tomber dans la ruse de l’orgueil). Le coeur non figurable est au dessus du genou … en fait, et je le vois seulement maintenant il est figuré, surtout si on retourne le tableau. Ce coeur doit faire advenir une absence. On est invité à sentir que le sens de la disproportion entre le fini et l’infini fait défaut et ce qui manque à Narcisse c’est d’éprouver la faille qui l’ouvrirait au dehors. Le coeur devient le coeur de l’exercice spirituel, qui consiste à devenir en soi sensible à cet organe en nous qui n’est pas corporel.
Chez Pascal le coeur est l’organe qui permet, non pas de connaître mais d’éprouver la disproportion. Ce qui manque à Narcisse c’est qu’il connaît trop. Finalement, nous sommes partis de ne pas connaître et Narcisse, lui, connaît qu’il est mortel ; il ne connaît rien au-delà.
Ignace irait jusque là et puis au dernier moment il laisserait tomber le malheureux Narcisse. Il retiendrait pourtant que devant une image très profane on peut en faire un support prodigieux pour expérimenter ce que c’est qu’un parcours spirituel.
Je vous remercie.
Echanges avec la salle
--) Merci Patrice Loraux de nous avoir mené à cet exercice de va et vient entre la parole et le regard dans la vision et l’analyse du tableau de Caravage. Merci d’avoir fait le parallèle entre Caravage et son quasi contemporain Ignace de Loyola ce qui nous a incité, voire obligé, à avoir les mêmes méthodes et la même rigueur, aussi bien pour la lecture d’un tableau que pour l’adhésion à la Foi. Merci aussi d’avoir mis en évidence que, aussi bien, pour bien voir le tableau que l’on regarde, que pour adhérer à la Foi il fallait se libérer de la capture de la séduction immédiate et pour cela se déprendre, prendre du temps, se laisser métamorphoser, faire le vide en soi à l’image du vide médian du Tao.
--) Narcisse mourra jeune s’il se connaît qu’est-ce que Socrate lui répondrait ? L’oracle de Delphes, que rapporte Socrate, est d’un autre domaine. Le « Connais toi toi-même » est d’un autre champ ; il indique aux contemporains de Socrate, qui sont occupés à connaître la nature, l’harmonie du monde, que l’essentiel n’est pas de connaître l’ordre du monde mais la façon dont en toi tu fais le partage entre ce que tu sais, ce que tu sais par toi-même, ce que tu sais par ouï-dire, ce que tu ignores, ce que tu répètes comme un perroquet. L’oracle est en rupture avec le savoir dominant pour un savoir qui a l’air de peu d’importance à savoir que quand Socrate va consulter un petit artisan le savoir sera différent de celui qui est interrogé sur un plan politique. Socrate dirait qu’il y a un abîme en toi de la jointure du savoir réel et du savoir imaginaire. L’ignorance n’est pas grave, c’est le savoir imaginaire qui est terrible.
Se connaître amène à être disponible pour l’imprévu, pour une Rencontre qui évite de se retrouver soi-même.
--) Est-ce que la quête spirituelle peut modifier notre rapport à la réalité ? C’est certain. Des spiritualités il y en a beaucoup ; j’en ai choisi une car elle était contemporaine de Caravage, celle des jésuites et aussi car exemplairement marquée par les exigences de la méthode. Il n’y a pas de spiritualité sans méthode, sans un certain rapport réaffirmé du lien noué avec le monde pour mieux s’en séparer, le modifier et en faire usage. Mais en fait il n’ya pas de règles du lien : apologue : St jean de la Croix ne veut pas du perdreau par ascétisme et Ste Thérèse d’Avila en prend pour la plus grande gloire de Dieu. L’un et l’autre ont raison… c’’est l’heure ou ce n’est pas l’heure … éviter les excès, la vanité…Le petit coup de pouce change la réalité, le rapport à la réalité ; l’essentiel est d’être libre, dépris, de jubiler, de ne pas être captif de nos appareils contemporains, type Ipad. Le danger en est de rendre aveugle, insensible. Platon recommande de faire un écart évitant d’être rivé à l’image.
--) Je vous ai entendu dire que vous sembliez être étonné que le reflet de Narcisse soit celui de Narcisse mort. N’est-ce pas normal puisque, dès qu’il se voit, il doit mourir : Narcisse se voit à l’instant T et dans l’instant T2 il est mort? D’abord tous ne sont pas d’accord pour penser que la tête du reflet est une tête morte ; c’est en tous cas une tête plus vielle que celle du vrai Narcisse. S’il se voit mort c’est qu’il va mourir. Ovide dit qu’il dépérit, il perd sa forme, c’est un raccourci de peinture.
--) Et si Narcisse était une femme ? Bonne question, comment répondre ? Il est dit que Narcisse plaisait aux hommes comme aux femmes ; il est androgyne en tous cas. Pourquoi pas ?
Sixième séance: mardi 18 mai 2010 à 20H30
ENTRE PEINTRES ET REGARDEURS:
Conférence exposition de peintres
Introduction
Nombreux sont les peintres qui ont accepté d’exposer ici et maintenant, c'est-à-dire dans les suites de l’entretien de Patrice Loraux. Patrice Loraux, en avril, nous a fait étudier le tableau du Caravage, le Narcisse, selon les critères de son contemporain le fondateur des Jésuites, Ignace de Loyola dans son « Itinéraire spirituel ». Loyola aurait apprécié ce tableau, qu’il n’a pas pu voir en fait, mais il aurait levé les bras au ciel en voyant Narcisse tellement captivé par sa propre image et capturé dans le cercle de ses bras, qu’il en meurt … alors que s’il avait ouvert ses bras vers les bras du Christ, ou au moins vers ceux d’un autre que lui, il aurait échappé au piège mortel du narcissisme.
C’est cette ouverture à l’autre, ou à l’Autre, que nous avons voulu rechercher en faisant se rencontrer peintres et regardeurs.
Nombreuses sont les expositions de peintres à Versailles, qu’apportera de plus celle du Centre Huit ? Elle apportera, en plus de l’image et du regard sur la peinture, une écoute de la parole puisqu’il y aura des échanges verbaux sur maintes questions entre peintres et regardeurs.
Nous sommes des invités à ce partage, que nous soyons peintres ou regardeurs (Il y a des regardeurs comme il y a des auditeurs).
Commençons par les peintres :
Pourquoi expose- t’on ? Pour deux raisons possibles : l’argent et le regard de l’autre.
L’argent, c’est souvent une raison, voire une nécessité … mais ce peut être une raison évoquée pour en cacher une autre : en effet le regard de l’autre est un risque auquel on s’expose ; exposer c’est s’exposer. Le peintre se confronte alors au regard d’un autre et se confronte donc à lui-même ce qui n’est pas rien ! C’est le danger mais aussi la richesse de la rencontre.
Le danger que l’on craint vient du fait qu’il est deux regards et qu’ils se confrontent : un regard extérieur et un regard intérieur.
Le regard extérieur interpelle : que va penser de ma peinture cet individu que je ne connais pas, qui ne connait peut-être rien de la peinture … ou qui en est un professionnel … et en qui je dois reconnaître, quelque soit sa culture, le droit à la regarder, même si sa vision n’est pas la même que la mienne ?
C’est tellement interpellant que souvent on préfère se dire que l’on peint pour soi et que l’on n’en a rien à faire du regard de l’autre : c’est ce que l’on appelle de la dénégation, voire du déni inconscient.
Le regard intérieur existe quand même : c’est celui que l’on n’ose affronter quand on doute ou bien celui que l’on peut affronter devant sa glace quand on a le sentiment de l’œuvre accomplie. C’est l’exigence du peintre pour lui-même, son éthique de peintre. Même si l’on croit qu’il n’y aura jamais de regardeur il y aura toujours ce regard intérieur, « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».
La richesse que l’on espère vient de la rencontre, rencontre du peintre et de celui qui regarde, rencontre de deux émotions. De cette rencontre peut naître une joie qui est un supplément de vie.
Pour cela le peintre doit savoir qu’il n’est qu’un ouvreur de chemin, il présente une porte, il ouvre une voie mais laisse, modestement, à l’autre toute liberté de s’y engager… de cela il est responsable.
Néanmoins, et là c’est un cheminement, il doit être tout entier dans son œuvre, faire silence, arrêter de penser pour que son moi profond puisse exprimer sa nécessité intérieure, fermer les yeux pour sa vision intérieure, voir le monde avec un « respect amoureux », respect afin de ne pas projeter ses préconçus et amoureux car sans amour, sans émotion, que pourrait-il dire, offrir et partager ? Il doit être sincère, authentique, exprimant sa nécessité intérieure, son éthique de peintre … C’est cette aspiration à l’infini que nous appelons spiritualité. Le peintre doit « être » : c’est un vivant.
Le peintre doit donc cheminer mais doit-il se dépasser ou se laisser dépasser ? On arrive là à une question métaphysique : le peintre est-il seul face à lui-même et puise t’il en lui, en son seul « être », les ressources disponibles (théorie de l’immanence) ? … ou accepte t’il d’être dépassé, dépassé non pas tant par les conseils plus ou moins avisés des regards extérieurs, mais par une transcendance qu’elle soit la nature, une puissance supérieure ou Dieu ? Mais c’est là quand même un regard extérieur.
Immanence ou Transcendance ? Ce choix est-il simple ? N’est-on pas en oscillation entre ces deux conceptions come l’on est en oscillation entre le doute et la croyance ?
Mais c’est par l’acceptation de cette oscillation, de ce regard extérieur, par l’humilité de cet ouvreur de chemin pour l’autre, que le peintre échappera au narcissisme qui l’enferme.
Alors pourquoi peint-on ?
Le peintre dit souvent qu’il peint car il ne peut faire autrement, qu’il éprouve la peinture comme une obligation et pas toujours comme une obligation plaisante. On peut quand même penser qu’il peint pour s’exprimer.
Mais pourquoi s’exprimer ? Pour être reconnu. Reconnu par qui ? Par lui-même devant la glace au risque de Narcisse ou par un autre au risque d’être jugé, jaugé ? Ou les deux en oscillation ? Et reconnu comme quoi ? Comme un bon artisan qui possède une solide technique ou comme un artiste à l’imagination créatrice ? Ou les deux en oscillation ?
Il peut exprimer sa pensée inconsciente quand, sans y penser, il compose le tableau, pose ses formes et ses couleurs .. mais aussi sa pensée consciente quand il réfléchit à ses choix ; d’ailleurs, quand on peint, on oscille entre le spontané et le réfléchi, mais c’est le spontané, voire la spécificité du couple spontané / réfléchi, qui fait le style propre du peintre.
Alors pourquoi la peinture comme mode d’expression ? Il est difficile de savoir d’où vient ce choix … sans doute d’un talent particulier, sans doute d’un intérêt pour le voir plus que pour l’entendre.
Mais toujours s’exprimer c’est s’ouvrir à un autre.
Qu’en est-il du regardeur ?
N’y a-t-il pas prétention à dire ou à penser « je trouve ça beau » ? Qu’est-ce que le beau ?
Le « Je » peut trouver ça plaisant : cette toile me plait, elle me fait plaisir. Mais le « Je » peut-il dire le beau ?
Il faut laisser la toile parler, nous parler ; c’est elle qui va nous dire si elle est belle ou simplement plaisante. Pour cela il nous faut l’entendre quand elle parle. Souvent on ne l’écoute pas et on se contente du plaisir qu’elle nous donne.
Pourtant quand on l’entend elle ne nous donne pas seulement du plaisir mais de la joie, pas seulement le plaisir passif mais aussi la joie dynamique de la compréhension et donc du partage (com-préhension).
Comment donc l’écouter et l’entendre ? Il faut souvent du temps pour que la toile parle et l’on est toujours si pressés ; il serait bon de s’asseoir et de prendre son temps. Il faut aussi de l’espace, prendre du recul, avancer, reculer, changer d’angle de vue. Il faudrait faire silence, abandonner préjugés et traditions, faire le vide en soi, vide médian du Tao pour l’harmonie du Yi et du Yang, fermer les yeux pour enfin voir la toile que l’on regarde !!
Ainsi passe t’on du plaisir à la joie ou encore d’Eros à Agape en se dessaisissant de soi, en s’ouvrant à l’autre et à la vie … Alors la toile nous parlera et nous entendrons le chant de la vie.
Bien sur quand on dit qu’une toile, cet objet inerte, nous parle, c’est une façon de parler, là aussi… mais c’est plus commode que de parler de notre sensibilité, de notre inconscient. Pourtant le regardeur, s’il veut aller à la rencontre de l’autre, se doit de s’oublier lui-même pour s’ouvrir à ce que l’autre lui offre… sans cesser d’ « être » lui aussi un vivant.
Deux vivants sont source de vie ! Ce pourquoi la rencontre proposée, à laquelle vous êtes invités, peintres et regardeurs, est « cadeau », chemin de spiritualité.
Septième séance: Jeudi 17 juin 2010 à 20H30
Psychanalyse et Peinture, deux exercices spirituels croisés ?
Philippe LEMANT
INTRODUCTION
Permettez moi d’abord de remercier ceux qui m’ont aidé tout au long de ce cycle Peinture et Spiritualité : le Centre-Huit, Fernando, notre gardien, Pierre Thierry-Mieg, notre président … Olivier Mérijon, le maitre de l‘atelier de peinture et l’inspirateur de nos débats ; merci aussi à vous qui avez eu l’abnégation de sacrifier un match de foot de la coupe du monde pour venir écouter un psychanalyste.
Tout au long de ce cycle P & S nous avons cherché comment s’articulent l’écoute de la parole et le regard sur la peinture.
D’abord en conflit, juifs et protestants plutôt iconoclastes, catholiques plutôt iconophiles mais en fait l’opposition n’est pas aussi tranchée.
Ensuite nous avons essayé d’écouter ce qu’étaient les ex-voto tout en regardant s’effectuer un ex-voto sous nos yeux.
Puis comment voir l’invisible de la parole en regardant cette fois non pas un tableau mais la reproduction photographique de la transversale absente et pourtant visible de la croix de l’église Notre Dame de l’Espérance.
Après cela nous avons cherché ce qu’une toile avait à nous dire en regardant les œuvres de deux peintres contemporains.
Le philosophe Patrice Loraux nous a amené à entrer par le regard dans un tableau (Le Narcisse du Caravage) avec les mêmes critères que l’on entre dans la foi par l’écoute selon les exercices spirituels d’Ignace de Loyola.
La dernière fois nous avons fait dialoguer ceux qui parlent par la peinture et ceux qui écoutent ce que l’image a à nous dire.
Aujourd’hui Jean-Michel Louka, psychanalyste, va nous montrer comment intervient l’inconscient dans cette articulation du regard et de l’écoute … Regarde t’on avec la tête ou avec le cœur et quand on écoute est-ce avec la tête ou avec le cœur ? Est-ce que le peintre peint avec sa tête ou avec son cœur ? Adhère- t’on à la foi avec la tête ou avec le cœur ?
Jean-Michel Louka va tenter de nous le montrer car la parole du psychanalyste est comme la parole de Dieu … « énigmatique » … Ce, afin de chercher les réponses par nous-mêmes.
Jean-Michel LOUKA
La psychanalyse (et son psychanalyste), discipline de la parole, du sujet et du désir, n’est cependant pas sans questionner, à travers la peinture (et son peintre), le regard. En retour elle se laisse elle-même bien volontiers interroger à partir de celui-ci, au moyen de l’image, du tableau qui, en somme, lui aussi,…la regarde.
Nous allons essayer, un tout petit peu, d’approcher comment discipline de la parole (la psychanalyse) et discipline du regard (la peinture) paraissent s’entretenir mutuellement d’un constant renvoi de l’image au son, de l’œil à l’oreille, de l’Autre au Sujet, dans un exercice de l’esprit propre à chacune.
En 1982, dans son cours sur L’herméneutique du sujet , Michel Foucauld lançait en direction de tous les psychanalystes une proposition qui attend toujours son effet. Leur disant que la psychanalyse n’avait pas su se penser « dans […] l’existence de la spiritualité et de ses exigences ». Ainsi, laissait-il entendre, elle se serait oubliée, perdue, à partir de ce qu’elle est en fait réellement : une expérience spirituelle, au moyen de laquelle, et par le biais d’un autre, le sujet opère sur lui-même les justes transformations nécessaires pour le faire accéder à sa vérité. Rien de moins. Rien de plus non plus. Seul Lacan, ajoutait Foucauld, n’aurait pas participé de cet oubli.
Mais, ceci, nécessitait une condition… Qu’exit la fonction psy, nommée telle par Michel Foucauld le 9 janvier 1974 dans Le pouvoir psychiatrique . Car la psychanalyse n’a au fond que faire de ce radical « psy », qui court de la psychiatrie à la psychologie en passant par la psychothérapie. La psychanalyse n’est pas une psychologie et n’appartient pas à la médecine. De plus, ajoutait Lacan, dans la psychanalyse, il n’y a rien à « psychothérapier ». Elle n’est pas non plus un art, ni le psychanalyste un artiste. Elle n’est pas une religion, malgré parfois certains penchants. Moins encore une magie malgré parfois quelques apparences aussi. Ni science (au sens actuel), ni délire (on l’espère), ni religion, ni magie, la psychanalyse ne participe pas - ou ne devrait pas participer - de et à la fonction psy. Son statut serait plutôt, plus précisément, celui d’un exercice spirituel et devrait ainsi être renommée « spychanalyse » , comme le disent d’ailleurs spontanément les enfants et les gens dits peu cultivés. Ce qui ferait y entendre un autre radical que le radical de la « fonction psy », le radical « spy », le « spi » du spirituel.
La psychanalyse a dû, dès son départ, tenir compte des effets de l’image sur les sujets, les « parlêtres » comme les appellera un dénommé Jacques Lacan. Ces effets ont interrogé Freud. Ils relèvent souvent de l’énigme et engendrent la perplexité. L’art - et la peinture tout spécialement, s’en empare dans ses créations pour atteindre le spectateur dans son intimité ; la psychanalyse, quant à elle, cherche à les éclairer. Dans les deux cas, l’une allant vers l’autre, et réciproquement, elles se croisent au sein de que l’on peut appeler une ouverture à l’Autre. Elle y est notamment conduite, nommément la psychanalyse, lorsqu’il apparaît que l’image est une source de souffrance : le névrosé ordinaire, c’est-à-dire vous et moi, le psychotique, c’est-à-dire le fou, peuvent souffrir, dans des circonstances précises, de l’image qui, alors, le fascine ou le persécute.
Dans La Science des rêves, Freud élabore la théorie et la clinique d’un sujet humain clivé, que Lacan appellera divisé : dans son sommeil, le dormeur est soumis à une véritable passion des images – passion voulant dire ici joie mais aussi souffrance, voire torture et persécution -, dont son inconscient et son préconscient sont pourtant bien les organisateurs. La rédaction de ce livre inaugural de Freud, véritable acte de naissance de la psychanalyse, qu’il aura voulu faire paraître en 1900, n’est-elle pas contemporaine, au tournant du siècle, de l’invention du cinéma par les frères Lumière ? Contemporaine aussi d’une révolution, également, dans la peinture, l’expressionnisme, qui privilégie la subjectivité et l’intensité de l’expression, la libération pulsionnelle des émotions, l’exacerbation de la couleur, l’écriture libre, le rejet des tabous, le refus du réalisme objectif, l’expression de l’élan vital en tant qu’énergie,… et dont un Edvard Munch, le peintre de l’angoisse et de la mort est un précurseur (voir l’exposition toujours actuelle à la Pinacothèque de Paris, sous le signe ou la consigne de toute l’œuvre,… sauf Le cri !). Jusqu’à l’art abstrait (l’abstraction géométrique ou conceptuelle ; l’abstraction lyrique ou gestuelle), la peinture non figurative, ou encore le cubisme d’un Picasso, d’un Braque, etc. ?
L’interprétation du rêve est censée remonter dans les méandres et les rouages de sa production qui peine souvent, à l’instar d’un travail réel dit « travail du rêve » (le travail du rêve, c’est la transformation des « pensées latentes » du rêve, - en termes modernes et lacaniens, du « désir inconscient » que véhicule le rêve, en « contenu manifeste », ce qui vous en reste quand vous vous réveillez, souvent des bribes, des éléments apparemment absurdes, arrangés d’une manière telle qu’ils sont incompréhensibles : à ce stade la censure a bien fait son travail pour protéger votre moi). Le travail du psychanalyste vise à soumettre l’image à l’écriture retrouvée des pensées du rêve que cette image représente. C’est l’écriture qui intéresse le psychanalyste, afin de lire ces « pensées » avec son analysant et ainsi lui permettre de se les réapproprier. Mais la représentation n’est pas toujours et systématiquement l’image et l’image n’est pas toujours et systématiquement représentation. Re-présenter, c’est présenter à nouveau, tel le sujet dont Lacan dit qu’il est représenté par un signifiant, pour, non pas un autre sujet, mais représenté pour un autre signifiant. Un signifiant, c’est la matière sonore d’un mot : si je vous dis « lai » qu’allez-vous entendre ? Quelle image acoustique allez-vous retenir ? S’agit-il, pour vous, de « laid » la laideur ? De « lai » comme on dit frère de lai ? De lait, le lait de vache ou de chèvre ? Vous entendrez ce que vous voulez, selon vos préoccupations personnelles plus ou moins inconscientes. Il faut écrire cette matière sonore en un mot orthographié, ici, dans la langue française, pour arrêter l’ambiguïté, l’équivoque. Ainsi, le sujet, sans jamais être substantivé, sans jamais être représenté par un substantif grammatical, tel un furet court d’un signifiant à l’autre, bien que restant parfaitement sans image. Alors que l’image est plutôt du côté de la fixité, de la permanence. Un ambassadeur, illettré et stupide – cela peut arriver -, peut très bien représenter son pays, à condition qu’il fasse tenir l’image de ce dernier dans un apparat qui sied à celui-là, le pays d’origine, pour celui-ci, son pays d’accueil. L’image, on le voit, dans le rêve semble donc être, in fine, serve du logos, au service de, mais d’une servitude frappée d’un certain archaïsme : le rébus du rêve, - le rêve est assimilé par Freud à un rébus, donc à décrypter -n’est-il pas comparé aussi par Freud aux hiéroglyphes ? A dé-chiffrer comme tel.
Lacan construira un autre modèle, un autre paradigme pour la psychanalyse que Inconscient – Pré-Conscient/Conscient (1ère Topique freudienne) ou Moi-Ça-Surmoi (2è Topique) -. Il introduit dans la psychanalyse un paradigme ternaire (Freud était resté entre binaire et ternaire) : RSI, Réel, Symbolique et Imaginaire. Le Symbolique c’est le champ de la parole et du langage, le Réel c’est l’impossible, impossible à imaginer, impossible à symboliser, à attraper avec le signifiant, le langage. Enfin, l’Imaginaire, c’est le domaine de l’image et de sa puissance aujourd’hui dominante, c’est-à-dire du moi et de son renforcement, du narcissisme, de la présentation de soi et de la représentation aussi, quand on dit que l’on est « en représentation » -. Et il introduira aussi deux termes non freudiens, la vérité et le sujet, qui fleurent bon la question spirituelle. C’est ainsi que Lacan se servira de celui-ci pour parfaire les interprétations de Freud concernant certains rêves, tel celui, célèbre dit communément de la triméthylamine : il reprend, avec ces trois catégories RSI ce rêve longuement analysé par Freud et intitulé « l’injection d’Irma ». Freud avait rêvé qu’à une réception il reproche à une patiente de ne pas avoir accepté sa « solution ». Devant ses douleurs, il prend peur et se demande s’il n’a pas laissé échapper un symptôme organique. Il veut l’examiner et elle manifeste sa résistance. Divers collègues sont là et donnent leur avis. Freud voit au fond de la gorge d’Irma « de larges escarres blanc grisâtre ». L’infection vient d’une injection faite par un collègue et ami, Otto, d’une préparation de triméthylamine, vraisemblablement avec une seringue souillée. Ici le niveau imaginaire est celui de la rivalité (l’erreur a été faite par un collègue, ouf !), le Réel du corps se trouve approché malgré la résistance pudique d’Irma, quant au Symbolique, c’est celui de la lettre : Freud voit la formule chimique de la triméthylamine, produit de la décomposition du sperme, - la scène est manifestement à évocation sexuelle -, formule écrite devant lui en caractères gras, ce qui sans doute représente, c’est une image, une façon de ne pas en rester, dans le rêve, à l’horreur de la rencontre avec le Réel de l’ouverture du corps, la gorge d’Irma, offerte au regard du médecin, mais aussi, au-delà, de l’homme Freud.
Comme on le voit, dans la psychanalyse, c’est la pensée et finalement le langage (la lettre) qui dépassent l’image et vont la dominer. Seul le sujet, dans sa foncière « stupidité » comme s’exprime Lacan, la regarde avec fascination, sans rien y comprendre jusqu’à ce que le sens du rêve lui soit révélé par le travail analytique (analysein, dénouer). Ce sens, notons-le, ne s’atteint que par les mots, la parole qui, en quelque sorte, dé-fixe alors l’image.
Cependant, on trouve aussi chez un Freud une autre attitude, un rapport tout différent à l’image, opposé au précédent, où le découvreur de l’inconscient se montre touché par une image dont le sens se dérobe plus longtemps que celui du rêve. Cette image, en quelque sorte, le regarde. Cette passion-là commence déjà quand Freud s’intéresse au « souvenir-écran » ou plutôt comme disent les nouvelles traductions plus littérales le « souvenir-couverture » , qui égare le sujet par le caractère outré de certains détails, - le jaune en relief des pissenlits, le goût délicieux du pain, détails qui trahissent par la satisfaction quasi hallucinatoire qu’ils procurent la falsification tendancieuse qui les a créés pour les substituer aux impressions choquantes ou désagréables refoulées. Pour Freud c’est un fantasme inconscient transformé en souvenir à partir d’une trace mnésique réelle qui va à sa rencontre. Ce type de souvenir se réduit le plus souvent à une scène, dans laquelle s’introduit le sujet, c’est donc aussi une image, qui en plus peut très bien faire « tableau », une scène qui fait écran à quelque chose d’essentiel situé derrière, pressentie mais inatteignable sans le concours du verbe mis en œuvre dans les associations les plus libres. C’est donc une image, ici, qui résiste un peu plus qu’un rêve à son déchiffrage. Lacan caractérisera le souvenir-écran comme un « arrêt sur image » cinématographique et le mettra dans un rapport structural avec le fétichisme.
Plus coriace encore, cet autoportrait de Luca Signorelli, le peintre du Jugement dernier, fresque que Freud avait visitée dans le Duomo d’Orvieto. Son oubli du nom du peintre lors d’un voyage en Dalmatie contraste d’une façon étrange avec la luminosité d’une parcelle des fresques qui semble le narguer, comme si l’image gardait ici le dernier mot, ne voulant pas céder à la révélation des mots situés derrière, voire en ce cas d’un nom propre. Mais, plus Freud avance dans son œuvre, plus il est attiré par des peintures ou par des sculptures qui renferment un message qui lui échappe. Ainsi son interprétation trop subjective voire symptomatique du Moïse de Michel-Ange ne cesse d’être réfutée par les historiens d’art. En avançant que Michel-Ange avait voulu représenter un Moïse capable de maîtriser ses affects et pulsions, en qui l’esprit l’emporterait sur la matière, Freud anticipe sur son propre Moïse, fondateur du monothéisme juif et sur l’aversion des images comme la condition d’une spiritualité exceptionnelle reconnue aux Juifs. N’est-ce pas ici la réponse radicale de Freud à la force envoûtante de l’image ? Miser sur le vif des mots pour se désenvoûter de la fixité mortifère de l’image.
Au point où nous en sommes, l’on a d’une part, l’image dont le sens se laisse dévoiler même s’il se soustrait d’abord au sujet comme dans le rêve ou d’autres formations de l’inconscient et, d’autre part, l’image qui excède le discours, qu’elle soit porteuse des effets esthétiques les plus divers ou productrice de symptômes qui laissent les sujets bouche bée, muets de stupeur. C’est bien à propos de cette dernière que l’on parle de la force envoûtante de l’image. C’est de celle-ci encore que sont nés les conflits autour de la peur des effets passionnels qu’elle entraîne potentiellement sur les sujets. Le plus célèbre des conflits, la plus connue des controverses, s’est appelée, en Orient puis en Occident, la querelle des images, les divers iconoclasmes qui ont eu lieu dans le judaïsme, le christianisme byzantin, puis catholique en Occident, puis protestant, mais aussi dans le monde musulman.
Le rêve montre, mais, plus généralement, l’image donne aussi dans l’injonction de voir, sans qu’il soit toujours possible de déterminer le destinataire de cette injonction. Les recherches sur la dévotion chrétienne devraient à cet égard apporter des enseignements riches de paradoxes et de surprises. L’image se fait le vecteur de toutes sortes de volontés religieuses ou politiques. Elle a aussi la fonction d’assouvir la pulsion, ne serait-ce que partiellement et momentanément, faisant partie des montages qui la supportent. Une image peut ainsi, par exemple, véhiculer les impératifs du surmoi « obscène et féroce » (comme le dit Freud) – la jouissance masturbatoire quasi obligatoire suggérée impérativement par les sites pornographiques sur Internet en est un exemple -, et contribue quelquefois à cette inflation visuelle qui nous rend, paradoxalement… aveugle ! (Pas sourd, comme le croyait nos grands-mères !)
Ainsi l’image peut se trouver fonctionner comme pur signifiant, c’est-à-dire comme représentant le sujet peignant pour un autre signifiant : dans un tableau comme Le cri d’Edvard Munch, que l’on abordera plus loin, le cri représente le sujet (Edvard Munch ?) pour le silence. A l’inverse, le signifiant ne peut être rencontré, dans un premier temps, que comme effet de signifiant, c’est-à-dire le signifié sous sa forme de pure image, dans une bulle à part de la bande dessinée, un paysage, par exemple, évoqué par le dire d’un personnage, ou bien le sourire de Mona Lisa, image énigmatique qui fera parler durant plusieurs siècles après, donc produire à nouveau des signifiants à partir d’une image muette. L’image du sourire de Mona Lisa est le signifié (l’image de sa personne) là ou « La Joconde » est le signifiant articulé par Léonard peignant, le représentant, lui, Léonard, pour un autre signifiant, Mona Lisa. Raison pour laquelle, il ne pourra jamais se défaire de ce tableau, le remettre à Mona Lisa, car sans doute par trop révélateur de ce qu’il énonce et révèle de son énigmatique désir inconscient de sujet.
Psychanalyse et peinture ont ainsi bien des liens, et la seconde a de multiples raisons de se méfier de la première qui lit (du verbe lire) en elle, c’est-à-dire interprète, mais lie aussi (du verbe lier) à travers elle deux ouvertures à l’Autre, inconciliables assurément, quoique…
Il y a, donc, bien de quoi se méfier de la psychanalyse… C’est ce que fait, entre mille autres artistes, un Magritte…
René Magritte, à la question personnelle à lui adressée : « Pourquoi une telle méfiance envers la psychanalyse ? », répondît : « Elle ne permet d’interpréter que ce qui est susceptible d’interprétation. L’art fantastique et l’art symbolique lui offrent de nombreuses occasions d’intervenir : il y est beaucoup question de délires plus ou moins évidents. L’art tel que je le conçois est réfractaire à la psychanalyse. Il évoque le mystère sans lequel le monde n’existerait pas, c’est-à-dire le mystère qu’il ne faut pas confondre avec une sorte de problème, aussi difficile qu’il soit. Je veille à ne peindre que des images qui évoquent le mystère du monde. Pour que ce soit possible, je dois être bien éveillé, ce qui signifie cesser de m’identifier entièrement à des idées, des sentiments, des sensations. Le rêve et la folie sont, au contraire, propices à une identification absolue. Personne de censé ne croit que la psychanalyse pourrait éclairer le mystère du monde. Elle n’a rien à dire, non plus, des œuvres d’art qui évoquent le mystère du monde. Peut-être la psychanalyse est-elle le meilleur sujet à traiter par la psychanalyse. »
Sans doute, et c’est ce qu’elle fait de toujours, mais pourquoi ne s’interrogerait-elle pas, elle aussi, sur le mystère du monde ? La science, la religion et…les oeuvres d’art ne le font-elles pas sans entraves ?
***
Nous allons nous intéresser plus particulièrement au Cri d’Edvard Munch, que Lacan commente dans son séminaire de 1964-1965, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse à la séance du 17 mars 1965 et où il s’agira, en fait, pour vous résumer le propos, du « cri de la demande » et du « silence du désir ».
Déjà, toujours pour mieux vous faire sentir cette réciprocité, cet exercice croisé entre le tableau-regard (le tableau est regard) peignant, je dis cela comme ça, car le tableau semble aussi se peindre, s’imprimer en l’Autre, y pénétrer activement, et son spectateur regardé-œil regardant (comme lieu d’impression du tableau) se projette et s’introduit en lui comme le sujet dans le souvenir-écran, à la séance du 4 mars 1964 de son séminaire Les fondements de la psychanalyse , Lacan énonce ceci :
« Sans doute, au fond de mon œil, se peint le tableau. Le tableau, certes, est dans mon œil. Mais moi, je suis dans le tableau. »
Lacan ne se livre jamais, comme le faisait Freud, à une psychanalyse appliquée. Il se laisse enseigner par ce que le montage du tableau révèle de la représentation du sujet. Il n’effectue donc jamais aucune psychobiographie. Cependant les dires du peintre peuvent entrer en résonnance avec sa composition. Un bon exemple, ici, serait celui du point ou du point-tache de « la tache rouge » de Wassily Kandinsky peintre et théoricien de la peinture, Kandinsky qui, par ailleurs, crût fermement en l'avènement d'un monde totalement spiritualiste, en opposition au rationalisme ou au cartésianisme. Lacan, lui, insiste sur la préséance du regard, le sujet étant représenté sous ce regard.
A la séance du 19 février 1964 de son séminaire Les fondements… (1964) , Lacan énonce :
« Dans notre rapport aux choses, tel qu’il est constitué par la voie de la vision, et ordonné dans les figures de la représentation, quelque chose glisse, passe, se transmet, d’étage en étage, pour y être toujours à quelque degré éludé – c’est ça qui s’appelle le regard.
Pour vous le faire sentir, il y a plus d’un chemin. L’imagerai-je, comme à son extrême, d’une des énigmes que nous présente la référence à la nature ? Il ne s’agit rien de moins que du phénomène dit du mimétisme.
Là-dessus, beaucoup a été dit, et d’abord beaucoup d’absurde - par exemple que les phénomènes du mimétisme sont à expliquer par une fin d’adaptation. Ce n’est pas mon avis. Je n’ai qu’à vous renvoyer, entre autres, à un petit ouvrage que beaucoup d’entre vous connaissent sans doute, celui de Caillois intitulé « Méduse et compagnie », la référence adaptative est critiquée d’une façon particulièrement perspicace.
Et pour tout dire, comme le rappelle Caillois avec beaucoup de pertinence, s’agissant de telles manifestations mimétiques, et spécialement de celle qui peut nous évoquer la fonction des yeux, à savoir les ocelles, il s’agit de comprendre si ils impressionnent - c’est un fait qu’ils ont cet effet sur le prédateur ou la victime présumée qui vient à les regarder – si ils impressionnent par leur ressemblance avec des yeux, ou si au contraire, les yeux ne sont fascinants que de leur relation avec la forme des ocelles. Autrement dit, ne devons-nous pas à ce propos distinguer la fonction de l’œil et celle du regard ?
Cet exemple distinctif, choisi comme tel – pour sa localité, pour son factice, pour son caractère exceptionnel – n’est pour nous qu’une petite manifestation d’une fonction à isoler – celle, disons le mot, de la tache. Cet exemple est précieux pour nous marquer la préexistence au vu d’un donné-à-voir. J’entends,[…] que nous sommes des êtres regardés, dans le spectacle du monde. Ce qui nous fait conscience nous institue du même coup comme speculum mundi. N’y a-t-il pas de la satisfaction à être sous ce regard […], ce regard qui nous cerne, et qui fait d’abord de nous des êtres regardés, mais sans qu’on nous le montre ?
Qu’est-ce à dire ? – sinon que, dans l’état de veille, il y a élision [c’est-à-dire suppression ] du regard, élision de ceci que, non seulement ça regarde, mais « ça montre ». Dans le champ du rêve, au contraire, ce qui caractérise les images, c’est que « ça montre » ».
Juste notation clinique de Lacan : quand je rêve, les images, activement, ça montre, en effet,…et je regarde pour m’interroger : que puis-je y comprendre de ce que ça (me) montre ? Alors qu’à l’état de veille, lors d’une exposition, certains tableaux exposés ça me regarde, donc je regarde le tableau, mais jusqu’à oublier, qu’aussi, ça montre !
Cependant, interrogeons-nous, comment cela lui vînt, à lui, Edvard Munch, cette histoire du cri dont il fait tableau ? Dans son Journal daté de Nice, le 22/01/1892, Munch écrit comme un poème :
« Je me promenais avec deux amis / le soleil se couchait / J’éprouvais comme une bouffée de mélancolie / Soudain le ciel s’enflamma d’un rouge sang / Je m’arrêtai, appuyé à la balustrade las à en mourir / regardai les nuées qui flamboyaient comme du sang et des épées / au-dessus du fjord d’un bleu sombre et de la ville / Mes amis s’éloignèrent / je restai tremblant d’angoisse / et je perçus comme un long cri sans fin traversant la nature
il arriva qu’un homme, me demande ce que je pensais de cet air / cela ressemble à une couverture sanglante / C’était pour rendre un état d’esprit déchiré / éprouvé par un être humain à un certain instant / Dans cet état d’esprit l’air lui paraissait à l’heure du soleil couchant / comme une masse sanglante oppressante / qui pesait sur son nerf optique altéré par la nervosité et l’angoisse / En peignant l’air et le paysage tels qu’il les voyait lui et à ce moment-là / j’exprimai son état d’esprit / Sans la peur et sans la maladie, ma vie serait comme un bateau sans rame.
Lorsque je me promène au clair de lune, entre ces œuvres anciennes recouvertes de mousse dont chacune m’est maintenant parfaitement connue, je m’effraie au spectacle de ma propre ombre. Une fois la lumière allumée, je vois tout à coup mon ombre énorme, qui s’étend sur la moitié du mur et monte jusqu’au plafond. Et dans le grand miroir suspendu au-dessus du poêle, je me vois moi-même, ma propre face de revenant. Et je vis avec les morts, ma mère, ma sœur, mon grand- père et mon père, surtout avec lui. Tous les souvenirs, jusqu’aux plus petites choses, remontent.
En vérité, mon art est une confession que je fais de mon plein gré, une tentative de tirer au clair, pour moi-même, mon rapport avec la vie. C’est au fond une forme d’égoïsme, mais je ne renonce pas à espérer qu’avec son aide, je parviendrai à aider d’autres gens à se comprendre. »
Autrement dit, il s’agit bien ici d’un exercice spirituel… !
Lacan, dans son séminaire Problèmes cruciaux pour la psychanalyse , à la séance du 17 mars 1965, va dire :
« […] j’espère que l’objet, que j’ai fait tout à l’heure circuler dans vos rangs, à savoir la reproduction du tableau célèbre d’Edvard Munch qui s’appelle Le cri, est quelque chose, une figure qui m’a semblé propice à, pour vous, articuler un point majeur, fondamental sur lequel beaucoup de glissements sont possibles, beaucoup d’abus sont faits et qui s’appelle : le silence.
Le silence, il est frappant que, pour l’illustrer, je n’ai pas trouvé mieux à mon sens que cette image, que vous avez tous vue, je pense maintenant et qui s’appelle Le cri. Dans ce paysage singulièrement dessiné, dépouillé par le moyen de lignes concentriques, ébauchant une sorte de bipartition dans le fond, qui est celle d’une forme de paysage à son reflet, un lac aussi bien formant trou est là au milieu, et au bord, droite, diagonale, en travers, barrant en quelque sorte le champ de la peinture, une route qui fuit. Au fond, deux passants, ombres minces qui s’éloignent dans une sorte d’image d’indifférence. Au premier plan cet être… cet être dont, sur la reproduction qui est celle du tableau, vous avez pu voir que l’aspect est étrange, qu’on ne peut même pas le dire sexué.
Il est peut-être plus accentué dans le sens d’un être jeune et d’une petite fille dans certaines des redites qu’en a faites Edvard Munch, mais nous n’avons pas de raison spéciale de plus en tenir compte.
Cet être, cet être ici dans la peinture d’aspect plutôt vieillot – au reste forme humaine si réduite que pour nous elle ne peut pas même manquer d’évoquer celles des images les plus sommaires, les plus rudement traitées de l’être phallique – cet être se bouche les oreilles, ouvre grand la bouche, il crie.
Qu’est-ce que c’est que ce cri ? Qui l’entendrait, ce cri que nous n’entendons pas, sinon justement qu’il impose ce règne du silence qui semble monter et descendre dans cet espace à la fois centré et ouvert ? Il semble là que ce silence soit en quelque sorte le corrélatif qui distingue dans sa présence ce cri de tout autre modulation imaginable. Et pourtant, ce qui est sensible c’est que le silence n’est pas le fond du cri. […] littéralement, le cri semble provoquer le silence, et, s’y abolissant, il est sensible qu’il le cause, il le fait surgir, il lui permet de tenir la note. C’est le cri qui le soutient, et non le silence le cri. Le cri fait en quelque sorte le silence se pelotonner, dans l’impasse même d’où il jaillit, pour que le silence s’en échappe. Mais c’est déjà fait quand nous voyons l’image de Munch. Le cri est traversé par l’espace du silence, sans qu’il l’habite. Ils ne sont liés ni d’être ensemble ni de se succéder. Le cri fait le gouffre où le silence se rue.
[…]Néanmoins ce silence, en quelque sorte dénoté dans sa fonction musicale, aussi intégré au texte que peut l’être, dans ses variétés, le silence dont le musicien sait faire un temps, aussi essentiel que celui d’une note soutenue, de la pause ou du silence, est-ce là quelque chose que nous puissions nous permettre d’appliquer seulement au fait de l’arrêt de la parole ?
Le « se taire » n’est pas le silence. « Sileo » n’est pas « taceo ».
Plaute quelque part dit aux auditeurs, comme c’est l’ambition de tout un chacun qui sait ou veut se faire entendre : « Sileteque et tacete atque animum aduortite », « faites attention », « faites le silence » et « taisez-vous »…ce sont deux choses différentes.
La présence du silence n’implique nullement qu’il n’y en ait pas un qui parle.
C’est même dans ce cas-là que le silence prend éminemment sa qualité, et le fait qu’il arrive que j’obtienne ici quelque chose qui ressemble à du silence, n’exclut absolument pas que peut-être, devant ce silence même, tel ou tel s’emploie dans un coin à le meubler de réflexions plus ou moins haut poussées. La référence du silence au « se taire » est une référence complexe. Le silence forme un lien, un nœud fermé entre quelque chose qui est une entente et quelque chose qui, parlant ou pas, est l’Autre, est ce nœud clos qui peut retenir quand le traverse, et peut-être même le creuse, le cri.»
Il est ainsi singulier de noter, précise le psychanalyste Jean-Louis Sous, « que c’est à propos de l’analyse de la demande, du creux qu’elle peut receler et de l’approche du silence en analyse que Lacan fait référence à ce tableau de Munch.
Paradoxalement, nous dit-il, ce n’est pas sur fond de silence que surgit le cri mais c’est l’effet inverse qu’il retient : c’est la portée du cri qui creuse un gouffre de silence tout autour en trouant la compacité du paysage. Le silence s’engouffre dans cette trouée, cette aspiration pulsionnelle qui passe dans le jeu de la parole entre pause, retenue, et flot de la verbalisation.»
ECHANGE AVEC LA SALLE :
PL : merci Jean-Michel ; tu as été à la hauteur d’un psychanalyste et il faudra relire ton texte car il est dense ? Ce sera possible sur mon blog « lemant-peinture-spiritualité.blogspot.com »
PL : le psychanalyste est-il un magicien ou un illusionniste qui transforme les images en mots ou du moins qui nous aide à le faire ? L’interprétation des rêves, fondement de la psychanalyse instauré par Freud, est le paradigme de cette transformation mais la psychanalyse s’adresse à des sujets et non pas à une œuvre. Nous sommes des « parl’êtres » dit Lacan, sujets de parole ; le psychanalyste peut aider à interpréter la parole d’un sujet mais pas l’image d’une œuvre. L’inconscient n’a que faire des contradictions ; sa logique, car il est logique, n’est pas la logique habituelle. Ce n’est pas une traduction mais un accompagnement.
Peut-être aurait-il été plus facile pour suivre de vous faire raconter un rêve et JM Louka vous aurait aidé à trouver les mots qui vous auraient permis d’échapper à l’incompréhension et à la fixité de l’image. Les images nous envoûtent ; poids des mots, choc des photos, disons nous aujourd’hui. C’est, donc, pour échapper à cette « force envoûtante des images » ainsi que le dit Freud, que ce dernier à parlé de l’ « aversion des images » comme condition d’une spiritualité exceptionnelle reconnue aux juifs.
Cette transformation d’images en mots est aussi ce qui se passe quand, à l’atelier de peinture d’Olivier, nous mettons des mots sur les images que les autres ont peintes … n’est-ce pas Colette, Annie, Jacques, Marie-France, Christian, Michèle, tous mes amis peintes qui sont là ?
Annie : « L’inconscient fonctionne, celui du peintre et aussi celui du regardeur. J’avais peint une toile où Philippe a vu une femme tenant un nouveau-né sur son bras alors que je n’avais pensé qu’à Mona Lisa … et voilà que ma fille venait de mettre un bébé au monde ». Intuition ou inconscient d’Annie et de Philippe ; d’inconscient à inconscient ça passe !
PL : Magritte se méfie de la psychanalyse car il veut respecter le mystère du monde, le mystère questionne et les questions font vivre. La psychanalyse peut interroger le mystère du monde mais elle ne peut l’éclairer … heureusement !
JML : La psychanalyse aide à l’interprétation pour ceux qui le demandent mais la peinture se suffit à elle-même, elle est déjà une interprétation du monde et il n’est pas besoin d’en rajouter. Ne pas faire de la psychobiographie de l’auteur même si cela a été fait.
X : la peinture est-elle une psychothérapie ? Cela peut suffire et à respecter comme telle, pour se désangoisser … mais surtout ne pas toucher à ça, sinon voir un psychothérapeute !
Xavier : au vu du tableau de Munch, le « Cri », devant cet être qui se bouche les oreilles, je pense au bruit tonitruant lors des matchs de foot de la coupe du monde. JML : le tableau a fonctionné pour toi comme un signifiant, l’image a signifié le bruit des trompettes du stade.
PL c’est le regard de Xavier qui a eu la propriété de signifier. Chacun a un regard différent sur une image et l’on a pu dire qu’il y a 6 milliards de regards sur un tableau ! C’est la confrontation de ces regards qui est enrichissant. C’est en cela, par cette ouverture à l’autre, que nous sommes sur un chemin de spiritualité.
Anne-Lise : Munch a pensé, et l’a dit, c’est l’explosion d’un volcan au Japon qui a coloré de rouge sang le ciel que Munch a peint. Faut-il y voir autre chose ? PL : question fondamentale : faut-il s’intéresser à ce qu’a voulu dire l’auteur ou à ce que nous désirons y voir ? La réponse ne m’appartient pas. Munch, qui a écrit un superbe poème sur son tableau, ne parle pas d’un volcan et il semble s’agir d’u volcan intérieur chez un homme qui se dit « mélancolique ».
X : ce tableau ne me plait pas. JML : et pourtant c’est une œuvre et ça se transmet ; il y a quelque chose qui nous touche.
X : j’ai été choqué, interpellé devant ce tableau puis j’ai cherché ce qu’il voulait nous dire. PL : émotion d’abord devant la force de l’image puis effort de réflexion pour y échapper … vous n’avez pas eu besoin d’un analyste pour faire ce travail.
PL : Est-ce un cri ou un silence que l’on ressent devant cette toile ? JML : en tous cas le couple cri / silence.
PL : comment s’articule ce couple ? Cela me fait penser au programme de l’Institut Biblique de Versailles « Le cri des prophètes » que l’on peut opposer au silence de Dieu.
La psychanalyse, tu nous l’as bien montré, est un acte spirituel.
Merci Jean-Michel de nous avoir fait avancer sur ce chemin de spiritualité, c’était le but de ce cycle. Merci
Conférence Lemant - Grand d'Esnon
Merci d'être venu cheminer avec nous dans la spiritualité.
N'ayant aucun titre à parler de la spiritualité, j'ai demandé, et eu la joie d'obtenir du nouveau pasteur de la paroisse protestante, Philippe Grand d'Esnon (un autre Philippe), une aide dans cette démarche.
Mais, comme il s'est agit d'une démarche collective, j'ai besoin de votre aide à tous.
Il y aura donc un échange après les topo des deux Philippe ... et de plus, ne partez pas avant la fin, un « verre de contact » est prévu à l'occasion de la remise solennelle de l'ex-voto au Centre-Huit par les artistes Cécile Orsoni et Laetitia Mérijon
Audio-Visuel
Regard et parole : « Ecoute voir » ... « Tu vois ce que je veux dire » ... « cette toile me parle » ... on s'emmêle les pinceaux ... ce qui pour un peintre est un comble !
Parole et image ... c'est un audio-visuel. Merci d'être venus pour cet audio-visuel ...
Néanmoins, puisqu'il s'agit d'un audio-visuel, je ne vais pas me cacher derrière pour délivrer la parole mais me montrer en même temps, double astreinte et double présomption.
l
Désireux de cheminer vers la spiritualité je me suis replongé dans la Bible, le début, la Génèse.
Il se trouve que la Bible est, elle-même, un audio-visuel ... Il n'y a plus qu'à projeter.
Vous êtes là ... dans votre fauteuil ... prêts pour la projection ...c'est le « commencement » Gn1 .. l'écran s'allume mais tout est « ténèbres » .... On n'entend que le souffle de l'Esprit planant sur les eaux...shhhhh...............Puis dans ce silence une Voix retentit « que la Lumière soit ».
Entendre et voir !! Gn3 « Dieu dit » .... Gn4 « Dieu vit » que la lumière était bonne.
Côté visuel : c'était le soir du premier jour, la journée commençant le soir, et c'est au soir que Dieu fit la lumière. ..... Remarquez que ce n'était pas la lumière qui permet de voir ... celle-ci étant crée au soir du 4ème jour ... la première lumière, Lumière avec une majuscule, est le principe divin, la force initiale, l'électricité que Dieu installe pour allumer à J4 et y voir la nuit. ...Dieu vit que la Lumière était bonne. La Lumière de J1 permet d'y voir clair dans ce qui est dit, ce qui est dit dans les Ecritures, c'est la vision que Dieu propose.
La lumière de J4, plus simplement, permet d'y voir clair dans la recherche sa clef perdue, c'est la vue dont l'homme dispose.
Distinguons le « vu » et la « vision ». La vue n'est pas la vision et le regard que Dieu porte sur sa création transforme sa vue en vision et « Il vit que cela était bon ».
Pour le peintre aussi son regard change ce qu'il voit en une vision.
Quand l'appareil de photo ne voit que ce qu'il voit, le peintre, lui, voit autre chose ; il a une vision de ce qu'il voit et c'est là que l'on voit sa personnalité.
Côté audio écoutez la bande son, ça continue « Au commencement était le verbe », la parole et Dieu n'arrête pas de dire, de dire de sa parole efficace ... quelques dires et le monde est crée. La band son continue pour nous, mais en play-back car la Parole de Dieu est inouïe, in-ouïe et ceux qui la parlent en sont les prophètes et c'est aussi la lectio divina, les cantiques et psaumes...
Oh ! Ne me dites pas que c'est une historiette inventée par une petite peuplade du Moyen-Orient !
Toutes les légendes le racontent : un super sage raconte à Gilgamesh que pour faire le déluge le dieu Adad étendit dans le ciel son silence-de-mort réduisant en ténèbres tout ce qui était lumineux ............ la parole du Pharaon était reconnue comme efficace ... et la parole de Mardouk triompha du monstre marin dans la légende d'Enouma Elish.
Et, de fait, on a tous besoin d'en entendre et de voir : raconte-moi une histoire, laisse la lumière allumée !!! J'écoute et je vois !!!
Cheminer par étapes
Raconte-moi une histoire ! Eh bien voila, nous avons cheminé par étapes.
Le cycle s'est intitulé « Peinture et Spiritualité ». Il a tourné sur Image et Parole et tout au long de ce cycle P & S nous avons cherché comment s'articulent l'écoute de la parole et le regard sur la peinture. Il s'agit d'une double approche de la spiritualité par la lecture de l'image et l'écoute de la parole. Au centre huit nous avons l'habitude de cette écoute de la parole mais peut-être une réserve quant à l'usage des images, en tous cas pour cheminer vers la spiritualité ... d'autant plus que ce centre-huit est de sensibilité protestante.
C'est pourquoi nous avons commencé par une table ronde sur le statut de l'image réunissant par ordre chronologique le monde juif représenté par Mme Mireille Mentré, le monde catholique par le père JP Allouchéry, le monde protestant par le pasteur Flemming Fleinert-Jensen.
On a cru voir d'abord un conflit, juifs et protestants étant plutôt iconoclastes, catholiques plutôt iconophiles mais en fait l'opposition n'est pas apparue aussi tranchée.
En effet rabbins et biblistes pensent un Dieu au-delà de tout, inconcevable, inimaginable et donc in-imaginable, qu'on ne peut imager !
Cela dit l'homme ayant été crée « à l'image de Dieu » serait, lui-aussi, in-imaginable ... c'est, en tous cas, ce pourquoi il se connaît si mal.
Deuxième réunion : nous avons vu, sous nos yeux fascinés, s'élaborer, sous le regard du maître de l'atelier, Olivier Mérijon, par deux jeunes peintres, un ex-voto, choisi là encore pour notre propos de spiritualité. Nous avons essayé d'écouter ce qu'étaient les ex-voto tout en regardant s'effectuer cet ex-voto sous nos yeux. Cette seconde réunion a été consacrée aux ex-voto pour que l'on voie la simplicité, la naïveté, avec laquelle l'homme établit une relation à son Dieu : la représentation simultanée de l'homme et de la divinité permet à l'homme de ne pas être enfermé sur lui-même, l'image parle pour lui sans qu'il en soit fasciné.
Troisième réunion, le pasteur Jérôme Cottin nous a permis d'aller plus loin en nous faisant voir l'invisible dans le visible, une présence par une absence, comme la transversale de la croix dans l'église Notre-Dame de l'Espérance que tous nous avons vu alors qu'elle n'existait pas ; on peut dire que l'image parle !
Quatrième réunion : nous avons cherché ce qu'une toile avait à nous dire en regardant les œuvres de deux peintres contemporains
Cinquième réunion : le philosophe Patrice Loraux nous a amené à entrer par le regard dans un tableau (Le Narcisse du Caravage) avec les mêmes critères que l'on entre dans la foi par l'écoute selon les exercices spirituels d'Ignace de Loyola.
Sixième réunion : nous avons fait dialoguer ceux qui parlent par la peinture et ceux qui écoutent ce que l'image a à nous dire.
Septième réunion avec Jean-Michel Louka, psychanalyste :
Pourquoi « diable » ai-je demandé à un psychanalyste de nous parler de spiritualité ?
Ce n'était pas si fou, finalement, puisque Michel Foucault a lancé vers les psychanalystes le reproche de n'avoir pas su se penser « dans... l'existence de la spiritualité et de ses exigences » ... et seul Lacan n'aurait pas participé de cet oubli.
Alors, en quoi la psychanalyse serait une expérience spirituelle ?
Pour deux raisons : le travail d'exégèse et l'ouverture à l'autre.
-) Exégèse : exégèse de l'image et la psychanalyse fait mettre des mots sur des images.
De même que les rabbins et autres biblistes font l'exégèse de la parole, les psy font l'exégèse de l'image.
« L'interprétation des rêves » de Freud, parue en 1900, est le fondement de la psychanalyse. Il faut remarquer que cette parution est contemporaine de celle de l'expressionisme et du cinéma des frères Lumière (Lumière !!) ... importance de l'image, poids des mots, choc des photos !
L'exégèse sert à trouver du sens à ce qu'elle décrypte. Les rabbins cherchent au moins 77 interprétations de chaque mot et les psy cherchent à dévoiler le sens caché par l'inconscient qui trompe en mettant une image à la place d'une autre (de même qu'un train peut en cacher un autre). Léonard en peignant la « Joconde » peignait en fait Mona Lisa et il est probable que le sourire qu'il lui a décerné, si énigmatique, est une image révélant, sans qu'il le sache, son désir inconscient de sujet ... et c'est, sans doute, pour cela qu'il n'a jamais voulu s'en séparer.... Exemple d'interprétation.
L'exégèse sert au sujet pour accéder à sa vérité.
-) Vérité par ouverture à l'autre : la psychanalyse est une étude de la relation, relation au père, la mère, frère ... au travers de la relation analysant / analyste, ce qu'on appelle le transfert, transfert que l'on analyse.
Pour qu'une relation soit harmonieuse il faut que « ça » circule. Le « ça » ? Inspiration, Souffle ... Le souffle peut venir de l'intérieur du sujet ainsi que le pensent les analystes athées ou bien de l'extérieur, de Dieu, pour les analystes croyants. Peu importe, pour tous il faut que ça circule. Que l'on soit un pape de la psychanalyse ou pape du Vatican « n'ayez pas peur » ! Levez vos inhibitions ! Lâchez prise !
Ainsi le psychanalyste a pris le relai du clerc, directeur de conscience.
Ce pourquoi Jean Allouch répond à Michel Foucault qu'il faut parler de « spychanalyse » ainsi que le font les enfants et les peu cultivés.
Cela dit, psychanalyse ou spychanalyse, l'analyste s'adresse à un sujet et non à une œuvre. Nous avons vu et analysé le « Cri » de Munch, cri silencieux et assourdissant en même temps, où la toile fait silence mais ne se tait pas car faire silence n'est pas se taire et cela se voit !
La psychanalyse peut, en fait, interroger le mystère de l'œuvre mais elle ne peut l'éclairer.
Elle ne peut pas, non plus, analyser le sujet peintre Munch, même si cela a été fait !!
Chemin de tête, chemin du cœur
Si c'est un cheminement par ces deux voies de l'écoute et du regard c'est aussi un cheminement par les deux voies de l'intelligence et de la sensibilité, ou autrement dit, de la tête et du cœur.
Nous avons vu que l'on peut entrer dans un tableau soit avec le cœur soit avec la tête.
Entrer dans un tableau peut être le résultat d'un coup de foudre, d'un coup au cœur, d'une émotion immédiate .... Poussin disait que « la fin de la peinture est la délectation »
René Char que « la peinture est une mise en route de l'intelligence sans le secours des cartes d'état-major ».
Plus souvent ce peut-être un mouvement lent d'analyse, de méditation, avant que le tableau se lève comme l'on dit les frères Goncourt et que rappelle Daniel Arasse.
Adhérer à la Foi peut aussi se faire soit avec le cœur soit avec la tête. On peut adhérer à la suite du chant maternel entendu sur ses genoux, quand, nouveau-né, elle chantait ses prières tout en lui donnant le sein : c'est adhérer avec le cœur ... mais on peut adhérer, approfondir son adhésion, par la lecture et la méditation des Ecritures ; c'est adhérer avec la tête.
Encore faut-il distinguer écouter et entendre ... écouter est une action volontaire de l'intelligence .... Mais on n'entend bien qu'avec le cœur. Encore faut-il distinguer regarder et voir ... regarder est une action volontaire de l'intelligence... mais voir ! voir vient du cœur. Ecouter et regarder seraient des actes volontaires quand entendre et voir seraient passifs mais d'où viendrait cette volonté ? De quel désir ? De qui ce désir ?
Alors, bien sûr, il nous faut adhérer et par le coeur et par la tête.
Il s'agit là de l'oscillation primitive, ontologique, nous dit le philosophe Derrida. Toute perception du monde, nous dit-il, se fait par ces deux voies de la sensibilité et de l'intelligence en oscillation, de façon dialectique. Le film « Copie conforme » que je compte projeter et sur lequel nous débattrons, nous montre les avatars, les incompréhensions, quand l'un des membres d'un couple est un cérébral pur et l'autre une affective en abyme.
Cheminer en Eglise
Nous n'avons pas cheminé seuls mais en groupe à chacune des sept séances. En assemblée sans doute puisque assemblée c'est Eglise et que nous cherchons la lumière. Nous avons cheminé à plusieurs pour y voir clair car, comme le rapporte Flemming, nous sommes à l'ombre de la croix ; nous somme en attente de la lumière pascale mais déjà chacun apporte sa petite lumière, lumière spirituelle, lumière picturale, lumière personnelle en tous cas. Ce sont de petites bougies que l'on porte, voire des torches ou des lampes électriques car la caverne du cosmos est immense mais, de toute façon c'est l'Esprit qui les allume. Malheur aux imprévoyants qui ne s'en sont pas munis rappelle l'Evangile!
C'est pourquoi nous avons voulu, outre les débats après conférences, alterner ces conférences avec des séances peintures pour permettre plus d'échanges entre nous.
Cheminer c'est être en mouvement
C'est ce qui nous est demandé.
Qui n'avance pas régresse dit-on et la Bible le prescrit : « Debout face au Seigneur » « Lève toi et marche » « Va » est-il dit à Abraham, (Gn 12,1) mais le sens exact du « va » est « va vers toi » ; chemin de spiritualité pour ton épanouissement.
Mouvement c'est é-motion, ce qui meut, ce qui meut par le cœur ou par la tête.
Mouvement qui nous rapproche du Seigneur, mouvement qui toujours nous élève, chemin à suivre ... mais peut-on cheminer sans trêve ? Cheminer toujours, certes, mais hélas, pas tout le temps. En effet nous sommes sans cesse attaqués par des distractions, des dis-tractions qui nous tractent de côté. Il me semble que l'on peut dire que l'homme est crée avec deux besoins : d'une part un besoin de spirituel, une appétence vers Dieu (« Heureux les affamés » (Mt 5,6)), source de l'alliance et d'autre part une tentation, comme un besoin, de di-version, de se dé-tourner, de se dis-traire, d'oublier, source de mésalliance. Nous oscillons sans cesse entre les deux ; la sagesse est de le reconnaître et la Foi de le combattre.
Mouvement aussi qui nous rapproche, ou nous éloigne, de ce que l'on regarde, éloignement si simple vue, approche si vision. Cette vision doit découler de ce que Kandinsky appelle la « nécessité intérieure » et c'est là l'éthique du peintre, sa conscience, l'œil qui le regarde.
Chemin difficile et il peut nous sembler avoir peu avancé.
C'est un chemin ascendant. Pourquoi pense t'on ascendant ? C'est sans doute une faculté de notre vue que de lever les yeux au ciel pour invocation ou émerveillement ou les baisser sur terre lors de nos échecs ... et une faculté de notre écoute que de penser la voix venant d'en haut, de la montagne (Mont Sinaï, mont Horeb, mont des béatitudes chez Matthieu (Mt 5,1).
Le peintre, lui, va s'apercevoir que cette faculté de notre vue vient du fait que nous avons les yeux disposés sur une horizontale. Quand nous nous regardons dans la glace droite et gauche sont inversées quand haut et bas ne le sont pas. Cela m'amène à une réflexion personnelle sur la gravitation :
Connaissons-nous l'importance de la gravitation dans l'organisation de la société ?
Il est évident que ce que l'on lâche tombe et que nous tombons et chutons aussi et de chutes en chutes jusqu'à la tombe.
Tous les êtres vivants ont les yeux placés sur une horizontale. Le miroir nous montre l'inversion de notre image sur l'horizontale droite gauche ... mais il n'y a pas d'inversion de l'image haut-bas. Cela permet d'apprécier cette force gravitationnelle et de s'en garder (ou de s'en servir). Il est probable que les mutations ayant entraîné une désaxation orbitale aient enfanté des êtres non viables.
Ainsi depuis nos gestes les plus quotidiens jusqu'aux œuvres avancées de la science tout notre environnement est géré en fonction de la gravitation.
De la gravitation est venue la gravité. Il est grave de tomber, cela peut faire mal et l'on grave son nom sur sa tombe. La chute provient de la gravitation mais aussi de la gravité : il a chuté et rechuté, maladie à rechutes, « t'es grave ».
Le spirituel, lui, va penser que le Père, son père, la tradition, viennent d'en haut et que la transmission aux fils se fait vers le bas ... est-ce que c'est parce que le petit enfant lève les yeux vers le père qui le domine de sa taille : passage de la vue à l'écoute ?
Quand on a une déclaration de poids à énoncer il convient de prendre un air grave...ce que font Présidents, Généraux, Pape...
Pour palier cette pesanteur on lève les yeux au ciel Il apparaît aussi que ce qui est plus léger que l'air monte (ou l'eau cf Archimède). Si lever les yeux augmente les risques de chute cela allège le cœur. Le croyant a beau savoir que Dieu se loge dans son cœur et que son corps est son temple, il lève les yeux au ciel quand il l'invoque. Pour un responsable lever les yeux au ciel et apparaître léger le fait paraître irresponsable.
Ainsi depuis nos mots quotidiens jusqu'aux œuvres de l'esprit tout est fonction de la gravité.
On a reproché à Dionysos d'avoir les pieds sur terre et à Orphée d'avoir les yeux au ciel...ils feraient bien de se compléter...nous aussi !]
Comment faire pour changer
Comment faire alors pour cheminer dans la spiritualité ? Comment faire pour changer sa vue en vision, sa vue prosaïque d'ici-bas pour une vision, aspiration à l'infini, ce qui est la spiritualité ?
Chacun des orateurs nous a fait cheminer vers la spiritualité.
- - Jérôme Cottin, lui, nous a montré les deux modèles de cheminement.
Le premier modèle, né avec le philosophe Plotin, marqué par la théologie grecque a été repris par le pseudo Denys, puis ensuite par le christianisme occidental avec l'abbé Suger à Saint Denis ... conduisant aussi bien aux icônes qu'aux vitraux des cathédrales. La peinture, dans ce modèle, part toujours d'une « idée ». L'idée doit amener à voir l'invisible.
Le second modèle a été élaboré au début du XXème siècle, non par des penseurs mais par des artistes, des créateurs, partant d'une « émotion » et aboutissant à l'art abstrait, art où l'on voit que l'on ne voit pas.... L'invisible est à rechercher par le regardeur.
- - Patrice Loraux : comment ce philosophe nous a-t'il fait cheminer vers la spiritualité ? En empruntant à Ignace de Loyola, le fondateur de l'ordre des jésuites, les critères de ses « exercices spirituels », son œuvre majeure, pour la lecture d'un tableau le « Narcisse » du Caravage.
Ils sont quasi contemporains et au cœur de leur temps, Caravage pour la peinture classique t Loyola pour le catholicisme.
La lecture du tableau sur le chemin de spiritualité est à 4 temps : érotique / culturel / scientifique / spirituel ... quand celle de Loyola pour la foi ne comporte pas le temps scientifique ... Voyons cela !
-) Erotique, disons sensuel.
1er temps : prendre conscience de la séduction liée aux attaches sensuelles.
Pour un tableau c'est l'émotion, la mise en branle avant réflexion, la beauté du Caravage.
Pour les exercices spirituels c'est la première des 4 semaines dans la reconnaissance des péchés pour se détacher de la « délectation sensuelle » en se frappant la poitrine, en souffrant de l'aveu de ses fautes, en matérialisant le lieu de la scène, en participant à la joie du Christ glorieux ou à sa peine dans la passion, en méditant sur l'enfer par la vue des feux, l'ouïe des cris, l'odeur du souffre, le gout des larmes, le toucher des brulures, et en faisant pénitence (jeûne, sommeil, corps).
2ème temps : se déprendre de ces attaches sensuelles en prenant du recul, du temps devant le tableau pour le Caravage et en se servant des grandes puissances de l'âme pour Loyola (mémoire, intelligence, imagination, volonté..)
3ème temps : accueillir une nouvelle capture, liée à ce travail, capture qui mène Loyola à un obéir volontaire et non machinal.
4ème temps : cheminer jusqu'au seuil d'un tout autre ... et là pas de doctrine pour le philosophe et doctrine signe à décrypter à fin de la suivre pour Loyola ... signe et non pancarte trop lisible .... Cheminer du fait d'une crise, crise émotionnelle devant le tableau ou crise de foi devant les Ecritures .... Mais crise à pousser au paroxysme aussi bien pour le regardeur du tableau que pour celui qui suit l'exercice.
-) Culturel :
Mythologique pour le Narcisse du Caravage et c'est toute l'histoire de ce jeune homme épris de son image jusqu'à en mourir qui va enrichir notre lecture.
Ecritures pour Loyola, deuxième des 4 semaines et suivantes à se remémorer les diverses étapes de la vie du Christ.
-) Scientifiques :
Etude aux rayons X du tableau pour en voir les repentirs et la volonté du Caravage d'en modifier le sens.
Etude des Ecritures (que ne fait pas Loyola) selon les diverses grilles d'interprétation.
-) Spirituelle : Il s'agit d'ouverture à l'autre. Narcisse en solitude a les bras devant lui en un cercle clôturant ; face à face avec lui-même et donc face à face avec la mort, son visage dans le reflet en est marqué ; Narcisse en meurt. Ahhh ! aurait dit Loyola, si seulement il avait ouvert les bras au devant des bras du crucifié ..... !
- - François Cheng que l'on aimerait avoir entendu, nous apporte l'importance du vide dans la réflexion taoïste. Le vide est ce qui permet l'articulation du Ying et du Yang, l'articulation de tous les couples. C'est pourquoi le cycle fut sous l'enseigne du Yin et du Yang dont voici le LOGO.
Faire le vide en soi, le silence, fermer les yeux pour voir la montagne, regarder la montagne, fermer les yeux, regarder... regarder un paysage le démonter puis le remonter... enfin voire le tableau que l'on regarde.
Se faire sourd pour entendre la parole. Le vide pour qu'y souffle l'esprit. Prendre le temps et se laisser prendre par le temps.Se laisser faire par l'émotion : ,l'é-motion... ce qui meut, fait bouger si on se laisse bouger, changer, métamorphoser .... C'est une fonction de la bible mais aussi une fonction des merveilles de la création.
– Grand d’Esnon –
Nous nous sommes retrouvés, une soixantaine de personnes, ce jeudi 30 septembre, pour faire le point sur notre cheminement dans la spiritualité.
Philippe Lemant, ne se sentant aucun titre à parler de spiritualité, a fait le bilan des 7 conférences passées.
Ce cycle était axé sur le double cheminement par le regard et par l’écoute. Or des phrases comme « Ecoute voir » … « Tu vois ce que je veux dire » … « cette toile me parle » … font qu’on s’emmêle les pinceaux … ce qui pour un peintre est un comble ! Nous sommes dans un audio-visuel.
La Bible est elle aussi un audio-visuel ; relisons les premiers versets de la Genèse : ténèbres, silence et une voix qui retentit ! Visuel : distinguons la lumière du premier jour, principe divin qui nous éclaire et nous donne une « vision » pour la lecture des écritures et la lumière du 4ème jour qui permet d’y voir la nuit, une « vue » comme celle de l’appareil de photo. Audio : c’est la Parole qui crée … pendant 6 jours … et qui continue mais en playback, on ne voit que les prophètes !
Nous avons cheminé par étapes en alternant conférences-débats et séances peintures avec échanges. Table ronde juif, catholique, protestants sur le statut de l’image … réalisation d’un ex-voto … Le pasteur Jérôme Cottin et l’invisible … deux peintres contemporains … Le philosophe Patrice Loraux et l’analyse d’un tableau avec les critères des exercices spirituels d’Ignace de Loyola … dialogue peintres et spirituels … le psychanalyste JM Louka et la psychanalyse comme exercice spirituel.
Nous avons cheminé par la tête et par le cœur, raison et foi. En distinguant aussi écouter et entendre, de même que regarder et voir, les premiers actifs selon la tête, les seconds passifs selon le cœur. Nous oscillons sans cesse entre raison et foi ce que la sagesse nous fait comprendre et ce que la foi nous fait accepter.
Nous avons cheminé en Eglise car en groupe, en « assemblée », chacun apportant sa lampe personnelle que l’Esprit a allumé et heureusement il n’ya pas eu d’imprévoyants !
Cheminement qui est mouvement, émotion, é-motion, ce qui meut par la tête ou par le cœur, devant un tableau ou la lecture de la parole, le « Va » prescrit à Abraham, élévation car aspiration à l’infini, ce qui est notre définition de la spiritualité.
Comment cheminer ? J.Cottin nous a proposé deux modèles : le classique des philosophes grecs partant de l’ « idée » ou le récent des peintres abstraits, partant de l’ « émotion ». P.Loraux nous a fait suivre l’analyse du « Narcisse » du Caravage avec les critères des exercices spirituels des jésuites d’Ignace et ses phases : 1) sensuelles (aveu des fautes en prenant conscience de cette « délectation sensuelle »…. dont il faut se déprendre … pour être à nouveau captivé du fait du recul pris … et aller jusqu’à un seuil de quelque chose d’autre) 2) culturelle (mythologique pour le Narcisse et rappel des étapes de la vie du Christ pour les jésuites) 3) scientifique ( analyse au rayons X pour le tableau et analyse des Ecritures selon les diverses grilles, linguistiques, sémiologique, historico-critique, psychanalytique …pour les biblistes. 4) spirituelle qui pour tous consiste à s’ouvrir à l’autre ou à l’Autre, ce que ne fit Narcisse enfermé dans le cercle des ses bras. François Cheng attire notre attention sur le vide qu’il faut faire en nous pour qu’y souffle l’esprit, vide médian qui permet l’articulation du Yin et du Yang, de l’homme et de la femme, de l’homme et de son Dieu. Et aussi fermer les yeux pour mieux voir et les oreilles pour mieux entendre évite d’être dis-traits par la vue ou par des bruits.
Chemin mystérieux : Dieu se cache au regard et l’on ne peut voir sa face. Il se cache à l’écoute, sa parole est i-nouïe et l’on doit écouter les prophètes. Dieu se cache pour que l’on le cherche. Les merveilles de la nature en sont une approche pour qui sait les voir, mais elles sont là pour nous émerveiller … nous « émerréveiller » !
Philippe Grand d’Esnon, pasteur de l’Eglise réformée de Versailles, a d’abord voulu tordre le cou à l’idée que les protestants seraient iconoclastes : Rembrandt, de famille de pasteurs, ne peut se comprendre si l’on ne croit pas en Dieu.
La première femme peintre de l’histoire serait Véronique, sans doute la femme non nommée que Jésus guérit de ses pertes de sang lors qu’elle toucha les franges de son manteau : elle aurait alors reçu du Christ une image aux vertus miraculeuses grâce auxquelles elle aurait guérit l’empereur Tibère de la lèpre ; a-t-elle reçu l’image ou aurait elle essuyé le visage du Christ agonisant, ce qui aurait fait d’elle un peintre ? Ou bien encore est-ce le Christ qui se serait essuyé le visage ? Une autre légende rapporte que le roi Agbar V d’Edesse, ayant envoyé un émissaire auprès du Christ pour le connaître, cet émissaire aurait échoué à faire son portrait, le Christ, alors, se serait essuyé lui-même le visage d’un voile ; il aurait envoyé cette image au roi avec l’apôtre Taddée qui aurait évangélisé les habitants d’Edesse.
Le pouvoir du suaire du Christ est le même que celui attribué autrefois aux icônes … au risque de se transformer en idoles.
Si dans ces légendes le Christ semble être l’auteur de l’image, il faut reconnaître que, en fait, le tout premier auteur est Dieu lui-même quand il crée l’homme à son image ! Et même le premier auteur d’une œuvre d’art puisqu’il trouve ce qu’il a crée bon et même pour la création de l’homme et de la femme très, très bon, Dieu est enthousiaste !
L’homme est crée à l’image de Dieu et nous en avons en écho l’image de sa personne dans le prochain ainsi que le rapporte Matthieu (Mt 25) « Quand t’avons nous vu affamé et t’avons nourris … chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait».
On ne voit qu’avec le cœur ! La jeune Ste Elisabeth de Hongrie abritait, en l’absence de son époux, un pauvre malade dans le lit conjugal, le mari, de retour rejette le drap et voit …….. le Christ !
Philippe Lemant
Chemin mystérieux
Parole et regard : Dieu se cache aussi bien au regard qu'à la parole. Il se cache à la vue, au regard, dans la nuée, derrière un buisson, dans les ténèbres de la croix. Il se cache sous la parole, il cache son nom : « Je suis qui je suis » ou « Je suis celui qui est »Dieu n'est pas anonyme mais son Nom n'est pas révélé.
La parole de Dieu est inouïe, in-ouïe et sa face n'est pas visible.
Dieu se cache et pour qu'on commence à le chercher en un jeu de cache-cache c'est lui qui lance la première question posée à l'homme « Où es tu ? » (Gn 3,9). Au tour de l'homme de Le chercher.
Dieu reste mystérieux ; les merveilles de la nature en sont une approche pour qui sait les voir. Mais pour les voir, comme pour voir le tableau que l'on regarde, il faut fermer les yeux. De même pour entendre la parole il faut fermer les oreilles. Pour avoir une vision intérieure ou une entente de la parole il ne faut pas être distrait par la « vue » ou par des « bruits ».
Mystères et Merveilles : Si Dieu reste mystérieux c'est bien pour susciter notre curiosité, entretenir notre appétence et les merveilles sont là pour nous « émerréveiller».
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